Les Occidentaux et l’Onu repensent leur action au Sahel et au Mali. L’Allemagne ne fait pas exception.
Annalena Baerbock en visite au Camp Castor de la Bundeswehr au Mali
Au Mali, la donne politique a changé depuis les putschs d’août 2020 et mai 2021, puis la décision de la junte militaire au pouvoir de coopérer avec le groupe privé de sécurité russe Wagner.
Après la France, l’Allemagne envisage de retirer ses soldats du pays et de transférer une partie du contingent de la Bundeswehr stationné sur place vers le Niger voisin.
La ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock est actuellement en visite au Mali, pour “se faire une idée précise de la situation sécuritaire et politique” qui prévaut sur le terrain.
Multitude d’acteurs
Serval puis Barkhane, Misma puis Minusma, EUTM, Takuba, le G5-Sahel, la Force mutinationale conjointe, l’EUCAP-Sahel Mali… Au bout de neuf ans de présence de dizaines de milliers d’experts, de formateurs et de militaires étrangers pour lutter contre le djihadisme au Mali, et en dépit de la multitude des acteurs chargés de rétablir la sécurité, la situation se dégrade, notamment dans le nord et le centre du pays.
Anna Schmauder, chercheuse de l’Institut Clingendael, basée à Bamako, relève qu’“il est difficile de parler de succès des interventions étrangères, dans la mesure où la situation sécuritaire et politique s’est dégradée depuis qu’elles ont commencé. En même temps, ajoute-t-elle, nous n’avons aucun moyen de savoir comment la situation aurait évolué sans ces interventions.”
Le nombre de déplacés internes atteint au moins 400.000 personnes, sans compter les réfugiés qui ont fui dans d’autres pays.
Et “une grande partie du Mali échappe toujours à la protection des missions étrangères mais aussi de l’armée” nationale, comme le constate Andrew Lebovich, chercheur spécialiste du Sahel au Conseil européen pour les relations internationales (ECFR).
Des réfugiés maliens sont présents dans de nombreux pays voisins
“[Les soldats étrangers] ont réussi à tuer des chefs djihadistes mais on critique beaucoup les missions étrangères pour avoir tout misé sur le militaire et ne pas avoir fait assez pression sur les gouvernements, notamment au Mali, sur la gouvernance, pour inclure la population de tout le pays, analyse le chercheur de l’ECFR. Et donc tout le volet politique a vraiment échappé à plusieurs reprises à la France et aux autres puissances intervenant [dans le pays].”
Du Mali vers le Niger
La France a confirmé en février le retrait de son armée du Mali, conséquence de tensions politiques entre Paris et la junte au pouvoir à Bamako. Désormais, la France opèrera depuis ses bases du Niger et du Tchad.
La Minusma, elle, ne peut toujours pas se rendre à Moura pour enquêter sur les allégations d’exactions contre des civils qui pèsent sur l’armée malienne car elle n’en a pas obtenu l’autorisation de la part de la junte. Une limite patente de son champ d’action. Anna Schmauder estime que la Minsuma a été “surchargée de tâches sans disposer des moyens nécessaires pour remplir son mandat.”
Malgré cela, Annalena Baerbock, la ministre allemande des Affaires étrangères, en visite au Mali, se prononce en faveur d’un maintien de la participation allemande à la mission onusienne. Les députés du Bundestag se prononceront fin mai.
Nouveau rôle pour la Bundeswehr
La chercheuse Anna Schmauder, de l’Institut Clingendael, estime qu’il faudra commencer par “adapter la mission au contexte actuel et de fixer des objectifs plus réalistes”.
Elle rappelle que l’Union européenne a interrompu ses formations dans le cadre de l’EUTM-Mali “donc, probablement que la mission allemande se concentrera sur la Minusma. La Minusma est confrontée actuellement à l’une des pires situations depuis sa création. Elle aura à la fois de plus en plus affaire à une sécurité qui se détériore mais elle aura moins de capacités, en raison du contexte politique, mais aussi en raison du retrait de Barkhane qui assurait sa protection aérienne.”
Le gouvernement allemand reproche aux autorités de Bamako leur recours à des mercenaires russes du groupe Wagner et Berlin envisage de redéployer ses soldats au Niger, réputé être plus stable, et où la Bundeswehr a mis en place la mission Gazelle, qui forme des forces spéciales, notamment des nageurs de combat.
Un Niger plus exposé
Andrew Lebovich craint que cela ne fasse que déplacer le problème terroriste. Selon lui, “les groupes djihadistes auront plus de liberté d’action au Mali, mais aussi de l’autre côté de la frontière avec le Niger et le Burkina Faso – ou même les pays côtiers”. Alors si cela peut “permettre d’opérer plus de pression sur les autorités du Niger”, cela risque, d’après Andrew Lebovich, d'”accroître aussi le risque d’attentats djihadistes au Niger.”
Le Niger, face à la menace, entend doubler ses effectifs militaires d’ici 2025. Il pourrait accueillir les formateurs européens de l’EUTM-Mali qui pourrait alors être rebaptisée EUTM-Sahel. Dans l’espoir que cette fois, les armées formées ne soient pas impliquées, comme certains soldats des Fama à Moura, dans de graves violations des droits de l’Homme.
Pas de précipitation
Certains chercheurs, tels que l’Allemand Denis Tull de la SWP à Berlin, estiment par ailleurs que les nouvelles autorités militaires au pouvoir peuvent aussi être une chance de redéfinir le partenariat entre les Occidentaux et le Mali sur de nouvelles bases.
Dans un article paru en janvier 2022 sur le site de la SWP, Denis Tull estime en effet que, sous Ibrahim Boubacar Keita, la communauté d’intérêts était en fait une illusion : le président malien n’aurait en réalité pas poursuivi les mêmes objectifs que les troupes étrangères avec qui il faisait seulement mine de coopérer.
La Russie comme “complément utile”
Ulf Laessing, directeur du programme Sahel de la Fondation allemande Konrad Adenauer à Bamako, souhaiterait que l’Allemagne prenne son temps avant de se retirer du Mali :
“Il est sans doute légitime de discuter de la durée pour laquelle nous voulons encore rester au Mali, de voir si nos instruments sont efficaces, ce que nous pourrions améliorer, mais je mets en garde contre un retrait abrupt comme ce qui s’est fait en Afghanistan. Un tel retrait aggraverait encore l’insécurité au Mali et ferait le jeu de la Russie.”
D’autant que, d’après le chercheur allemand Denis Tull cité plus haut, “la Russie n’est pas une alternative [aux Européens] mais un complément utile” et que d’ailleurs “Moscou ne serait pas prêt à compenser un désengagement total des Européens” – et encore moins maintenant quand la Russie est en guerre avec l’Ukraine.
Source: DW
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