Dans sa lettre N° 2021-0453628 du 24 septembre 2021, adressée au Premier ministre malien Choguel Kokalla Maïga, l’Ambassadeur de la France au Mali, Joël Meyer, a apporté des clarifications aux interrogations des autorités maliennes, relatives à certaines zones du territoire malien qui échappent malheureusement à la souveraineté étatique, à cause d’une situation sécuritaire très dégradée, à certaines zones du territoire qui serait interdit aux moyens aériens de l’armée malienne, aux limites qui seraient imposées au Mali dans le choix de ses partenaires, en matière de coopération sécuritaire, et à la procédure relative aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. La lettre in extenso.
Monsieur le Premier ministre,
Je me permets ce courrier alors que mon attention a été appelée sur les déclarations que vous avez faites lors d’un échange avec des acteurs de la société civile malienne le 16 septembre 2021. En réponse à une question sur l’éventualité de la venue, à la demande du Mali, d’un groupe privé de mercenaires, vous avez soulevé plusieurs points qui constituent selon vous des difficultés dans la relation avec les partenaires.
Alors que certains de ces propos intéressent la France, en tant que partenaire historique du Mali, j’aurais pu auparavant apporter de vive voix, et en toute franchise, les éclaircissements que vous auriez souhaités, mais n’ayant pas encore eu avec vous l’audience sollicitée, je prends la liberté de vous écrire pour les porter à votre connaissance.
Concernant le départ du Mali de partenaires.
La France, dans ses activités de développement et de coopération d’une part, et dans son soutien aux FAMas à travers l’opération Barkhane d’autre part, ne quitte pas le Mali. Avec plus de cinquante milliards de francs CFA d’appui au développement ne serait-ce que pour la seule année 2021, et trois mille soldats présents sur le sol malien, il est inexact d’affirmer que la France cesse de se tenir au côté du peuple malien.
L’adaptation de notre dispositif sécuritaire a été discuté à plusieurs reprises avec les autorités sahéliennes, et notamment maliennes – je ne rappellerai à titre d’exemple que les dernières consultations tenues en marge du sommet de N’Djamena en février dernier.
La Ministre française des Armées, Madame Florence Parly, en visite à Bamako, le 20 septembre dernier, a pu à nouveau échanger avec Monsieur le Ministre de la Défense et des Anciens combattants pour préciser les contours de cette adaptation. La réorganisation de notre dispositif ne constitue en aucun cas un départ du Mali, qui ne figure pas dans nos intentions, sauf bien sûr si les autorités maliennes le souhaitaient ou envisageaient des partenariats jugés incompatibles, notamment sur le plan moral, avec notre propre engagement. Le transfert aux Forces armées maliennes de certaines emprises du nord tenues par Barkhane constitue simplement une étape logique dans le progrès du retour de l’Etat malien dans ces localités. Le dispositif français demeure engagé ailleurs dans les régions septentrionales, à Gossi, Gao et Ménaka.
En outre, la force Takuba, sous commandement français et en lien étroit avec les FAMAS qu’elle appuie, continuera et intensifiera son action dans la zone des trois frontières, comme l’ont souhaité les chefs d’Etat du G5 Sahel.
Son Excellence Monsieur Choguel Kokalla MAIGA
Premier ministre de la Transition
Concernant certaines zones du territoire malien qui échappent malheureusement à la souveraineté étatique, à cause d’une situation sécuritaire très dégradée.
Le premier acteur de la sécurité des Maliens est l’Etat malien souverain. La France, comme de très nombreuses déclarations publiques l’attestent depuis plusieurs années, ne cesse d’appeler au retour de l’Etat malien sur l’ensemble du territoire et de proposer un soutien à cet effet. C’était, à titre d’illustration, l’objet principal du dernier sommet du G5 Sahel, tenu à N’Djamena en février 2021.
Concernant l’accès à certaines zones du territoire qui serait interdit aux moyens aériens de l’armée malienne.
Cette affirmation ne correspond nullement à la réalité. Dans le cas de la force Barkhane, aucun épisode de la sorte n’a été relevé en 8 ans de combat commun avec les FAMAS contre les groupes terroristes. Et à l’inverse, il convient de rappeler que Barkhane mobilise ses moyens pour porter assistance aux soldats maliens, chaque fois que possible, qu’il s’agisse d’un appui aérien ou d’une évacuation des blessés.
Concernant les limites qui seraient imposées au Mali dans le choix de ses partenaires, en matière de coopération sécuritaire.
Aucun pays n’interdit au Mali de développer une coopération militaire avec aucun Etat partenaire, selon les choix souverains du Mali. A titre d’exemple, le partenariat d’Etat à Etat, ancien de plusieurs décennies, que le Mali entretient avec la fédération de Russie n’a jamais été remis en cause ou dénoncé par aucun acteur international. Plusieurs centaines de stagiaires militaires maliens sont aujourd’hui en formation en Russie, et c’est un appui très précieux pour la montée en puissance de l’armée malienne. Et le choix souverain du Mali de se tourner vers la Russie ou d’autres Etats pour la fourniture d’équipements a toujours été respecté, quel que soit le gouvernement malien. Aujourd’hui, c’est le recours éventuel à une société privée de mercenaires, déjà coupable d’exactions et d’actions déstabilisatrices dans de nombreux pays, qui appellent toutes les interrogations. Le comportement de cette société privée pose la question de la compatibilité avec la présence des autres forces partenaires, de toute nationalité. Le Mali peut prendre cette décision en toute souveraineté. Toutefois, en toute souveraineté également, il est normal que les pays alliés du Mali, qui ont tant investi pour la défense de votre territoire et ont payé un lourd tribut avec de nombreux soldats morts, puissent faire valoir leur point de vue et mettre en garde contre les conséquences d’un tel acte, y compris sur le maintien de leurs propres contingents.
Concernant la procédure relative aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU.
La France, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, est particulièrement attachée à l’expression de la souveraineté du Mali dans les instances onusiennes. Tous les projets de résolution du Conseil de sécurité de l’ONU portant sur le Mali sont discutés et soumis à l’approbation des autorités maliennes, notamment via la représentation permanente du Mali auprès des Nations-Unies. C’est d’ailleurs dans le cadre de cette discussion que cette dernière a fait part de l’opposition actuelle du Mali à l’augmentation du contingent, ce qui a eu pour conséquence le retrait immédiat du projet de vote sur ce sujet.
Monsieur le Premier ministre, je suis heureux d’avoir pu apporter ces clarifications aux interrogations que vous aviez. Je demeure à votre entière disposition pour un échange plus approfondi et bien sûr sincère sur la présence sécuritaire de la France au Mali, qui est, je souhaite ici le rappeler, la conséquence d’une demande plusieurs fois confirmée des autorités maliennes.
La France n’a pas d’intérêts cachés dans votre pays. Le seul objectif que nous poursuivons est le retour de la sécurité et de la stabilité, allié à un développement renforcé du Mali, pour toutes les populations maliennes d’abord, et ensuite pour prévenir l’émergence d’une crise régionale qui affecterait également l’Europe. C’est pour cela que nous soutenons le Mali dans de nombreux domaines, agissant uniquement à la demande, en complémentarité et appui des acteurs maliens concernés, auxquels nous ne pouvons ni ne souhaitons nous substituer dans leurs propres responsabilités et compétences.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de ma très haute considération.
Joël MEYER
Source: Le SOFT