Faute d’accord entre les États membres sur le maintien ou non des sanctions en vigueur contre le Mali, le Burkina Faso et la Guinée, le dernier sommet de la Cédéao à Accra au Ghana n’a pas pu aboutir. Dans l’impasse, l’organisation est en difficulté
Faute d’accord entre les États membres sur le maintien ou non des sanctions en vigueur contre le Mali, le Burkina Faso et la Guinée, le dernier sommet de la Cédéao à Accra au Ghana n’a pas pu aboutir. Dans l’impasse, l’organisation de l’Afrique de l’Ouest est en difficulté mais joue tout même un rôle primordial pour assurer la stabilité dans la région, observe Bakary Sambé, directeur du Timbuktu Institute et enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal).
La Cédéao traverse-t-elle une crise ? Réunis dans la capitale ghanéenne début juin, plusieurs chefs d’États africains membres de l’organisation économique ouest-africaine devaient discuter du maintien, de la levée ou du durcissement des sanctions prises à l’encontre des juntes militaires au pouvoir au Burkina Faso, en Guinée et au Mali. Faute d’accord entre les parties prenantes, le sommet d’Accra a tourné court.
Reporté au mois prochain, le 3 juillet, c’est la deuxième fois qu’une telle réunion extraordinaire se tient sans toutefois parvenir à la moindre avancée. D’après Bakary Sambé, directeur du think tank Timbuktu Institute basé à Dakar et Niamey, l’institution doit faire face à plusieurs défis pour maintenir sa crédibilité en Afrique. Entretien.
TV5MONDE : Selon vous, pourquoi les pays de la Cédéao sont-ils en profond désaccord au sujet des sanctions qui pèsent sur le Mali, la Guinée et le Burkina Faso ?
Bakary Sambé : Tous les pays n’ont pas les mêmes relations au sein de la Cédéao. Le Sénégal et la Côte d’ivoire sont les plus touchés par les sanctions contre le Mali parce qu’ils ont construit un couloir économique vital avec le Mali. C’est même leur premier partenaire économique. Les deux pays sont donc très pénalisés par les sanctions imposées au Mali. Ils sont actuellement sous pression interne et internationale. Contrairement au Ghana et au Nigéria par exemple, qui sont plutôt éloignés de tout ça.
TV5MONDE : Le sommet de la Cédéao à Accra au Ghana s’est achevé de façon prématurée. Selon vous, pourquoi les pays membres n’ont pas pu s’entendre ?
B.S : Les effets des sanctions sur le Mali commencent à prendre du temps. Mais on voit déjà qu’elles n’ont pas les effets escomptés. Dans le même temps, elles doivent s’appliquer à deux autres pays de la région, le Burkina Faso et la Guinée. Mais la Cédéao, à mon avis, a organisé ce sommet à une période assez particulière.
TV5MONDE : Quels étaient les enjeux de ce sommet ?
B.S : Pour la Cédéao, ce sommet avait plusieurs enjeux. Il fallait relever plusieurs défis. Le premier défi, c’est de réaffirmer la crédibilité de l’institution. C’est vraiment sa légitimité qui se joue, alors qu’elle n’arrive pas à dialoguer avec les juntes militaires.
TV5MONDE : Le Burkina Faso, le Mali et la Guinée étaient absents de ce sommet à Accra alors que ce sont les pays visés par les sanctions de la Cédéao. L’institution est-elle encore crédible ?
B.S : Moi, je suis de ceux qui pensent qu’il ne faut pas la jeter en pâture. La Cédéao, à l’instant précis où nous sommes, joue un rôle de dernier rempart avant l’effondrement des systèmes démocratiques et juridiques. Même si ce rempart est fragile. Il est efficace.
TV5MONDE : Quel est le poids de la Cédéao en Afrique aujourd’hui ?
B.S : Cette institution régionale a été dépossédée du dossier sécuritaire pendant dix ans. C’est le G5 au Sahel qui avait en charge les questions sécuritaires. Aujourd’hui cela fait de nouveau partie de ses prérogatives alors que les instabilités politiques sont très fortes. Elle doit aujourd’hui s’en occuper. La Cédéao aujourd’hui, c’est une institution incarnée par certains chefs d’État et qui doit donner l’exemple.
TV5MONDE : Un précédent sommet de la Cédéao sur ces mêmes questions s’est tenu au mois de mars. Il n’a pas abouti. Un prochain sommet est prévu au mois de juillet sur les mêmes questions. Une avancée est-elle possible ?
B.S : Je pense que la Cédéao est une institution qui traverse une crise au moment même où des pays membres sont eux-mêmes fragilisés par des instabilités politiques. Ce sommet s’est tenu juste après la visite de Macky Sall en Russie. À mon avis, les discussions se sont aussi orientées sur les risques de crise alimentaire en Afrique. Est-ce que la Cédéao n’est pas en train de subir l’influence de puissances qui ont transposé, ces derniers temps, la guerre internationale entre la Russie, l’Europe et les États-Unis sur le continent africain ? Peut-être il y a-t-il aujourd’hui au sein de l’institution des jeux d’influences que nous ignorons, avec notamment des divergences d’appréciation de la situation.
TV5MONDE : Bien que des sanctions aient été prises par la Cédéao à l’encontre de la junte militaire au pouvoir en Guinée, le président sénégalais Macky Sall a dit que l’institution devait prendre “des mesures” contre le colonel Doumbouya, au pouvoir à Conakry. Comment expliquer cela ?
B.S : Je pense que la Cédéao n’a pas été aussi ferme, aussi dure avec ses mesures contre la Guinée que contre le Mali, ça c’est vrai. Et la cédéao se met en difficulté à cause de ces différences de traitement. Dans ces pays, il y a une inégalité dans la façon dont sont ressenties les sanctions. Au Mali, en Guinée ou au Burkina Faso, on ne sent pas le poids des restrictions de la même façon. Mais sur certains autres terrains, notamment maliens, on ne le voit pas parce que les revendications des populations subissent des restrictions assez importantes.
Source: seneplus