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La chute de l’URSS: la «perestroïka» africaine?

Il y a trente ans, en décembre 1991, l’Union soviétique s’autodissolvait, avec la démission de son dernier président Mikhaïl Gorbatchev. L’onde de choc de la disparition de la superpuissance communiste s’est fait sentir jusqu’en Afrique. Retour sur les conséquences de ce bouleversement pour le continent africain.

Lorsque, le 9 novembre 1989, le Mur de Berlin s’effondre, le monde entier a les yeux braqués sur l’Europe. Or, la chute du Mur ainsi que les événements dramatiques qui se succèdent dans la foulée en Europe de l’Est entraînant la dissolution de l’Union soviétique proclamée le 26 décembre 1991, vont résonner sur tous les continents. L’Afrique qui fut un champ privilégié de la guerre froide que les superpuissances américaine et soviétique se sont livrée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ne dérogera pas à la règle.

« Les vents de l’Est vont secouer les cocotiers », l’expression attribuée au ministre français de la Coopération Jacques Pelletier en poste à l’époque, sonne aujourd’hui comme une prophétie. En effet, rappellent les observateurs, l’onde de choc de la disparition du l’ancien bloc de l’Est a fini par transformer radicalement la politique et la géopolitique africaines, ouvrant des opportunités pour le continent de reprendre en main son propre devenir.

Quand l’Union soviétique était omniprésente en Afrique

Entre 1950 et 1989, l’Afrique était instrumentalisée pour faire avancer les enjeux stratégiques de la guerre froide opposant Washington et Moscou. Selon les historiens, ce conflit avait gelé le développement en Afrique, enfermant cette dernière dans la logique des camps idéologiques antagonistes. La répartition idéologique du continent avait été facilitée par l’émergence au sortir de la Seconde Guerre mondiale des mouvements anticoloniaux.

Moscou avait très tôt compris l’avantage stratégique qu’il pouvait tirer de la montée de ce ressentiment anticolonial pour donner sens à son combat anti-impérialiste, notamment en Afrique. En juillet 1920, au IIe Congrès du Komintern, l’Internationale communiste, évoquant la question des tirailleurs sénégalais, Lénine avait expliqué comment « la guerre impérialiste [de 1914-18, NDLR] avait fait entrer les peuples dépendants dans l’histoire du monde ». Quarante ans après, en 1960, c’est à l’initiative de l’Union soviétique que l’assemblée générale des Nations unies adopta la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples colonisés, malgré l’opposition des anciennes puissances coloniales et des États-Unis.

Sa politique de soutien aux mouvements antioccidentaux conduisit le Kremlin à appuyer dès les années 1950 l’Égypte du colonel Nasser ainsi que le FLN algérien à l’ONU dans sa lutte pour l’indépendance. Il soutenait aussi le Congrès national africain (ANC) et le Parti communiste sud-africain (SACP), le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA), le Front de libération du Mozambique (FRELIMO) et l’Union du peuple africain du Zimbabwe (ZAPU).

Les années 1970 constituent un tournant dans les relations soviétiques avec les pays africains. Elles voient l’URSS intervenir militairement par l’intermédiaire des régiments cubains envoyés notamment en Angola, en Somalie, en Éthiopie et en Namibie où, le mouvement de libération nationale, la Swapo combattait les troupes d’occupation de l’Afrique dirigée alors par la majorité blanche.

À la fin de l’époque de la guerre froide, l’Union soviétique était omniprésente en Afrique, avec 40 000 conseillers répartis dans plus de 40 pays. Dans ces pays, pour la plupart fraîchement libérés du joug colonial, Moscou soutenait à bout de bras les mouvements marxistes-léninistes, qu’il avait parfois aidés à prendre le pouvoir.

La coopération soviétique n’était pas que militaire. Moscou finançait aussi la construction des infrastructures telles que le barrage d’Assouan en Égypte, le barrage hydro-électrique de Capanda en Angola, des centrales au Congo et au Nigeria. Parallèlement, entre 1949 et 1991, quelque 60 000 jeunes Africains furent formés dans des universités et collèges techniques soviétiques, les stratèges de Moscou estimant que ces investissements pour la formation permettraient de gagner la bataille des cœurs et des esprits, et de perpétuer leur influence idéologique sur le continent.

La banqueroute soviétique

L’idéologie va bientôt céder le pas à la realpolitik. En effet, après l’implosion de l’Union soviétique en 1991, les relations entre Moscou et le continent africain ne seront plus ce qu’elles étaient pendant la Guerre froide. La Constitution soviétique qui faisait du soutien à la libération nationale et aux luttes pour le progrès social à travers le monde l’une des principales finalités de la politique étrangère de l’URSS, était désormais caduque.

La fermeture de plusieurs ambassades et de consulats russes sur le continent africain font partie des premières mesures annoncées par la Fédération de Russie, héritière de la défunte URSS. Son président Boris Eltsine arrêta toute aide étrangère. Il alla jusqu’à réclamer aux anciens alliés africains le remboursement de leurs dettes impayées, estimées à quelque 25 milliards de dollars.

La situation créée par la banqueroute soviétique suscite l’inquiétude des capitales africaines qui avaient pris l’habitude pendant les années de la guerre froide de jouer l’Est contre l’Ouest et vice versa dans le but d’attirer l’attention internationale et d’obtenir des aides économiques et financières. Elles craignent désormais « Le désintérêt de la part des superpuissances [pour les affaires africaines] qui semble désormais caractériser l’ère de l’après-guerre froide en Afrique », écrit Winrich Kuhne (1), chercheur à l’Institut allemand de la recherche en politique et sécurité nationale.

Le désengagement militaire

Le retrait du Kremlin de l’Afrique a ses racines dans le vaste plan de réformes, la perestroïka, lancé par Gorbatchev, lorsqu’il arriva au pouvoir au milieu des années 1980. Ses priorités étaient la paix et le désarmement. Les négociations pour la paix engagées avec Ronald Reagan dès 1986, à Reykjavik, débouchent sur un consensus entre Américains et Soviétiques sur la nécessité de mettre un terme aux conflits régionaux. Ce consensus est fondé sur la prise de conscience que loin de modifier l’équilibre idéologique et militaire entre l’Est et l’Ouest, la poursuite des conflits régionaux n’avait fait qu’envenimer les antagonismes entretenus par des acteurs locaux.

Alors que dès 1988, les troupes soviétiques commencent à se retirer de l’Afghanistan, la coopération américano-soviétique s’intensifie pour résoudre les conflits brûlants en Afrique, notamment en Namibie, en Afrique du Sud, au Mozambique, en Angola et en Éthiopie où l’Union soviétique et son allié cubain s’étaient engagés militairement pour soutenir les mouvements communistes et anti-occidentaux.

À la fin décembre 1988, l’accord entre l’Angola, l’Afrique du Sud et Cuba est signé au siège de l’ONU à New York, prévoyant le retrait progressif du corps expéditionnaire cubain d’Angola. Parallèlement, l’indépendance de la Namibie était négociée sous le double patronage des États-Unis et de l’URSS. En revanche, en Éthiopie, peut-être l’allié africain le plus important de l’Union soviétique depuis la fin des années 1970, la résolution du conflit opposant le régime marxiste-léniniste au pouvoir et les rébellions tigréennes et érythréennes, s’avérent une tâche plus difficile. Moscou exerce des pressions sur l’homme fort éthiopien, le général Mengistu, pour qu’il cesse la guerre, avant de lui couper les vivres. Lâché par son tuteur soviétique, le dictateur est chassé du pouvoir en juin 1991, six mois avant la disparition de l’URSS elle-même.

La conséquence la plus spectaculaire du désengagement militaire soviétique du théâtre d’opérations africain fut sans doute le lancement des négociations officielles entre la minorité blanche au pouvoir en Afrique du Sud et l’opposition noire pour préparer la sortie du régime d’apartheid et la transition vers la démocratie. Trois mois après la chute du Mur de Berlin, le président sud-africain Frederik de Klerk prit la communauté internationale de court en invitant le Congrès national africain (ANC) de Nelson Mandela à la table des négociations alors que ce parti avait été pointé du doigt des décennies durant comme étant la marionnette de Moscou. La suite fait partie de l’Histoire.

La « perestroïka » africaine

L’Afrique du Sud fut le dernier pays du continent à s’émanciper. « L’ensemble de l’Afrique est devenu libre lorsque l’Afrique du Sud a réussi à s’arracher du joug de l’apartheid », aimait à répéter Salim Ahmed Salih, l’ancien secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), prédécesseur de l’Union africaine (UA).

En effet, dès le début des années 1990, la première décennie post-guerre froide, un vent de liberté a soufflé sur plusieurs pays du continent. Les travailleurs et les étudiants descendirent dans la rue pour obliger leurs dirigeants à ouvrir leur système politique, tant dans les pays alliés au bloc de l’Est (Bénin, Congo, Guinée-Bissau, Madagascar) que dans les pays soutenus par les puissances occidentales (Burundi, Gabon, Mauritanie, Togo, Zaïre). « Le retour au multipartisme est certainement un acquis de la période post-guerre froide, confirme le professeur des relations internationales, le Franco-Sénégalais Alioune Fall (2). Même si dans la plupart des pays africains, la démocratie se limite encore trop souvent à l’organisation des élections et se heurte à l’obstination des chefs d’États fermement accrochés à l’exercice du pouvoir. »

Plus généralement, l’effondrement du bloc communiste a conduit à un changement radical dans l’environnement géopolitique africain. Pour le politologue sud-africain John J. Stremlau, ce changement est illustré par l’entrée en scène des organisations panafricaines.

« Pendant la deuxième décennie après la fin de la guerre froide, écrit le politologue, nous avons assisté à la concrétisation de l’idée panafricaniste, avec la création en 2002 de l’Union africaine, qui a remplacé l’OUA […]. Conscients que même libéré (de la logique des blocs antagonistes), le continent africain restait toujours vulnérable aux conflits locaux et aux ingérences étrangères, les dirigeants africains ont lancé une offensive diplomatique majeure, transformant l’OUA en une entité continentale efficace pour la prévention et la résolution de conflits. L’acte constitutif de l’UA proclame par ailleurs des engagements forts en faveur de la bonne gouvernance, le droit de l’union à intervenir dans un État membre et des attachements partagés à la sécurité collective et la coopération. » (2)

Ces nouvelles orientations politiques et géopolitiques expliquent sans doute que certains observateurs ont qualifié la sortie de la guerre froide de « seconde indépendance » pour l’Afrique.

(1) « L’Afrique et la fin de la guerre froide : de la nécessité d’un « nouveau réalisme », par Winrich Kühne, in Études internationales, 22, 2, 1991

(2) Alioune Fall est professeur agrégé de Droit public, à l’Université de Bordeaux (France)

(3) « How the fall of the Berlin Wall 30 years ago resonated across Africa », par John J. Stremlau, in The Conversation, du 8 novembre 2019

RFI

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