La corruption est sans doute un phénomène universel au point que bons nombres de spécialistes la qualifie de ‘’gangrène du siècle’’. Pour cause, elle sévit sévèrement autant dans les pays pauvres que dans les pays riches, dans les plus hautes sphères de l’Etat, dans la fonction publique que dans la vie de tous les jours. Mais en Afrique, de manière générale, au MALI particulièrement elle a atteint des proportions si inquiétantes qu’on peut sans ambages parler de ‘’pathologie sociale’’ ou de ‘’cancer culturel’’.
Ces expressions métaphoriques aux relents médicales traitant la corruption de ‘’maladie sociale ‘’ sont bien à propos dans la mesure où si on représente la société comme un organisme vivant ou un ‘’corps social’’ se nourrissant de la transparence, de la bonne gouvernance et de la probité pour vivre et avoir une santé morale, politique et économique, la corruption tel un virus attaque les organes vitaux, obstrue les artères sociopolitiques au point de plonger tous les secteur névralgiques de la communauté dans un coma profond.
La corruption apparait comme un acte pénalement blâmable par lequel une personne ‘’le corrompu’’ demande ou reçoit un don en nature ou en espèce, une offre ou une promesse, des cadeaux ou des avantages multiformes du “corrupteur” dans le but d’accomplir une tâche liée directement ou indirectement à l’exercice de ses fonctions. Qu’elle soit ‘’active” ou ‘’passive ’’, ‘’publique ‘’ou ’’ privée’’ ; la corruption cause toujours des ravages si profondes qu’elle paralyse tous les rouages de la vie sociale, politique et économique.
La corruption encrée dans les mœurs !
Au Mali, il y a lieu de le dire la corruption est si encrée dans les mœurs, dans les habitudes sociales ou quotidiennes qu’elle apparait comme une gangrène sociale fruit d’une survivance de pratiques culturelles millénaires s’exprimant dans des expressions Bamanan du genre “worossongon’’ (prix du colas) ou “Sourafen” (ce qu’on donne la nuit).
On n’ est donc pas étonné de voir l’institutionnalisation de la corruption au Mali à telle enseigne que de l’employé municipal, au fonctionnaire administratif, en passant par l’agent de police, le magistrat , le phénomène est si récurrent qu’il apparait comme normal. Chacun s’y livre sans aucun remords, sans aucune prise de conscience patriotique et demande sans vergogne son “worossongo” ou sa part du gâteau oubliant qu’il est en train de s’accaparer des deniers publics et de compromettre l’avenir du pays.
Qu’elle soit ‘’petite’’ comme celle pratiquée par les agents subalternes en parfaite collaboration avec leurs supérieurs dans l’administration, la corruption prend des allures de coopérative dans laquelle tous les acteurs touchent leur part du butin. S’il en est ainsi, c’est parce que les politiciens et les cadres de l’administration publique, de la justice du pays s’adonnent à la grande corruption inspirant les citoyens, et contribuant ainsi par le phénomène social du mimétisme à instaurer une véritable « culture de la corruption ».
Ce qui est remarquable, c’est que plus on s’enlise dans ce tourbillon de la corruption, plus on est gagné par une manie et une boulimie corruptives nous délestant de notre dignité et de notre sens du patriotisme, car on oublie qu’on est nommé ou élu non pas pour nous servir mais pour servir ses concitoyens.
Même ceux-là qui résistent à la tentation de la corruption sont soumis à une pression sociale et parfois politique insoutenable, car ils deviennent les parias d’un système mafieux qui ne tolère pas la droiture et la vertu. La corruption est partout, elle crève l’œil des citoyens résignés et parfois complices de cette pratique immonde devenue par le laxisme de nos autorités un véritable fléau social.
Sinon comment accepter ou admettre que des fonctionnaires avec peu d’expérience et aux salaires modestes puissent avoir un train de vie qui n’envie rien à Kankou moussa ce célèbre empereur mandingue connu pour ses richesses fabuleuses. En réalité, le mode de vie des africain en général et particulièrement des maliens encourage la corruption dans la mesure où il promeut le règne du paraître sur l’être, du festif sur le travail de sorte que, le fonctionnaire ne peut plus se suffire de ce qu’il gagne ; il cède à la tentation corruptive et de sauver les apparences sociales en montrant qu’il gagne ‘’ bien ‘’ sa vie.
C’est ce que fait remarquer Hacinthe Sarrssoro dans son analyse de la corruption des employés du public dans le contexte africains :
« La corruption du fonctionnaire est une conséquence du mode de vie de la société dont il est issu et dans laquelle se déroule son activité professionnelle …
Ainsi tout fonctionnaire [Africain] se trouve enfermé dans une trame coutumière dont la loi n’arrive pas à l’exorciser et dont les deux composantes fondamentales sont la conception de la famille Africaine et le système socioculturel. ».
En, vérité si la corruption se développe tant au Mali, ce n’est pas seulement dû à la cupidité des corrompus, mais également aux laxismes et à l’insouciance civique des corrupteurs, car il n’y a pas de corrompus sans corruptureur. Or, l’environnement socio-culturel au MALI est corruptogène.
Toutes ces considérations sur la corruption doivent nous amener à dire que le combat contre ce phénomène ne doit pas seulement se limiter à la création d’organes ou d’institutions à l’image du Bureau du Vérificateur général mais il doit passer par un changement en profondeur de nos habitudes sociales, par une prise de conscience citoyenne du bien commun .
Certes, il est plus qu’important de promouvoir la transparence et la bonne gouvernance ; mais il faudra impérativement s’attaquer aux racines du mal à savoir le sentiment d’impunité dont jouissent les corrompus pouvant prendre des formes aussi perverses que l’interventionnisme des religieux pour protéger leurs ‘’vaches laitières’’, la pression des lobbies politico-économiques pour sauvegarder leurs’’ pourvoyeurs de fonds électoraux’’, par ‘’la médiation pénale’’ pour ne pas éclabousser les parrains hauts placés de ce système corruptif et pour protéger ses arrières en cas de perte du pouvoir .
Paraphrasant, le Président Barack Obama, nous pouvons dire que la lutte contre la corruption a plus besoin d’hommes forts que d’institutions fortes, c’est- à-dire il faut que ceux qui nous gouvernent donnent l’exemple en terme de probité morale, de rigueur , de gestion des biens publics et qu’ils arrêtent d’entretenir une clientèle politique et électorale, qu’ils incitent le peuple dans leurs actes comme dans leurs propos au travail et gagner honnêtement leurs vies, qu’ils soient impitoyables dans la répression des personnes coupables de corruption de quelques bords qu’elles soient .
À défaut d’un ‘’plan Marshall’’ pour ne pas dire d’un plan ‘’IBK (Ibrahim Boubacar Keita) !!!’’ ou d’un traitement de choc pour éradiquer la corruption, l’éducation ne sortira jamais de son cycle endémique de grèves et de débrayages, la santé continuera sa déliquescence exponentielle, l’agriculture sombrera dans une léthargie profonde et incurable, les infrastructures moribondes et déficientes freineront tout espoir de développement ou d’émergence, la justice se dégradera au point de compromettre la paix sociale et la viabilité démocratique car non seulement la corruption provoque un manque à gagner économique (voir les rapports du BVG) mais surtout elle discrédite notre pays au point de faire fuir les potentiels investisseurs .
On peut donc soutenir à la suite d’Alain Etchegoyen que pour éradiquer le mal de la corruption : « la première urgence est, non pas de faire feu, mais de la mettre en pleine lumière pour dissiper les ombres. [En effet], la répression est nécessaire, mais la prévention est d’une autre importance : elle n’est possible, [cependant], que si nous connaissons au mieux la mécanique de la corruption. »
Sambou Sissoko