Essoufflement ou manque de perspectives pour une transition qui peine à imprimer son tempo ? Après six mois de gestion des affaires d’Etat, la transition n’arrive pas à se montrer efficace, cohérente et décisive comme on s’y attendait. La cause : un manque de coordination efficiente entre ses différents segments et son manque d’ouverture vis-à-vis d’autres acteurs nationaux.
La transition, depuis qu’elle a été mise en place, fait face à des mouvements de colère. En effet, des revendications d’ordre catégoriel tous azimuts succèdent à des prises de positions ouvertes et violentes contre la gestion des affaires publiques. La dernière en date, la plus surprenante, est venue de Mahmoud Dicko, l’ex-autorité morale du M5-RFP. L’ancien président du Haut conseil islamique du Mali n’a pas porté de gants pour dénoncer des dirigeants de la de la transition.
« Un président de la transition inaccessible ; un Premier ministre froid ; un vice-président je ne sais quoi », avait-il qualifié respectivement Bah N’Daw, Moctar Ouane et Assimi Goïta. Des mots qui ont retenti dans l’esprit du citoyen lambda comme une vive alerte à l’endroit des autorités de la transition. Il en est ainsi aujourd’hui, six mois après l’installation de la transition, de la perception générale des Maliens d’autant qu’il est évident que leur sentiment dominant sur la vie de la nation est que les choses ont du mal à se mettre en place, depuis le départ de l’ancien président IBK.
C’est dire donc que la période de grâce a été écourtée pour la transition qui a véritablement eu du mal à imprimer ses marques. Certes le Premier ministre, Moctar Ouane, comme on s’y attendait, a obtenu des membres du CNT le quitus pour mettre en œuvre son PAG.Mais il reste entendu que les difficultés soulevées et non résolues sur son financement et son manque de chronogramme indiquent clairement qu’il est encore loin du bout du compte.
D’ailleurs, concernant ce PAG, le président du Cnpm, Mamadou Sinsy Coulibaly, l’une des figures marquantes du secteur privé, a mis le doigt sur le manque total de perspectives économiques du document, tel qu’il a été présenté et défendu par le Premier ministre Moctar Ouane.
Dans une réflexion qu’il a faite sur ce sujet brûlant et qu’il a partagé avec les partenaires et les investisseurs étrangers, dont de larges extraits ont inondé les médias, il a dénoncé les choses en ces termes : « Dans ce discours, les questions économiques, l’entreprise, le développement ont été occultés. Ce discours ignore le financement de la mise en œuvre du contenu du document. Comment trouver les moyens et la création. Va-t-on encore quémander ou s’endetter au lieu de mettre des conditions de création de richesse ? Une fois de plus, ce discours est antidémocratique, anti-initiative, anti-mobilité sociale. Prononcé par un individu riche mais qui ne sais pas comment il a accumulé sa richesse. Dommage que ce personnage pense qu’il a une machine de fabrique de billets de banque au sous-sol de Koulouba ».
A l’évidence, la transition prend des coups partout et le front social est loin de se calmer depuis. On l’a vu, dès le début, la colère populaire est montée d’un cran avec les mouvements de revendication tous azimuts qui se sont multipliés au point d’irriter, en son temps, le président de la transition, Bah N’Daw, en visite de travail en Côte d’Ivoire. Lui qui a eu des mots pas tendres à l’endroit des responsables de la centrale syndicale. Ceux-ci ont immédiatement répliqué en suspendant toutes discussions et relations avec le gouvernement.
Si après les choses sont redevenues à la normale entre l’Untm et le gouvernement qui a permis aux deux partenaires de signer un accord très crucial pour apaiser le climat social avec la syndicale centrale, il est évident que le front social ne s’est pas pour autant calmé en raison de multiples fronts bouillants existants.
La belle illustration est née de la fronde des transporteurs et des acteurs de marché qui continuent de mettre la pression sur la transition quant à la gestion de passage de péage et la flambée des prix de certains produits de grande consommation. A deux reprises, la ville de Bamako notamment a été paralysée par la grève des transporteurs, lesquels ont promis de remettre ça, tant que le gouvernement ne prend pas à bras-le corps la fameuse affaire de passage de péage.
Comme si tout cela ne suffit pas, le front politique, le plus dangereux et le plus explosif, ne se clame pas également. Pour plusieurs observateurs de la scène publique, la situation ressemble à un calme apparent avant la tempête ; en ce sens que les acteurs politiques, indépendamment du clivage idéologique, ont exprimé vis-à-vis du gouvernement des préoccupations qui sont loin d’être résolues.
Il s’agit principalement de la création d’un organe unique de gestion des élections qui n’est pas, pour l’instant, une urgence pour le gouvernement.
D’ailleurs, dans son PAG, qu’il a présenté au CNT, le PM a laissé clairement entendre que la mise en place d’un tel organe n’est pas à l’ordre du jour d’autant que la transition manque visiblement, selon lui, du temps concret pour son opérationnalité. Ce qui, comme on le redoute, ne sera pas du goût des acteurs politiques et même ceux de la société civile, lesquels ont estimé ouvertement que la transparence et la sérénité autour des nouvelles échéances électorales, auxquelles tout le pays aspire, passent justement par la mise en place d’un tel organe unique.
Plus sensible aussi l’équation politique qui rentre en ligne de compte : pour beaucoup d’observateurs nationaux et internationaux sur la problématique de la transition malienne, il est évident que cette dernière manque d’inclusivité. Le dernier rapport de l’ancien représentant de l’ONU au Mali, le tchadien Annadif, en fin de mission dans le pays, au compte de la Minusma, le dit sans ambages : la transition souffre gravement d’inclusivité. Il a ainsi appelé les acteurs de la transition à y veiller sans délai pour ne pas compromettre l’équilibre politique interne souhaité.
A mesure que la date limite pour la transition s’approche, il apparait plus nettement que le temps n’est pas son meilleur allié du fait justement que les acteurs nationaux sont loin d’accorder leur violon sur certains équilibres politiques et institutionnels, nécessaires à la bonne articulation des affaires publiques.
Il importe donc que les autorités de la transition fassent preuve de doigté et d’ouverture pour endiguer à temps les facteurs de blocage. Ceci est un impératif politique et actuel pour toute réussite de la transition. C’est bien pour cela que le leadership du président Bah N’Daw, le Colonel à la retraite, est requis pour faire désamorcer la tension et la flexibilité du gouvernement souhaitée pour amener tous les acteurs nationaux à regarder dans la même direction.
Avant que les rapports de force ne se durcissent…
Oumar KONATE