Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne

L’avenir politique au Mali : LA MISSION ET L’OPINION

Les derniers événements de Kidal démontrent une fois de plus la difficulté de la mission onusienne à sentir les réalités maliennes. Et à éviter le divorce avec l’opinion

minusma oun soldat militaire armee patrouille nord mali gao

Que faire lorsqu’à la difficulté s’ajoute la complication ? Tout d’abord, souhaiter que les différents protagonistes, impliqués dans l’apaisement, acceptent de se soumettre à un exercice ardu de vérité et admettent au terme de celui-ci la nécessité d’un effort exceptionnel de pondération. Espérer ensuite que la retenue souhaitée de la part de chacun ne sera pas marchandée à un prix impossible à payer. Et travailler enfin à ce que les compromis minimaux obtenus soient scrupuleusement observés. Ces conditions peuvent donner l’impression de relever du vœu pieux, mais elles constituent tout simplement les préalables basiques de la reconquête de la sécurité et du rétablissement de la cohésion sociale dans notre pays. Elles sont d’autant plus indispensables à réunir que la plupart des événements survenus après la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation ont continuellement mis à l’épreuve l’atteinte d’une accalmie durable.
Elles sont aussi d’autant plus nécessaires à remplir que monte de manière très perceptible un sentiment populaire fait de lourde lassitude et de réelle déception, mais aussi de colère rentrée et d’agressivité réprimée. Il nous faut rester extrêmement attentif à ce phénomène. Car ce serait une erreur autant de sous-estimer que de chercher à exploiter cette vague dormante, les effets de son éventuel déferlement étant parfaitement imprévisibles. Pour le moment, cette potentielle lame de fond se limite à être un sourd grondement qui s’exprime autant sur les ondes des radios privées que sur les réseaux sociaux lesquels constituent autant d’exutoires providentiels. Mais il ne faut pas tarder à allumer les pare-feu et à conjurer l’impatience populaire. Qui se traduit aujourd’hui par l’expression d’opinions de plus en plus radicales, de positions de plus en plus univoques.
Sur ce phénomène, il n’y a pas à chercher loin le dernier exemple en date. Tout au long de la semaine passée, la vox populi a exprimé avec une violence incroyable et une exaspération extrême son rejet de la décision de la MINUSMA d’instaurer une zone de sécurité autour de la ville de Kidal. Disons-le sans détour : la mission onusienne aurait-elle voulu mettre le feu aux poudres de l’opinion nationale qu’elle n’aurait pas pu prendre une décision plus polémique, ni plus impopulaire que celle annoncée le lundi 17 août. Cette maladresse était d’autant moins attendue de la part de la Mission que cette dernière, ayant mesuré la très forte dégradation de son image auprès des Maliens, avait entrepris depuis plusieurs semaines un effort accentué de communication. Celui-ci, à défaut d’avoir vraiment fait remonter sa côte, avait eu le mérite de stopper la spirale de l’impopularité. Voilà ce travail totalement anéanti et la MINUSMA confrontée à un déferlement d’hostilité populaire comme elle n’en avait certainement jamais affronté auparavant.

L’ASSURANCE DU PROCONSUL. Tout argumentaire qu’elle développera pour expliquer sa décision n’a guère de chances d’être audible par la majorité des Maliens. Car la Mission, même si elle ne l’admettra certainement jamais publiquement, a commis deux fautes incompréhensibles. La première a été d’avoir agi sans avoir pris l’avis du gouvernement malien avec lequel elle était pourtant en concertation très poussée. La MINUSMA était pourtant prévenue par un précédent regrettable. Il faut se rappeler que l’un des responsables militaires de la Mission, le général Thibault, avait le 24 janvier dernier outrepassé ses prérogatives en s’aventurant à conclure avec le responsable militaire du MNLA, Mohamed Ag Najim, un accord pour l’établissement d’une zone temporaire de sécurité.
Nous l’avions écrit à l’époque, l’officier avait en la circonstance agi avec l’assurance teintée d’arrogance propre à un proconsul de la Rome antique, se fiant à son seul jugement et gérant selon son bon vouloir le destin de peuples dits autochtones. A l’époque, devant le tollé légitime soulevé dans les cercles officiels et dans les populations (en tout premier lieu celles de Gao), les responsables de la Mission s’étaient livrés à un rétropédalage hâtif et faiblement argumenté. Mais ils s’étaient gardés de désavouer l’initiative de leur officier général. Il n’y a donc rien d’étonnant qu’en l’absence d’une mise au point interne, la porte ait été laissée ouverte à une inexcusable récidive. La nouvelle bévue a été encore plus mal acceptée par nos compatriotes que la première. Car elle survient alors que n’a pas été encore évacuée la rancœur née de la mort des manifestants de Gao et surtout de l’inertie des Casques bleus lorsque les expéditions de représailles lancées par la CMA après la prise de Ménaka par le GATIA avaient provoqué des pertes en vies humaines dans la population civile.
Car là réside la deuxième faute de la MINUSMA. Celle-ci nous donne très souvent l’impression de flotter en apesanteur au-dessus des réalités maliennes et de ne tirer aucune leçon des relations compliquées entretenues avec le grand public. Elle se montre concernée sans aucun doute puisque son mandat en fait une porteuse de solutions pour le retour à la normale et surtout parce que les Casques bleus payent un lourd tribut aux attaques terroristes. Mais on ne la sent guère impliquée puisque ne souciant pas d’aller plus loin que l’assistance prodiguée, peu désireuse de comprendre la complexité des problèmes et de déchiffrer l’humeur profonde du pays. Ce qui l’amène à prendre au débotté des décisions qui font mettre en doute aussi bien son impartialité vis-à-vis des différents protagonistes de la crise que sa volonté à protéger de manière équitable toutes les populations du Septentrion.
Le plus désolant au niveau de la Mission est qu’elle paraît ignorer délibérément les multiples signaux qui l’incitent à se montrer plus attentive à son mode de prise de décision. Tout au long de l’année écoulée, les interpellations véhémentes ne lui ont pourtant pas été épargnées. Cela aussi bien dans les médias nationaux que dans des interventions de la société civile, sans oublier une très houleuse séance d’échanges à l’Assemblée nationale face à des élus passablement remontés. La MINUSMA ne pouvait donc, en principe, pas ignorer l’attention sourcilleuse et assez peu bienveillante que lui portaient la plupart de nos compatriotes.

LA LIBERTÉ DE SE DÉPLACER. Le sachant, que lui aurait-il coûté pour le cas de Kidal de se limiter à appeler les parties impliquées au respect de l’Accord pour la paix (comme elle l’avait fait dans un premier communiqué émis le 16 août) et de reconduire une démarche qui avait déjà fait ses preuves, celle observée dans la gestion de la situation de Ménaka ? Une gestion qui avait associé les autorités maliennes, les mouvements armés et la médiation internationale. La solution dégagée n’avait enthousiasmé aucun des mouvements armés, mais elle fut tout de même appliquée. Il faut rappeler avec insistance que le rôle le plus difficile avait été à l’époque dévolu à la Plateforme qui avait dû non seulement retirer ses troupes de la ville, mais de surcroît s’exposer à la colère des populations locales en allant expliquer à ces dernières « l’arrangement » trouvé.
Cette fois-ci, pour avoir réagi dans la précipitation et choisi de faire cavalier seul, la MINUSMA s’est retrouvée perdante sur toute la ligne. Elle a encouru l’irritation du gouvernement mis devant le fait accompli et qui voit dans la mesure onusienne un traitement inégalitaire des populations exposées à l’insécurité. Elle a suscité l’ire de la CMA qui l’accuse de favoriser les desseins de la Plateforme en cloîtrant ses forces dans le réduit kidalois et en empêchant celles-ci d’entamer la reprise des positions perdues. Elle se fait accuser de partialité par la Plateforme qui lui rappelle la passivité observée lors de situations autrement critiques pour les populations civiles dans le Septentrion. Elle accentue encore davantage sa très grave perte de crédibilité auprès de larges couches populaires du pays. En outre, elle n’a pas conjuré les périls qu’elle dénonçait.
En effet, ni la Plateforme, ni la Coordination n’ont reconnu la validité de la zone de sécurité. La première fonde son refus sur la possibilité pour tout citoyen malien de se déplacer librement en n’importe quelle partie du territoire national, surtout après la conclusion de l’Accord. La seconde revendique son droit de rétablir la situation militaire prévalant avant les événements des 15, 16 et 17 août derniers. Faut-il alors s’attendre à un embrasement de la situation ? Nous ne le croyons pas. A notre avis, au-delà des déclarations martiales émises de part et d’autre, les mouvements armés savent jusqu’où aller trop loin. Aucun d’eux ne se risquerait vraiment à affronter la réprobation de la communauté internationale représentée par la médiation élargie, encore moins à encourir la sanction que ladite communauté initierait contre ceux identifiés par elle comme « ennemis de la paix ». Aucun ne se risquerait non plus à brûler irrémédiablement tous ses vaisseaux en s’engageant dans une reprise durable des hostilités, car celle-ci serait désapprouvée par les communautés mêmes que les mouvements affirment servir.

HORS DU CADRE DU COMITÉ. C’est d’ailleurs pourquoi la CMA qui a beaucoup perdu dans les récents événements a limité sa véritable réaction à une suspension de sa participation au Comité de suivi de l’Accord. Cette décision laisse de la marge aux différentes parties signataires pour entamer une laborieuse réparation de l’accroc fait au document du 20 juin. La priorité étant, bien entendu, de consolider l’accalmie constatée depuis lundi de la semaine dernière et de trouver un traitement approprié pour le cas Anéfis.
Reste la question qui revient assez souvent : ne va-t-on pas vers une crispation intercommunautaire Imghads-Iforas ? Ce qui s’est récemment passé dans la région de Kidal laisse la possibilité de deux choix de lecture. Le premier – encourageant – insisterait sur le fait que les chefs militaires des deux regroupements (CMA et Plateforme) s’étaient rencontrés à la mi-juillet pour mettre au point des arrangements qui garantissaient à leurs éléments respectifs une sécurité de circulation et un droit de visite à leurs familles en différentes zones du Septentrion. L’acquis était indéniablement de taille. Car, fait notable, il avait été obtenu hors du cadre du Comité de suivi. Il venait par conséquent établir la capacité des deux parties à dialoguer entre elles. Il apportait donc une contribution notable à la lente reconstitution du vivre ensemble au Nord du Mali.
Le deuxième choix de lecture demande à être confirmé par le résultat des enquêtes enclenchées par la médiation. Il insisterait sur l’influence susceptible d’être exercée dans chacun des deux camps par d’éventuels irréductibles qui n’auraient pas renoncé à modifier l’actuel rapport des forces sur le terrain et qui souffleraient sur les braises de la provocation. L’hypothèse ne relève pas de l’improbable, mais il reste possible de la priver de toute chance de prospérer.
Le plus urgent aujourd’hui est de dissiper chez nos compatriotes la sensation de vivre sur le plan sécuritaire un éternel recommencement, les annonces alarmantes succédant aux mauvaises nouvelles. Cette tendance qui a prévalu au cours des dernières semaines ne s’inversera pas rapidement, ne s’inversera pas radicalement. Du côté des terroristes, l’option faite sur l’accumulation des actions déstabilisantes sera maintenue. Et au niveau des mouvements armés, les contentieux anciens nourriront encore des poussées de fièvre. Le chemin vers la normale reste donc des plus cahoteux.
Mais il faut savoir l’accepter tel qu’il est. Et il faut continuer à se fier aux balises posées par l’Accord pour la paix et la réconciliation. Celles-ci ne fournissent pas forcément de réponse exhaustive à chaque difficulté rencontrée. Mais utilisées avec réactivité et pragmatisme, elles aident au moins à la recherche de solutions. En attendant de pouvoir faire plus.

G. DRABO

source : L’ Essor

Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne
Ecoutez les radios du Mali sur vos mobiles et tablettes
ORTM en direct Finance