Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne

A la rencontre de Mme Diarra Mouna Coulibaly, présidente de l’ONG AMSHU, qui nous raconte sa fuite de Gao livrée aux Jihadistes: » J’ai reçu un appel me disant : apprête toi, ce soir nous viendrons te violer… «

L’association Malienne de Secours humanitaire d’Urgence (AMSHU) est une organisation apolitique créée suite à la crise du nord du Mali, avec pour mission le secours humanitaire d’urgence et la réinsertion sociale, professionnelle et économique des populations déstabilisées par la situation de crise au Mali. La présidente de ladite association, Mme Diarra Mouna Coulibaly, mère de deux enfants, elle-même déplacée, nous raconte les circonstances pathétiques de son périple, deux jours après la prise de Gao par les Jihadistes, le combat de son association en faveur des victimes de la crise du nord vivant dans les conditions difficiles.

interview invite question

Bonsoir Mme Diarra. Vous êtes une déplacée de Gao et témoin oculaire de la prise de Gao par les Jihadiste. Comment avez-vous vécu l’évènement ?

L’occupation des régions du Nord m’a trouvé chez moi à Gao où j’ai résidé 12 ans. Le jour de l’attaque, je m’apprêtais à aller faire mon marché et c’est alors que j’ai rencontré des gens qui m’ont demandé de retourner chez moi, car les rebelles étaient arrivés. Je n’y ai pas cru, tout de suite. Quelques instants après, j’ai vu apparaitre devant moi un groupe de Jihadistes tirant des balles comme des fous. C’est alors que mon garçon de 16 ans est venu me tirer pour me ramener à la maison. Ma maison n’étant pas loin du petit marché, toutes les femmes qui se trouvaient sur ce lieu ont couru pour me rejoindre chez moi. De l’intérieur, on entendait les tirs aux armes lourdes. Cela a duré toute la matinée, jusqu’à l’heure de la prière de 13 heures.

Quand ils ont arrêté de tirer, nous avons jugé nécessaire d’en profiter pour acheter à manger, car c’était là le début d’un calvaire. Sur le chemin du marché, j’ai rencontré des militaires que je connaissais habillés en civil, certains étaient même en tenue de femme. C’est en ce moment que j’ai fondu en larmes, car j’ai réalisé que c’était fini pour nous. À mon retour à la maison, un groupe de rebelles est passé frapper chez moi, j’ai ouvert la porte. Ils m’ont demandé si j’étais Sonhraï ou Bambara, j’ai dit Bambara. Ils ont demandé si j’étais chrétienne ou musulmane, j’ai dit musulmane. Ils m’ont demandé de lire la fatiha, j’ai exécuté. Ils sont partis en me promettant de revenir.

Vers le petit soir, alors que je m’apprêtais à accompagner mes enfants à la gare routière, mon téléphone a sonné, un numéro inconnu. Quand j’ai décroché, c’est un homme qui était à l’appareil, il m’a demandé si j’étais Mouna, j’ai dit oui, il m’a dit : je suis un rebelle, et nous voulons juste te demander de t’apprêter, car nous passerons te violer ce soir. J’ai répondu » d’accord, il n’y’a pas de problème « .

J’ai décidé de faire partir mes enfants à Bamako le même soir et moi je devrais suivre le lendemain. J’ai une des tantes à Gao, c’est chez elle que je me suis réfugiée pour passer la nuit. Mes enfants ont pris la route. Arrivés près de Douentza, ils m’ont appelé pour me demander de ne pas voyager, car les rebelles venaient de violer les femmes qui étaient dans le car. J’étais avec des connaissances et nous étions au nombre de quinze.

Nous avons donc décidé de ne plus passer par Douentza, mais plutôt par le Niger. Arrivés à une dizaine de kilomètres de la première ville du Niger, nous avons été arrêtés par la police de ce pays qui nous a promis de nous faire souffrir pour faire payer l’embargo que le Mali a encouragé contre le Niger après le coup d’Etat militaire. Nous avons subi des sarcasmes et tracasseries en marchant plus de 10 kilomètres avant d’arriver à la première ville nigérienne. Nous sommes restés quelques jours chez l’une de mes connaissances puis nous avons pris la route du Burkina Faso. Là aussi, nous avons subi toutes sortes de tracasseries routières.

Dieu merci, le 10ème jour après notre départ de Gao, nous sommes arrivés à Bamako.

Vous êtes la présidente de AMSHU. Comment vous est venue l’idée de créer une association ?

Je suis moi-même une déplacée de la région de Gao. Je suis partie du constat qu’au début de la crise, les déplacés se trouvant à Bamako étaient éparpillés dans la ville. Il y’avait donc le risque que les Bamakois ne prennent pas au sérieux ce que nous avons vécu. Je me suis dite que seule l’union fait force, et qu’en nous mettant ensemble, nos voix allaient porter. C’est comme cela qu’est née AMSHU, dont le lancement officiellement a eu lieu le 2 juin 2012 à la maison de la presse de Bamako.

Comment avez-vous procédé pour vous rassembler ?

J’ai dû user des stratégies de communication pour y parvenir. C’est l’occasion pour moi de profiter de vos colonnes pour remercier infiniment les responsables de la radio Nyata qui, dès les premières heures, m’ont donné la possibilité de communiquer à tout moment. Et la différence avec les autres associations est que AMSHU a en son sein les déplacés venant de quatre régions du Mali à savoir : Gao, Kidal, Tombouctou et Mopti.

De combien de déplacés votre association s’est-elle occupée ?

J’avais plus de 3 000 déplacés à mon compte. Plus de 1 000 sont rentrés et d’autres, parmi eux sont encore retournés à Bamako, car ils n’ont rien trouvé sur place, même plus le logement. Donc, présentement, il reste 2 000 déplacés à Bamako.

Lors d’une de nos enquêtes à Tombouctou, nous avons rencontré des femmes victimes de viol de la part des Jihadistes qui ont mis au monde des enfants. Avez -vous des cas au sein des membres de votre association?

Oui, j’avais recensé une douzaine d’enfants, nés de femmes victimes de viol. Ce recensement était d’une importance capitale car ces enfants méritent une attention particulière. Idem pour leur maman qui, en majorité, ont été répudiées par leurs maris. J’attire une fois de plus l’attention de nos autorités pour se pencher sur ces cas.

Ces derniers temps, les autorités font croire qu’il n’ya plus de déplacés à Bamako…

Vous vous êtes déplacée pour venir au sein de l’ONG. A vous de témoigner si oui ou non il y’a encore des déplacés à Bamako.

Oui mais pas en grand nombre…

Effectivement, les locaux de l’association ne peuvent pas contenir tout le monde. Donc ils sont repartis dans les familles. Il y a aussi ceux qui ont bénéficié des dons Norvégiens, ils sont au marché, car ils ont commencé à exercer un petit commerce. Sinon je vous confirme que j’ai 2 000 déplacés présentement et, à cause justement des déclarations de nos autorités, les ONG internationales ont arrêté l’aide aux déplacés

Comment faites-vous pour vivre présentement ?

Moi, personnellement, je peine tous les matins pour avoir 175 FCFA pour emprunter la Sotrama, afin de me rendre au siège de l’association. Sans compter que j’ai ma famille aussi à nourrir. Nous profitons de vous une fois de plus pour remercier nos partenaires qui, durant toutes ces années, nous ont donné à manger. Notre souhait était de voir nos membres bénéficier aussi de la réinsertion dans la fonction publique ou dans les métiers divers. Malheureusement, tel n’a pas été le cas.

Nous constatons l’existence d’un grand nombre d’associations et ONG disant œuvrer dans le même le sens…

AMSHU a été la toute première association qui a vu le jour suite aux évènements du Nord. Je puis vous assurer que la majorité de ces associations qui existent aujourd’hui ont été créées selon nos textes.

Vous voulez dire qu’elles vous ont copié ? Et comment ?

Voyez-vous, les membres de certaines associations sont venues nous rencontrer ici, sous prétexte de nous apporter de l’aide. Nous avons fourni nos documents et au finish ils se sont plutôt inspirés de nos textes pour créer leur propre association. Pire, au lieu de chercher à travailler convenablement, leur stratégie c’était plutôt de nous saboter.

Et ce jeu de sabotage a-t-il réussi?

Bien sûr que oui, d’autant plus que ce sont des associations bien implantées tant sur la scène nationale qu’internationale. Ils ont des ouvertures un peu partout et ont utilisé notre association pour bénéficier des dons (matériels et financiers) que nous n’avons jamais vus. L’État aussi ne collabore qu’avec les siens. Nous sommes la première association créée au nom des déplacés. La moindre des choses serait de voir nos membres réinsérés au niveau de la fonction publique. C’est juste un exemple parmi tant d’autres…

Si les autres associations ont utilisé ces dons à des fins utiles, c’est aussi bien…

C’est là où le bât blesse. Ces dons n’ont pas servi aux déplacés. Il y a des cadres ressortissants des régions du nord du Mali vivant ici à Bamako qui sont devenus riches sur le dos des déplacés. Ils tapent à toutes les portes à l’international et mettent au-devant leur origine pour exploiter leurs propres frères. C’est vraiment sadique.

Vous semblez très remontée… Avez-vous des preuves de vos déclarations ?

Une ressortissante de Gao et haut responsable de ce pays dont je préfère taire le nom, mais qui se reconnaitra à travers vos colonnes, a reçu des quantités de dons en vivre destinés aux populations de Gao. Mais je vous assure que le convoi alimentaire n’est jamais arrivé à destination. Le camion est passé par le Niger, où elle a liquidé tous ces dons. Ce qu’elle n’a pas pu vendre, elle l’a distribué entre les membres de sa famille et le reste elle l’a stocké dans son garage.

Avez-vous des nouvelles de Gao? Est-ce qu’elles sont bonnes ?

Oui, tous les jours, car même nos membres rentrés au terroir, nous avons le devoir de prendre de leur nouvelle. Aux dernières nouvelles, la ville tarde à reprendre son envol, mais petit à petit, nous gardons espoir que tout reviendra à la normale. Mais ce qui est inquiétant, c’est le fléau de prostitution qui mine actuellement la ville de Gao. Pour l’enrayer, il faut trouver du travail aux jeunes filles, afin de les occuper, mais aussi redoubler d’effort à la sensibilisation et à l’éducation à la base.

Qu’est ce qui peut être à l’origine de la poussée de la prostitution ?

La pauvreté, le chômage et les mauvaises fréquentations.

Si le phénomène prend de l’ampleur, ça veut dire que les filles y trouvent leur compte…

Gao, aujourd’hui, est le centre des affaires des régions du Nord. Avec la venue des projets, de la Minusma, de Serval, etc… c’est sûr que beaucoup de choses vont se passer et que l’on ne pourra pas empêcher, mais c’est à nous de sensibiliser nos progénitures.

Un message pour la fin ?

Mon appel va à l’endroit des ministres de la Famille, de l’Enfant et de la Promotion de la Femme, de la Réconciliation et du Développement des régions du Nord et du Travail, des Affaires sociales et humanitaires pour travailler dans la transparence sans parti pris. Nous ne sommes pas en opposition avec le gouvernement. Mais nous voulons qu’on nous mette dans nos droits.

SOURCE: Bamako Hebdo

Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne
Ecoutez les radios du Mali sur vos mobiles et tablettes
ORTM en direct Finance