La guerre en Ukraine va accroître la dépendance militaire et énergétique de l’Europe à l’égard des Etats-Unis. Sans compter qu’elle éloigne l’idée d’une autonomie stratégique européenne, défendue notamment par la France, estime la politiste Alexandra de Hoop Scheffer dans une tribune au « Monde ».
Tribune. Le gendarme américain est de retour en Europe. Sous la double pression du Congrès américain et des alliés du flanc est de l’OTAN, l’administration Biden opère un recalibrage, sans précédent depuis la fin de la guerre froide, de la posture de défense des Etats-Unis en Europe. Le nombre de soldats des forces américaines déployées sur le continent est passé de 80 000 à 100 000 en deux mois, se rapprochant du niveau de 1997, quand les Etats-Unis et leurs alliés entamaient le processus d’élargissement de l’Alliance à l’est.
A titre de comparaison, en 1991, il y avait 305 000 militaires américains en Europe, dont 224 000 en Allemagne, selon les archives du Pentagone. Le nombre de troupes américaines a ensuite diminué de manière constante pour atteindre 64 000 en 2020. Washington n’a aucune intention ni volonté politique de revenir aux niveaux de 1991, et son objectif stratégique à moyen et long termes reste l’endiguement de la puissance chinoise. Mais la guerre en Ukraine l’oblige à « repivoter » partiellement vers l’Europe.
Pour les Européens, la guerre aura comme conséquence d’accroître leur dépendance militaire et énergétique à l’égard des Etats-Unis. Certes, l’Union européenne (UE) a pris des décisions importantes dans ces deux secteurs, avec l’augmentation des budgets de défense, la livraison d’armes létales à l’Ukraine via la « facilité européenne pour la paix » [un instrument financier doté de 5 milliards d’euros] et l’octroi par les pays membres de l’UE d’un mandat à la Commission européenne pour effectuer des achats de gaz groupés.
Capacités de nuisance
Mais l’ambition d’autonomie stratégique, qui a pourtant progressé chez un certain nombre de partenaires de la France, comme les Pays-Bas et la Finlande, est aujourd’hui supplantée par un appel des pays européens à la garantie de sécurité des Etats-Unis, à leur gaz naturel liquéfié et à leur industrie de défense. Ce réengagement des Etats-Unis en Europe s’accompagnera d’une forte pression américaine sur leurs alliés pour qu’ils contribuent davantage à la défense collective de leur territoire, tiennent leurs engagements – ce sera particulièrement vrai pour l’Allemagne – et s’alignent sur leur politique de fermeté à l’égard de la Chine.
Source: lemonde