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La Constitution en dix questions et réponses : Éclaircissements sur le débat du référendum constitutionnel au Mali

LA CONSTITUTION EN DIX (10) QUESTIONS ET RÉPONSES

Le débat sur le référendum constitutionnel est une question d’intérêt national qui, de ce fait, interpelle toutes les Maliennes et tous les Maliens.

Le président du CNID-FYT a décidé de faire une contribution en intervenant dans le débat à travers dix questions et réponses.
I- QU’EST-CE QU’UNE UNE CONSTITUTION ? LA CONSTITUTION A-T-ELLE VOCATION À RÉSOUDRE TOUS LES PROBLÈMES DU MALI ET DES MALIENS ? PEUT-ELLE ÊTRE PARFAITE ?
1- La Constitution est la norme la plus élevée de l’ordre juridique, dont découlent toutes les autres règles. Elle est au sommet de la hiérarchie ou de la pyramide des normes.
2- La Constitution pose les grands principes qui sont complétées et/ou détaillées par les lois (organiques ou ordinaires), les actes règlementaires (Décret – Arrêté – Décisions…). Elle ne rentre pas dans des détails. La Légistique, qui est la science de l’écriture des textes législatifs et règlementaires, pose des règles très précises.
En l’occurrence, le louable souci de pédagogie et la quête du consensus a quelquefois conduit les rédacteurs de projet à y insérer des règles qui relèvent normalement de la loi organique et parfois même de la loi ordinaire.
3- Une Constitution n’est jamais parfaite : nul, y compris ses initiateurs, ne peut en être entièrement satisfait ni en être totalement insatisfait. Elle ne peut non plus régler tous les problèmes d’un pays en un instant T.
4- La souveraineté, l’authenticité, le retour aux sources ne s’opposent pas à l’adoption de règles universelles propres à l’Etat moderne. En effet, certaines règles sont consubstantielles à l’Etat moderne même si elles peuvent s’appliquer différemment selon les pays. L’Arabie Saoudite, le Japon, les USA, le Brésil ou le Mali et tous les autres pays du monde partagent ainsi certaines de ces règles.
5- Au demeurant, le projet de constitution, comme celle de 1992, ne sera que ce qu’en feront les Maliens, gouvernants comme gouvernés. Les premiers en faisant preuve de vertu républicaine et démocratique et les seconds, en jouant leur rôle de sentinelle vigilante.
II- LE PROJET DE CONSTITUTION EST-ELLE LA NEGATION DE CELLE DE 1992 ? JETTE-T- ELLE A LA POUBELLE LA CONSTITUTION DE 1992 ?
1- Comme toute œuvre humaine, la Constitution de 1992 est perfectible et ses « pères » doivent accepter cette règle universelle.
• Les enfants nés le jour de l’adoption de la Constitution de 1992 ne sont-ils pas aujourd’hui des pères de famille.
2- Le besoin de rénover la Constitution de 1992 a été exprimé, sans succès, par les trois (3) présidents de la République élus depuis 1992.
3- La Constitution de 1992, quoi qu’en en dise, a tenu trente ans. Mais, depuis son adoption il y a une trentaine d’année, la pratique politique et institutionnelle du Mali et l’évolution du monde ont mis en évidence la nécessité de prendre en compte de nouvelles réalités.
En définitive, la Constitution en cours d’adoption complète et actualise celle de 1992. Il n’y a pas de conflit, mais une complémentarité entre elles.
III- UN RÉGIME DE TRANSITION PEUT-IL INITIER UNE NOUVELLE CONSTITUTION ?
1- La Constitution du 02 juin 1974 a été initiée et adoptée sous un régime d’exception et de parenthèse constitutionnelle dans un contexte de forte répression.
2- La Constitution de 1992 a été, elle-même, initiée et adoptée sous un régime de Transition démocratique.
3- L’adoption d’une nouvelle Constitution est une recommandation des Assises nationales de la Refondation (ANR) qui doivent être appliquer dans toute la mesure du possible.
4- Peut-on soutenir que le Président de la Transition qui remplit les fonctions de Chef de l’Etat et qui à ce titre a :
• procédé à la nomination du Premier ministre et du Gouvernement,
• des ambassadeurs qui sont acceptés partout au monde ;
• accueilli des Chefs d’Etats étrangers ;
• accordé des grâces à des détenus ;
• décoré de nombreuses personnalités nationales et étrangères
• accompli les actes liés à sa qualité de Chef suprême des Forces de défense et de Sécurité (FDS…] sans élever de protestation…
n’a pas le droit de prendre une initiative constitutionnelle.
IV- LE PC PORTE-IL ATTEINTE À LA LIBERTÉ DE CULTE AU MALI ? QU’EST-CE QUE L’ETAT LAIC ?
L’Etat laïc n’est pas irréligieux mais il n’est pas non plus fondé sur une seule religion ;
Ainsi
1- L’Etat laïc ne doit pas rejeter les religions : ceci est le fait d’un Etat irréligieux comme Cuba jusqu’en 1992 ou d’ailleurs l’athéisme d’État a été aboli et remplacé par la laïcité ou de certaines anciennes démocraties populaires.
– L’Etat laïc n’est pas non plus gouverné sur la base d’une seule religion comme l’Arabie Saoudite ou la Mauritanie.
3- L’Etat laïc intègre toutes les religions, les respecte toutes mais se tient à égale distance d’elles ; ce qui induit la prise en compte de leur importance respective.
4- Enfin L’Etat laïc peut et doit aider les citoyens à pratiquer leur foi ;
Il existe de nombreux modèles d’Etats laïcs :
 Le modèle français fondé sur le principe selon lequel « pour que l’État respecte toutes les croyances de manière égale, il ne devrait en reconnaître aucune ».
• Ce modèle se rapproche de l’Irréligiosité
 Le modèle américain : Les références à Dieu sont omniprésentes dans la pratique politique américaine. En témoignent
• Le Serment du président élu sur le Livre Saint de sa Foi ;
• La mention « In God we trust » [En Dieu, nous croyons] sur le dollar américain ;
• Certains Etats fédérés qui financent même les religions.
En définitive, si en France, l’État rassemble par son indifférence voire son rejet des cultes, les Etats Unis d’Amérique, au contraire, rassemblent en créant un point commun qui est le fait de croire.
D’ailleurs, il est impossible, actuellement, pour un athée de se faire élire président des USA.
 Le modèle Turc : La mention « la religion de l’État turc est l’islam » maintenue dans la constitution turque du 20 avril 1924 a été supprimée le 11 avril 1928 et remplacée le 10 décembre 1937 par « l’État turc est républicain, nationaliste, populiste, étatiste, laïc et réformateur ».
Mais la préférence pour l’Islam est assumée par l’Etat qui entretient même des mosquées.
La Constitution turque de 1982 rend l’enseignement religieux obligatoire à l’école publique (sauf pour les enfants de minorités religieuses). « L’éducation et l’enseignement religieux et éthique sont dispensés sous la surveillance et le contrôle de l’État. »
La Constitution prévoit qu’aucune réforme constitutionnelle ne peut porter atteinte à un certain nombre de principes, dont la laïcité
 Le modèle russe : La constitution de 1993 de la Fédération de Russie pose les principes de la laïcité dans la fédération de Russie. Les cours de civilisation orthodoxe sont obligatoires dans les écoles de certaines régions. L’islam est enseigné dans les républiques du Caucase.
 Le modèle libanais ou le confessionnalisme : Les différentes communautés du Liban se partagent constitutionnellement le pouvoir. Les postes du gouvernement, ainsi que les sièges au Parlement sont distribués entre les représentants des confessions religieuses.
Mais, il convient de rappeler que la constitution du Liban évoque la sortie du système confessionnaliste dans son préambule : « La suppression du confessionnalisme politique constitue un but national essentiel pour la réalisation duquel il est nécessaire d’œuvrer suivant un plan par étapes. »
Ici au Mali, nonobstant l’adhésion de Haut Conseil Islamique au maintien de la laïcité dans le projet de nouvelle constitution, certaines personnes ou associations musulmanes restent opposées à la Laïcité :
• elles manifestent leur préférence pour l’Etat multiconfessionnel que les libanais veulent supprimer.
• dénoncent des comportements ou propos irréligieux tenus par certaines personnes sous le couvert de la laïcité.
Il convient de se pencher sur ces frustrations provoquées par des comportements qui n’ont rien à voir avec la laïcité ou par des personnes qui n’y ont rien compris.
• Les demandes de protection ou de promotion de la religion comme l’enseignement religieux dans les écoles publiques ou la traduction de la Laïcité en bamanan « Dina ko tè a la » (Exclusion de toutes les religions) par « Dina bè bi a la » (prise en compte de toutes les religions) pourraient être discutés avec les pouvoirs publics après le référendum.
NB : Ces points sont explicités et tranchés dans mon programme de gouvernement publié en 2012 et 2018.
Le temps n’est-il pas venu de réfléchir ensemble sur les points suivants :
1- ALLAH SWT a créé un monde avec des musulmans et des non-musulmans alors que dans sa magnificence il aurait pu faire de tous les humains des musulmans ; Devons-nous contrarier cette volonté ?
2- La Sourate « Les Infidèles » qui dit « A vous votre religion, et à moi ma religion »
3- Quelle différence peut-on trouver aujourd’hui entre le Mali et la République islamique de Mauritanie dans la gestion de l’Etat ?
4- Quel serait le sort réservé aux musulmans si tous les pays du monde supprimaient la laïcité si l’on sait que ces musulmans sont minoritaires dans de très nombreux pays ?
Au final, ne suffirait-il donc pas de chercher à expliquer et à obtenir progressivement satisfaction sur les différents points de revendication ?
V- QUELLE PLACE ET RÔLE LE PROJET DE CONSTITUTION ACCORDE AUX MALIENS ÉTABLIS À L’EXTÉRIEUR DANS LA VIE PUBLIQUE NATIONALE ?
1- Quatre (4) traits caractérisent les Maliens établis à l’étranger
• Leur apport au Mali très important sur les plans économique et social ;
• Un potentiel scientifique et culturel important ;
• L’amour et l’attachement à la Patrie toujours manifestés ;
• Ils savent qu’ils peuvent avoir 2 ou plusieurs nationalités mais qu’ils n’ont qu’un seul Mali.
2- Il n’y a aucune restriction pour aucune fonction politique pour les Maliens établis à l’extérieur.
3- Les Maliens établis à l’étranger peuvent désormais siéger sans ambiguïté à l’Assemblée nationale (article 96)
4- Ils peuvent également être sénateurs (article 97),
5- le Conseil économique, social, environnemental et culturel leur reste ouvert (article 168).
6- Ils peuvent être Premier ministre, ministres, ambassadeurs, présidents d’institutions, maires ou conseillers municipaux
7- Ils peuvent être Président de la République sans condition SPECIFIQUE
En effet, la restriction de ne pouvoir se présenter à l’élection présidentielle pour un candidat qui dispose de deux nationalités s’appliquent à tous les Maliens :
• qu’ils soient des Maliens de l’intérieur dont certains n’ont d’ailleurs jamais vécu à l’extérieur ou
• Maliens établis à l’extérieur.
Donc cette condition ne concerne pas spécifiquement les Maliens établis à l’extérieur
Je rappelle ici que le CNID-FYT a été l’auteur de la première proposition de loi sur la double nationalité.
? Quelle est sa justification de cette mesure ?
 Avoir la double nationalité, c’est avoir une sujétion à l’égard de deux pays ; c’est être au Mali sous l’autorité de l’Etat malien et de l’ambassadeur représentant l’autre pays. Doit accepter cela, même 24 heures, pour notre président de la République ?
 Que faire si, une fois élu, le président refuse de renoncer à sa seconde nationalité ? Ouvrir une crise politique ?
 Et même s’il accepte de renoncer à son autre nationalité, les règles de renonciation (conditions, procédures et durée) diffèrent selon les pays et peuvent prendre beaucoup de temps.
 Des exemples célèbres existent en la matière.
VI – LE PROJET DE CONSTITUTION LUTTE -T-IL CONTRE LA CORRUPTION ET MORALISE – T- IL LA VIE PUBLIQUE AU MALI ?
Oui. A 10 niveaux au moins :
1- l’affirmation de la lutte contre la corruption comme principe constitutionnel ;
2- L’impossibilité pour la Cour constitutionnelle d’inverser les résultats proclamés par des juridictions inférieures. Elle peut juste annuler une élection ;
3- les Principes directeurs de l’action publique sont définis « L’action publique est guidée par les principes fondés sur le respect de la souveraineté de l’Etat, les choix souverains du Peuple et la défense de ses intérêts » (article 34).
4- La possible destitution du Président de la République, des Présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique, social, environnemental et culturel. (Article 73)
5- la responsabilité pénale du Président : La responsabilité du Président de la République peut être engagée pour des faits qualifiés de haute trahison (article 73). Aussi, il est désormais pénalement responsable, devant les juridictions de droit commun, des crimes et délits commis en dehors de l’exercice de ses fonctions (article 74).
6- La fin des immunités pour les membres du gouvernement qui sont désormais pénalement responsables des crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions (article 82 et 103).
7- La déchéance du mandat de tout député ou conseiller de la Nation qui fait l’objet d’une condamnation pénale définitive à la demande du ministre de la Justice ou de tout citoyen ;
8- La fin du nomadisme politique : toute adhésion à un autre parti politique ou une autre organisation, en cours de mandat, est considérée comme une démission (article 106). L’intéressé est libre de partir mais sans son mandat.
9- La champ d’action de l’immunité des parlementaires a été fortement réduit par suite des abus et dérives constatés. Ainsi, « les députés et les sénateurs ne bénéficient de l’immunité parlementaire que dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions » (article 103).
10 – La création de la Cour des comptes (article 156) chargée de recevoir les déclarations de biens des assujettis et du contrôle des comptes des partis politiques.
VII- QUELLE PLACE OCCUPENT NOS VALEURS RELIGIEUSES ET SOCIÉTALES ANCESTRALES DANS LE PROJET DE CONSTITUTION ?
1- L’affirmation selon lequel le mariage ne se fait qu’entre un Homme et une Femme, ce qui exclut les mariages homosexuels.
Il faut préciser, contrairement à une déduction erronée, que cette disposition très bien accueillie par les Maliens, ne remet nullement en cause le principe de la polygamie défini dans le Code des Personnes et de la Famille.
2- les autorités et légitimités traditionnelles sont institutionnalisées, en tant que sénateurs (article 97)
VIII- LE PROJET DE CONSTITUTION VALORISE- T- IL NOS LANGUES NATIONALES ?
1- Le français a été relégué au rang de langue de travail et n’est plus donc la langue officielle au Mali (article 31).
2- Ainsi, dans le cadre de l’affirmation de notre souveraineté et de la valorisation de notre héritage culturel, les langues nationales sont désormais les langues officielles du Mali.
3- Ce projet de Constitution offre la possibilité d’adopter toute autre langue comme langue de travail.
C’est le lieu de saluer le mouvement NKO
IX- QUE DIT LE PROJET DE CONSTITUTION SUR LE SENTIMENT PATRIOTIQUE ET LA DÉFENSE DE LA PATRIE, LA COHÉSION NATIONALE ?
1- L’interdiction des discriminations entre les Maliens basées sur l’ethnie et la religion (article 1er). Le projet de constitution fait une innovation fondamentale, en ajoutant à la liste des fondements de discrimination prohibée, l’ethnie et la région.
2- L’esclavage par ascendance (article 4), le trafic d’enfants et l’extrémisme religieux fondé sur la haine et le refus de l’autre, avec son cortège de crimes organisés sont prohibés (article 3).
L’égalité devant la défense nationale à savoir la Défense de la Patrie (Art 24) et la mobilisation générale et le volontariat sont affirmés articles 24, 63, 90 et 93)
X- QUE FAIRE ?
1- Le caractère moins rigide de la Constitution rend les amendements ultérieurs plus faciles pour prendre en charge les imperfections ou les besoins nouveaux ; les éventuelles imperfections et les besoins nouveaux pourraient être plus facilement pris en compte.
2- Nous n’avons pas le droit de nous diviser autour d’une question aussi essentielle en des temps aussi difficiles pour le Mali.
3- Les divergences d’opinion sont de la nature même d’un débat référendaire. Ceux qui croient au OUI doivent convaincre les sceptiques jusqu’au dernier jour de la campagne dans le respect réciproque.
Me Mountaga TALL
Le 03 juin 2023
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