(Ecofin Hebdo) – Sauf retournement de situation de dernière minute, Laurent Gbagbo devrait sortir libre des geôles de la prison de Scheveningen. Certainement, celui qui aura passé toute sa vie à lutter doit particulièrement savourer cette victoire sur l’histoire. Libre, et nimbé de l’aura de celui qui aura vécu son martyr en serrant les dents, et de ces vaincus à qui le temps a donné une nouvelle légitimité. Il appréciera également de quitter La Haye en y laissant allumé un brasier qui pourrait consumer une institution déjà mise à mal par les révélations des « Secrets de la Cour », recueil de scandales datant de l’ère du procureur Ocampo, son incapacité à condamner les accusés qu’elle a eu dans ses locaux, son biais supposé vis-à-vis des Africains ou encore le désaveu de l’Amérique qui y voit une juridiction « inefficace, irresponsable et carrément dangereuse ».
Voici donc Laurent Gbagbo victorieux. Lui qui aura affronté et survécu à Houphouet-Boigny. Lui qui aura survécu à la crise de 2011, et aux juges de la CPI. Alors qu’une nouvelle page de son histoire s’ouvre, certainement pense-t-il déjà au jour d’après. Rentrera-t-il un jour à Abidjan? Même si ses démêlés avec la justice de son pays ne sont pas encore finis, on imagine mal le pouvoir le maintenir bien longtemps loin de la Côte d’Ivoire, où il est désormais attendu en héros. Les autorités en place à Abidjan doivent déjà analyser et essayer d’anticiper les conséquences de ce cataclysme sur lequel nul n’aurait parié il y a encore sept ans.
Que peut-il se passer dans la tête de Laurent Gbagbo actuellement? Bien malin qui pourrait le dire. Mais alors que désormais, le lutteur est rattrapé par l’âge, le verra-t-on tenter une ultime revanche en se lançant dans la bataille présidentielle? Si pour la frange extrême de ses partisans, cette option a de quoi séduire, elle reste cependant ce dont un pays en mal de réconciliation a le moins besoin actuellement. En outre, qu’on le veuille ou pas, il est déjà temps que la génération qui a repris le flambeau d’Houphouët-Boigny passe la main. Alassane Ouattara (77), Henri Konan Bédié (85) et Laurent Gbagbo (74) sentent bien la fougue et l’impatience de la génération d’après à accéder à la fonction suprême. Il est fort peu probable que Guillaume Soro, Jean-Louis Billon, Ahmed Bakayoko, ou même Charles Blé Goudé, goûtent particulièrement de devoir encore laisser les premiers rôles à des septuagénaires qui ont eu plus de 25 ans pour faire leurs preuves.
Un retour dans la course à la présidentielle, desservirait plus Laurent Gbagbo qu’autre chose et ne servirait qu’à ternir son aura. Certes, l’homme a soif de combats et a passé toute sa vie en politique. Mais plus qu’une revanche illusoire, il est désormais un combat qui est à la mesure de Laurent Gbagbo: celui de réconcilier à tous prix tous les Ivoiriens et d’aider à refermer les plaies de son pays. Il est, avec Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, l’un des rares Ivoiriens encore vivants à le pouvoir. Il lui faudra de la grandeur d’âme, il lui faudra maîtriser la force du pardon et aussi celle de l’humilité. L’humilité de reconnaître conjointement sa part de responsabilité dans la plus grave crise que son pays ait connu.
Mais plus qu’une revanche illusoire, il est désormais un combat qui est à la mesure de Laurent Gbagbo: celui de réconcilier à tous prix tous les Ivoiriens et d’aider à refermer les plaies de son pays.
Et si c’était ce destin de pèlerin de la paix qui attendait Laurent Gbagbo? L’histoire serait belle, même si la route sera parsemée d’embûches. Si d’aventure c’était son choix, gageons qu’il saurait venir à bout des obstacles éventuels. En tout cas quelqu’un qui sait que « quand on vous envoie, il faut savoir vous envoyer », saura faire preuve d’une circonspection encore plus grande, quand il prendra la route tout seul.
Aaron Akinocho