Rarement, le ton est autant monté entre la France et l’Allemagne. Les sujets de discorde sont nombreux, un conseil des ministres franco-allemand prévu pour le 26 octobre a été annulé, empêchant une forme d’échange entre tous les membres des deux gouvernements, particulièrement utile en période de crise.

Comment en sommes-nous arrivés là ? La responsabilité première tient bien sûr au relâchement des liens bilatéraux depuis des années, à une certaine routine qui s’est installée. Ce sont toutefois les tensions inouïes du monde qui ont creusé les fissures.

La Russie, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, a violé la charte dans son principe même : une guerre d’agression a lieu, en ce moment, sur le sol européen. Plusieurs pays émergents, comme la Chine, l’Arabie saoudite ou l’Inde, redéfinissent leur rôle, affirmant leur puissance dans un jeu global moins coopératif. L’épidémie de Covid-19 a plongé des dizaines de millions de personnes dans l’extrême pauvreté. Dans le même temps, la planète est frappée par le changement climatique et des atteintes à la nature d’une ampleur inédite.

Face à ces phénomènes profonds, la France et l’Allemagne, comme l’ensemble des pays européens, ont des intérêts vitaux communs. Malheureusement, les débats politiques, superficiels et largement autocentrés, ignorent ces lames de fond. Les disputes actuelles entre Français et Allemands relèvent d’un mécanisme assez typique dans les crises, où chacun se crispe sur sa position et montre du doigt celui qui était son partenaire privilégié.

Revoir le plan d’ensemble

Alors que faire ? Pratiquer un exercice délaissé, l’écoute en profondeur, en prenant le temps nécessaire pour aller au-delà d’une perspective de court terme. Dans la coopération franco-allemande, un précédent existe qui pourrait nous inspirer : après le sommet européen de Nice, catastrophique, en 2001, le chancelier Gerhard Schröder et le président Jacques Chirac avaient inventé le « processus de Blaesheim », des réunions informelles en tout petit comité qui se tenaient toutes les six semaines environ et qui ont permis de restaurer la convergence.

Laissons de côté les récriminations réciproques. L’Allemagne n’a pas vraiment répondu aux offres politiques d’Emmanuel Macron depuis 2017, comme la France avait ignoré celles de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) en 1994 ou du ministre des affaires étrangères allemand Joschka Fischer en 2000. La vérité est que, depuis la chute du mur de Berlin, nous avons certes pris un nombre important de décisions fondamentales en Europe (la création de l’Euro, l’élargissement à l’Est qui a mis des pays à l’abri de la zone d’influence soviétique ou encore plus récemment le plan de relance NextGenerationEU), mais sans revoir assez le plan d’ensemble ni donner assez de souffle à l’Union européenne (UE).