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L’Accord d’Alger est-il opposable à toutes les parties ? : ANALYSES CROISEES DE DEUX JURISTES

Notre pays va vivre aujourd’hui un événement historique avec la signature de l’Accord de paix et de réconciliation issu des pourparlers d’Alger. A cette occasion, nous avons demandé à deux spécialistes du droit international d’analyser la portée de la signature d’un tel document. Et aussi les implications de la non signature par l’une des parties aux négociations. Me Amadou Tiéoulé Diarra et Abdoulaye Séma Sissoko, tous deux professeurs d’université, situent la portée de l’événement.

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Me Amadou Tiéoulé Diarra souligne d’entrée de jeu l’importance de la signature d’un tel accord. Pour le cas de l’Accord de paix d’Alger, le professeur de droit confirme sa portée considérable sur les plans politique et juridique. Il note que la portée de la signature est différente selon que l’on considère l’accord en forme solennelle ou en forme simplifiée.
« La forme solennelle, explique-t-il, s’entend d’un accord signé par un Etat mais qui n’a pas manifesté son intention de ne pas devenir partie en attendant sa ratification ou son approbation. Tandis que s’il s’agit d’un accord en forme simplifiée, la simple signature de l’Etat vaut à la fois authentification du texte et son engagement définitif. »
Le spécialiste ajoute aussi que la teneur de l’Annexe 1 de l’Accord d’Alger (Période intérimaire) laisse comprendre que l’Etat du Mali a l’obligation d’adopter des textes réglementaires, législatifs, voire constitutionnels. Me Amadou Tiéoulé Diarra précise ensuite que le droit international a réduit en pratique aujourd’hui la distinction entre les formes solennelle et simplifiée d’un accord en accordant la même valeur juridique aux deux types d’accord.
« Mais le problème qui demeure est le suivant : du fait qu’il ne s’agit pas de deux acteurs étatiques en conflit mais d’un accord à conclure par des entités infra-étatiques (à l’intérieur d’un même Etat) est-on en droit de penser que l’article 18 de la Convention de Vienne sur les droits des traités va s’appliquer ? », s’interroge le professeur de droit en rappelant la teneur de cet article : « Un Etat doit s’abstenir d’actes qui priveraient un traité de son objet et de son but lorsqu’il a signé le traité ou a échangé les instruments constituant ce traité sous réserve de ratification, d’acceptation ou d’approbation, tant qu’il n’a pas manifesté son intention de ne pas devenir partie au traité ou lorsqu’il a exprimé son consentement à être lié par le traité, dans la période qui précède l’entrée en vigueur du traité et à condition que celle-ci ne soit pas indûment retardée ».

SOLUTION POLITIQUE. Le spécialiste estime que cette disposition s’applique au cas présent bien que notre conflit soit infra-étatique. Que va-t-il se passer si la CMA (Ndlr : qui a paraphé l’accord, hier, à Alger) refusait de signer le document ? Pour Me Amadou Tiéoulé Diarra, il ne fait aucun doute que toutes les parties sont en possession des instruments de l’Accord. En toute logique, fait-il remarquer, nous sommes dans la période qui précède l’entrée en vigueur du traité, même si cette période a été « indûment retardée » par la faute de la CMA. « Il est raisonnable de dire que si la CMA refusait de signer, il demeure qu’à Alger au mois de février 2015, le jour de la remise des instruments de l’Accord, chacune des parties s’est exprimée tour à tour. Faute de signature, l’Accord n’en demeure pas moins échangé entre les parties », analyse-t-il.
Par ailleurs, Me Diarra pose une interrogation : le sort du processus de paix et de réconciliation dépend-t-il de la volonté de quelques personnes au sein de la CMA ou de la communauté internationale ? « Je suis bien étonné que la France qui est pourtant l’ancienne puissance colonisatrice, n’ait pas mis à profit une jurisprudence pratique connue au plan international. A savoir la décision des Etats-Unis d’Amérique d’obliger l’Etat d’Israël à participer à la conférence de paix de Madrid en 1991 sur le Moyen-Orient », relève le professeur de droit.
Me Diarra évoque encore deux exemples. « Le cas de l’Afrique du Sud a donné des résultats inattendus. Le principe d’un éventuel territoire séparé et réservé aux Blancs avait été évoqué lors des négociations sur la fin de l’Apartheid. La suite heureuse pour eux est connue. Un conflit interne a été évité tout en préservant un Etat unitaire. Et l’Apartheid a pris fin en Afrique du Sud », rappelle le spécialiste. Le second exemple évoqué par notre interlocuteur, est l’Accord de paix israélo-palestinien dit accord de Camp David de 1978, qui est resté lettre morte.
Devons-nous faire triompher militairement ou politiquement  notre bataille pour la restauration de l’Etat de droit ? « Je ne suis pas sûr que la solution militaire aboutira à des résultats si on l’entrevoit hors de la lutte contre le terrorisme. Tout simplement parce que les communautés qui sont au Nord ont des ramifications en Algérie, en Mauritanie et plus loin encore. Si l’option militaire était envisagée comme la solution, il faut attendre une génération, voire 100 ans pour que les individus parviennent à oublier les traumatismes de la guerre et à se réconcilier », estime-t-il.
Quid de la solution politique ? « J’y crois mais avec des périodes de transition comme prévues dans certaines dispositions de l’Accord d’Alger », tempère notre interlocuteur.
Me Amadou Tiéoulé Diarra estime que la vraie épine du présent Accord de paix et de réconciliation est qu’il n’envisage point la transformation des groupes armés en partis politiques. « Je n’ai pas besoin de m’étendre sur les accords intervenus en 1991, 1992, 1996, 2006. Il n’y a qu’à observer leur enchaînement. Le ver est dans le grain. Comment l’en sortir ? », s’interroge le professeur qui fait remarquer que le terrorisme constitue un facteur qui complique davantage la résolution de la crise.
Même si la CMA a paraphé l’Accord de paix, à Alger hier, les dispositions ne changent pas en ce qui concerne les obligations des parties aux négociations, souligne Me Diarra qui rappelle que dès lors qu’il y a eu échange des instruments à la fin des négociations, les parties prenantes sont censées être liées par leurs engagements consignés dans le document.
Le spécialiste ajoute que « l’Accord d’Alger a le caractère de jus cogens. Cela signifie qu’il renferme des valeurs universelles d’intérêt vital (impunité, justice, droit au développement…). Par conséquent, c’est désormais un droit contraignant malgré le refus de la CMA de signer ».

ACCORD D’ARUSHA. Le professeur Abdoulaye Séma Sissoko estime, lui aussi, qu’il est fort clair que l’Accord de paix et de réconciliation au Mali issu du processus d’Alger a un caractère obligatoire pour les parties prenantes avec son corollaire de droits, d’obligations et de sanctions.
Cet accord issu du processus d’Alger est-il opposable à des parties qui refuseraient de parapher et de signer ? Pour répondre, l’enseignant-chercheur fait une comparaison avec l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi du 28 août 2000. Cet accord, constate-t-il, a permis une ouverture aux groupes armés des parties non signataires, en les invitant à adhérer audit accord. Mais cet accord qui avait mis fin au conflit au Burundi, prévoyait aussi de désarmer et d’arrêter les membres des groupes armés en cas de refus, de reprise des hostilités et de violences. Le professeur Sissoko estime que l’équipe de médiation sur le projet d’Accord d’Alger devrait s’en inspirer en précisant expressément une telle éventualité afin d’amener tous les mouvements à y adhérer.
D’après Abdoulaye Séma Sissoko, en cas de refus de la CMA de signer l’Accord issu des pourparlers d’Alger, plusieurs hypothèses sont envisageables. « Retenons que la CMA refuse de signer l’Accord d’Alger alors qu’elle aurait, me semble-t-il, signé la Déclaration des parties au processus d’Alger le 19 février 2015. Cette Déclaration des parties fait partie intégrante de l’Accord de paix d’Alger et a la même valeur juridique que les dispositions du corps du texte. En conséquence, il est difficile pour la CMA de se démarquer de l’Accord d’Alger. La CMA en prétextant que l’Accord d’Alger ne lui est pas opposable suite à son refus de signer ne peut pas prospérer », argumente-t-il.
En principe, admet cependant le spécialiste, un accord de paix et de réconciliation non signé par une partie comme la CMA ne lui est pas opposable. La partie non signataire ne devrait ni subir ni profiter d’un tel Accord. «Cette situation me semble difficile à tenir d’autant plus que l’Accord d’Alger, dans son effectivité, engage d’autres parties et concerne des populations sur un territoire bien déterminé. C’est pourquoi, nous avons deux cas, en vertu des principes généraux du droit des obligations : le cas où l’accord est invoqué par l’une des parties signataires envers la partie non signataire. Et vice versa. Concrètement, dans le premier cas, le respect de l’accord peut être invoqué par l’une des parties notamment le gouvernement du Mali, un des groupes armés signataires ou la MINUSMA, dans le cadre de la stabilisation du pays ou la lutte contre le terrorisme. Dans le second cas, l’accord est invoqué par une partie non signataire dans ses rapports avec l’une des parties signataires. Si la CMA n’est pas signataire, elle pourrait difficilement invoquer l’accord dans ses rapports avec le gouvernement, un des groupes armés signataires ou la MINUSMA », détaille-t-il.
Pour le professeur Sissoko, le cas de figure qui s’imposerait est l’invocation de l’Accord de paix par les parties signataires dans tous les actes qu’elles poseront sur le terrain. Si la CMA évolue sur le même terrain, l’Accord de paix lui est opposable, en vertu des principes généraux du droit des obligations et au regard du principe de la souveraineté du Mali.
Le Mali bénéficie de l’onction de la communauté internationale (notamment les résolutions 2100 et 2164 du Conseil de sécurité des Nations Unies) pour stabiliser son territoire, préserver l’unité, la paix et la concorde, gages de tout développement, rappelle le professeur de droit.
Abdoulaye Séma Sissoko préconise, au delà des principes de droit, de continuer à encourager les parties non signataires à signer et à adhérer au processus de paix. Avec au besoin, la menace de sanctions contre tous ceux qui entraveront la mise en œuvre de l’Accord d’Alger (parties signataires ou non signataires) », conseille-t-il.
Pour le professeur Sissoko, le Conseil de sécurité de l’ONU doit prendre une résolution engageant la lutte contre le terrorisme par la mise en place d’une brigade de surveillance. Il préconise aussi de mener une bonne communication sur l’Accord d’Alger tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Mali. Ce qui permettra d’instaurer un climat de confiance entre les différentes communautés dont le vivre ensemble est sérieusement mis à mal par la crise.
M. KEITA

source : L Essor

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