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. La liberté de manifestation est un droit constitutionnellement garanti au Mali : « L’invocation de l’Etat d’urgence est faible pour justifier politiquement et juridiquement l’interdiction d’une marche pacifique de l’opposition. Elle n’est qu’une volonté délibérément orchestrée par le pouvoir politique pour conserver son pouvoir ».

Dans le préambule de la Constitution du 25 février 1992, le Mali a souscrit à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui autorisent et garantissent aux citoyens la liberté de manifester et d’exprimer ses opinions. La liberté de manifestation est un droit constitutionnellement garanti au Mali.

Il nous semble tout aussi important l’article 10 de la loi n° 007 du 4 mars 2015 portant statut de l’opposition politique au Mali, qui dispose : « Il est reconnu aux partis politiques de l’opposition le droit de s’exprimer publiquement. Ils ont accès aux médias d’Etat au même tire que les partis politiques de la majorité (…) ». L’article 17 de la Loi 00-045 du 07 juillet 2000 portant charte des partis politiques ajoute : « Les partis organisent librement leurs activités. Toutefois, les manifestations dans le domaine public sont soumises à une déclaration préalable. La direction du parti, dans la collectivité territoriale donnée, adresse une déclaration à l’autorité compétente trois jours avant la date de la manifestation. L’autorité compétente peut interdire la manifestation en cas : d’indisponibilité prouvée des lieux ; de risque de troubles de l’ordre public ; de non-conformité à la loi ou de tout autre motif grave. En l’absence de refus motivé ou de réponse non notifiés dans un délai de 48 heures avant la manifestation, celle-ci est autorisée de fait ; cependant, les organisateurs sont tenus d’en informer les autorités compétentes avant la manifestation ». L’article 18 de la même loi va même beaucoup loin pour dire explicitement que : « Les marches ou meetings de protestation ou de soutien, par rapport à une décision ou à un acte de l’autorité publique, ne sont pas soumis à une autorisation préalable. Cependant, les organisateurs sont tenus d’informer les autorités compétentes. Les organisateurs assistent l’autorité publique dans le maintien de l’ordre. Ils sont tenus pour responsables de tous actes et comportements de leurs militants dommageables à la sécurité des personnes et des biens, à condition que les faits reprochés soient juridiquement établis ».

En revanche, cette liberté de manifestation est soumise à une déclaration préalable auprès de l’administration qui apprécie et est chargée de la police du maintien de l’ordre, c’est-à-dire d’encadrer la manifestation par des mesures de protection. Si l’autorité investie des pouvoirs de police estime que la manifestation est de nature à troubler l’ordre public, elle peut l’interdire par une décision qu’elle motive et notifie immédiatement aux principaux intéressés. Dans cette hypothèse, l’Administration en est l’autorité d’interdiction, mais elle n’en est pas l’autorité d’autorisation.

La manifestation du 02 juin dernier a été interdite en raison de l’Etat d’urgence qui traverse actuellement notre pays par les autorités du Mali. La seule motivation donnée par ces dernières reste l’Etat d’urgence sans plus de précisions particulières quant à l’élément susceptible de troubler l’ordre public au cours de cette manifestation. L’autorité d’interdiction aurait pu nous évoquer explicitement et spécifiquement les indicateurs démontrant précisément et exactement que cette manifestation serait de nature à troubler l’ordre public.

L’invocation de l’Etat d’urgence est faible pour justifier politiquement et juridiquement l’interdiction d’une marche pacifique de l’opposition. Elle n’est qu’une volonté délibérément orchestrée par le pouvoir politique pour conserver son pouvoir.  

Au regard de cette faiblesse du gouvernement malien, l’opposition pouvait se prévaloir de deux (2) voies de recours en vue de faire face à l’interdiction de manifester. La première est relative à l’utilisation de la procédure d’urgence auprès du juge des référés en vue d’annuler la décision du gouverneur du district de Bamako. L’autre voie de recours fait allusion à la désobéissance civile pour faire respecter la démocratie et les libertés en danger dans leur pays. La Constitution du Mali du 25 février 1992 consacre dans son article 121 que « Le fondement de tout pouvoir réside dans la Constitution. La forme républicaine de l’Etat ne peut être remise en cause. Le peuple a le droit à la désobéissance civile pour la préservation de la forme républicaine de l’Etat. Tout coup de d’Etat ou putsch est un crime imprescriptible contre le Peuple Malien ».

Politiquement, au regard des manifestions et attroupements antérieurement organisées pacifiquement dans notre pays malgré la présence de l’Etat d’urgence, on peut soutenir sans risque de se tromper que cette interdiction intervient dans une logique de conservation du pouvoir. Le gouvernement n’est pas de bonne foi avec le peuple malien en interdisant une telle manifestation qui nous ramène à la tragédie coloniale. Même pendant la colonisation, les manifestations étaient autorisées. Les manifestations et les attroupements ont toujours été pacifiques au Mali en cette période d’Etat d’urgence. Les manifestations répétées du  Mouvement An tè a bana au moment de la révision controversée du Président de la République, la récente visite du Président IBK à Ségou et à Kagamba qui a mobilisé plusieurs centaines de ses partisans, l’organisation des fêtes de Maouloud avec une mobilisation sans précédent, les déclarations de candidatures à l’élection présidentielle de juillet prochain avec des salles remplies de militants, etc., n’ont occasionné aucun trouble à l’ordre public. On interdit les attroupements si ça renforce l’opposition dans son combat, on l’autorise si ça aide le pouvoir politique à se maintenir au pouvoir. SOYONS SÉRIEUX !

Cette situation dénote déjà les prémices d’une crise postélectorale fatale au sortir de la présidentielle de juillet prochain. On craignait il y’a quelques jours la survenance d’une crise postélectorale, aujourd’hui nous nous acheminons vers une crise préélectorale bien avant même les élections. Et au regard de la survenance d’une crise postélectorale inévitable dans notre pays, le recours à l’ouverture d’une période transitoire pour notre pays est vivement souhaitable pour éviter l’enlisement de la crise qui a déjà trop duré dans notre pays avec les conséquences aujourd’hui dramatiques sur le quotidien des Maliens. A la sortie des présidentielles de 2013, la communauté nationale et internationale pensaient que l’élection était l’unique alternative de sortie de crise. Où est-ce qu’on en est en 2018 ? De septembre 2013 au 02 juin 2018, quel est l’état de santé du grand Mali ? L’élection est-elle une alternative de sortie de crise pour le cas spécifique du Mali ? En tout état de cause, de 2013 à 2018, la leçon qu’on peut tirer est de soutenir l’option selon laquelle, l’élection, à l’heure actuelle, n’est pas la solution pour une sortie de crise durable. Au jour d’aujourd’hui, seule une « transition démocratique » (Ex. Burkina Faso) s’impose pour éviter à notre pays la plus grave crise post électorale de l’histoire de notre République.  Seule la transition peut sauver le Mali en cette période cruciale de l’histoire du pays.

Dr. Ibrahim Boubacar SOW

Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJPB)

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