L’Afrique est à la veille d’une transformation économique. En 2050, les dépenses des consommateurs et des entreprises sur le continent devraient atteindre environ 16 000 milliards de dollars. Cette expansion prochaine offre aux entreprises mondiales – et notamment américaines – des opportunités immenses de nouveaux marchés. Pourtant, si les responsables politiques africains ne font pas sauter les barrières douanières existantes, qui freinent les échanges et les investissements, l’économie africaine aura du mal à réaliser pleinement son potentiel.
Deux grands accords commerciaux, l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) et la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), permettront aux pays d’Afrique d’échanger plus facilement entre eux et avec les États-Unis. Ces deux accords promettent aussi de lever les obstacles qui entravent depuis longtemps l’industrialisation.
l’AGOA, voté en 2000 par le Congrès des États-Unis, accorde aux pays d’Afrique subsaharienne un accès commercial préférentiel , leur permettant d’exporter vers les États-Unis des produits dispensés de droits de douane. Il expire en 2025, mais la stratégie pour l’Afrique subsaharienne du président Joe Biden, rendue publique en août, souligne ses conséquences positives et engage la Maison Blanche à travailler avec le Congrès afin de poursuivre sur les voies ouvertes par l’AGOA lorsque la loi aura expiré.
La ZLECAf est quant à elle un accord intra-africain qui n’est pas suspendu à une date d’expiration. Conclu en 2018, il a pour but de renforcer les liens commerciaux entre les pays du continent en supprimant les barrières douanières et non douanières.
Si la portée de ses accords, leurs objectifs, leurs bénéficiaires et leurs structures respectives diffèrent grandement, ils sont essentiels à la consolidation de l’intégration régionale africaine. Plutôt que de les considérer comme des textes indépendants et concurrents, responsables politiques et investisseurs devraient s’attacher à comprendre comment ils peuvent se compléter en créant, entretenant et transformant les chaînes de valeur sur le continent.
La création de valeur est essentielle à la transformation économique de l’Afrique. En 2014, les biens manufacturés comptaient pour environ 41,9 % du commerce entre pays du continent, mais ne représentaient que 14,8 % de leurs exportations vers le reste du monde.
Une meilleure intégration régionale offrira à l’Afrique un plus grand marché d’offre, qui accélérera la spécialisation manufacturière et rendra plus compétitifs sur les marchés mondiaux les producteurs africains. Des industries manufacturières plus solides fourniront des emplois aux travailleurs peu qualifiés – ceux notamment qui ne sont pas actuellement intégrés dans l’économie formelle. Le revenu moyen des ménages s’en trouvera augmenté, ce qui relancera la demande intérieure, stimulera l’innovation et la diversification, enfin contribuera à protéger les économies locales des chocs externes.
L’AGOA a déjà créé des opportunités pour des chaînes de valeur transfrontalières. Pourtant, malgré certains succès, comme l’industrie de la confection à Madagascar , qui s’appuie sur une longue chaîne d’approvisionnement régionale, ces opportunités sont trop rares. Si depuis l’entrée en vigueur de l’AGOA l’intégration s’est renforcée, surtout depuis 2015, elle demeure assez superficielle : moins de 17 % de la valeur commerciale de l’Afrique est aujourd’hui créée par les échanges intracontinentaux.
Mais la ZLECAf change réellement la donne. En supprimant les barrières douanières pour un large éventail de produits sur le continent, elle va réduire les coûts de production et rediriger les investissements directs étrangers vers les biens manufacturés, tout en réduisant les coûts du transport et en raccourcissant les chaînes d’approvisionnement – avantage considérable dans l’économie mondialisée.
Selon les estimations du Fonds monétaire international, l’expansion des marchés des biens et du travail sera plus efficiente en Afrique grâce à la ZLECAf, ce qui conduira à une hausse notable de la compétitivité des pays africains. En créant un véritable marché continental, qui dynamise les échanges intracontinentaux et pousse les pays africains à augmenter leur participation au « partage de la production », la ZLECAf jouera certainement un rôle incitateur auprès des multinationales dont le siège est aux États-Unis, en leur donnant accès à un plus grand marché et en leur permettant de mettre en place un hub de taille mondiale. L’AGOA a déjà incité de nombreuses sociétés à investir en Afrique, et le développement de la ZLECAf renforcera cette tendance.
Les responsables politiques doivent quant à eux permettre aux processus d’accélérer et garantir la complémentarité des deux programmes. Une façon d’y parvenir est de renforcer et d’élargir les canaux de communication entre l’Afrique et les États-Unis, de sorte que les investisseurs intéressés par le développement des échanges commerciaux avec l’Afrique puissent plus facilement se préparer à la croissance attendue de la demande de produits sourcés dans la région. Le soutien accordé à chaque pays dans la mise en place de la ZLECAf contribuera aussi à simplifier le processus .
Reste à résoudre le problème central des critères d’éligibilité à l’AGOA, qui sont déterminés sur une base bilatérale et peuvent par conséquent nuire à l’intégration régionale puisque le départ d’un pays pourrait affecter l’approvisionnement en facteurs de production d’un autre, et créer une onde de propagation. Ainsi, lorsque Madagascar fut en 2010 exclu du nombre des pays éligibles à l’AGOA à la suite du coup d’État, les cinq pays africains qui entraient dans sa production de vêtements furent-ils eux aussi frappés. La prise en compte de l’amplitude des effets des sanctions frappant un pays contribuerait à limiter les risques collatéraux pour les investisseurs.
Une intégration régionale performante est une nécessité pour l’Afrique. Sans cela, le continent continuera d’être négligé et se laissera distancer dans l’industrie manufacturière, les technologies de l’information et l’agriculture. L’examen de la configuration future de l’AGOA comme de la ZLECAf doit pousser les responsables politiques à les considérer comme des mécanismes complémentaires qui contribueront à soutenir le développement à long terme de l’Afrique.
Traduit de l’anglais par François Boisivon
Landry Signé, professeur et administrateur de la Thunderbird School of Global Management à l’université d’État d’Arizona à Washington, est chercheur senior à la Brookings Institution et chercheur à l’université Stanford.