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KANOUTÉ : « L’ESSENTIEL, C’EST DE CONTINUER À VIVRE »

Tranquillement posé en boubou dans les tribunes du stade Mamadou Konaté de Bamako, Frédéric Kanouté revient sur sa riche carrière et les récents attentats terroristes qui ont touché ses deux pays de cœur, la France et le Mali. Avec intelligence, simplicité et décontraction, comme s’il était encore sur le terrain.

kanoute frederic joueur footballeurSalut Frédéric, que fais-tu à Bamako en ce moment ?

Depuis l’arrêt de ma carrière il y a deux ans, je viens régulièrement au Mali. Notamment pour développer les activités de ma fondation. J’ai construit un village qui accueille des enfants orphelins à trente kilomètres environ de Bamako, cela me prend beaucoup de temps. J’essaie de venir au moins une ou deux fois par an pour faire le suivi. L’autre raison de ma venue, c’est le football. Cela fait dix ans maintenant que je suis parrain du Yeelen Olympique (un très bon club formateur qui joue en 2e division, ndlr). Quand j’étais encore à Séville je n’avais pas vraiment le temps de m’impliquer au club. Je profitais des convocations en équipe nationale pour leur apporter du matériel et donner quelques conseils de développement. Mais maintenant que j’ai plus de temps, je trouve que c’est un nouveau challenge assez excitant.

Quels sont tes objectifs à court terme ?

Je veux m’investir dans la formation, dans la création d’académies, m’occuper des jeunes talents africains. L’important pour moi, c’est de pouvoir faciliter leur intégration en Europe. Aujourd’hui, je suis en amont les gamins de 10 ans à 18 ans, et je continue même après qu’ils soient partis du club. Le but, c’est de permettre aux plus doués d’entre eux d’aller jouer dans les meilleurs championnats. Pour les autres, c’est un développement humain avant tout, basé sur l’éducation. C’est très important de les pousser à faire des études, car on sait que seul un très faible pourcentage va réussir.

Comment aides-tu le club concrètement ?

Je leur ai cédé une partie de mon terrain, sur lequel j’ai fait construire les maisons pour les orphelins, afin qu’ils puissent développer leur centre de formation. Là-bas, ils ont des structures d’hébergement, une école, un centre de santé. Toutes ces infrastructures ne profitent pas seulement à nos enfants, mais aussi à la communauté locale. On a une vingtaine de gamins au centre de formation, qui partagent leur temps entre l’entraînement et le soutien scolaire. Le but, maintenant, c’est de tendre vers plus de professionnalisation.

Actuellement, la situation politique est très tendue au Mali. Est-ce que cela a pu te faire hésiter dans la poursuite ou la mise en place de tes projets ?

Non, et je ne vois pas pourquoi ça serait le cas. Sinon, on ne fait plus rien. Sinon, je ne vais plus non plus en France. Sinon, je ne vais plus nulle part. Cela n’a pas trop de sens d’arrêter de voyager et de faire des choses à cause d’un danger qui n’est même pas localisé. Ce qui se passe au Mali, c’est malheureux. Aujourd’hui, on ne sait pas où et quand les terroristes peuvent frapper, mais l’essentiel, c’est de continuer à vivre et d’essayer de faire le bien autour de nous. C’est ce que j’essaie de faire.

Comment as-tu vécu les récents événements au Radisson Blue Hotel de Bamako, où 22 personnes ont trouvé la mort ?

Cela m’a fait mal, car les assaillants ont démontré par cette attaque qu’ils frappent aveuglement et qu’ils touchent n’importe qui. Personne n’est vraiment à l’abri. Mais en même temps, il ne faut pas tomber dans leur jeu et continuer à vivre, tout simplement. Moi, je suis arrivé au Mali juste après l’attaque. Mes amis et ma famille m’ont dit de faire attention et de repousser un peu mon vol. Mais finalement, je suis venu plus ou moins quand j’avais prévu.

Tu es dans une situation assez spéciale compte tenu de ta double nationalité franco-malienne. Tu as vécu deux attentats dans les deux pays qui te sont chers, dans un intervalle très court…

L’actualité le prouve : ça s’est passé au Radisson, ça s’est passé aussi à Paris, cela peut se passer n’importe où demain.

« Vraiment, je n’aime pas les raccourcis. La situation est souvent plus compliquée qu’on ne le pense, que ce soit au Mali, en Palestine, en France… »

Tu as récemment déclaré dans la presse espagnole qu’une vie française n’importait pas plus que celle d’un enfant palestinien. Quel message voulais-tu faire passer ?

C’est vrai que vous, les journalistes – avec tout le respect que je vous dois -, vous avez le don pour sortir les phrases de leur contexte. C’est une interview qui a duré à peu près vingt minutes, et les gars ont uniquement mis en valeur cette phrase-là. Que j’assume complètement d’ailleurs. Mais avant de la prononcer, j’avais passé dix minutes à condamner les attentats en France. J’avais expliqué que cela n’avait rien à voir avec la religion musulmane. J’ai parlé de la source des problèmes : des problèmes sociaux, économiques, politiques, mais en aucun cas des problèmes religieux. À la fin, j’ai quand même expliqué que le monde s’était arrêté depuis les attentats en France, et c’est tout à fait normal, mais qu’il devrait s’arrêter tout autant quand ça se passe ailleurs. On a l’impression qu’on attache beaucoup plus d’importance quand l’horreur touche nos sociétés européennes que quand ça touche des enfants palestiniens, qui meurent pourtant tous les jours, sans que nous prenions nos responsabilités. C’est ça que je voulais dire par cette phrase, c’est qu’il fallait essayer de réagir de la même manière quand les problèmes arrivent ailleurs, car nous sommes tous liés d’une manière ou d’une autre. Que le monde est un, et que quand on ferme les yeux sur nos voisins, cela finit par venir chez nous un jour ou l’autre. Moi, je suis français, enfin franco-malien, mais je me sens totalement français, et l’horreur des attentats m’a beaucoup touché, comme tous mes compatriotes. Mais je me sens aussi citoyen du monde. Et quand je vois les injustices qui se passent ailleurs et que personne n’en parle, ça me touche aussi. C’est tout.

En janvier 2009, tu avais déjà célébré un but en coupe d’Espagne contre la Corogne en arborant un T-shirt frappé d’un slogan pro-palestinien. Tu avais ensuite reçu 3000 euros d’amende…

C’était la fin de l’année 2008, la guerre de Gaza avait vraiment pris un tournant assez intense. Quelque chose de vraiment atroce. Je n’étais vraiment pas le seul à prendre position, beaucoup de gens s’étaient levés pour essayer de faire en sorte que le conflit cesse. C’est pour ça que je l’ai fait. Je pense que c’était mon devoir de dire quelque chose. Mais voilà, c’était seulement ma conscience d’homme, et rien de plus. Cela n’avait pas de connotation religieuse cachée parce que je suis musulman. C’était seulement une réaction humaine.

C’est quelque chose d’important pour toi, te servir de ta popularité pour médiatiser des causes qui te tiennent à cœur ?

À chaque fois que l’on me pose une question, je réponds, c’est tout. Mais en règle générale, je préfère ne pas trop m’étendre sur ces sujets dans les médias, car vous ne gardez que les phrases chocs, alors qu’on parle de problèmes complexes, qui demandent une analyse fouillée… Vraiment, je n’aime pas les raccourcis. La situation est souvent plus compliquée qu’on ne le pense, que ce soit au Mali, en Palestine, en France… Je ne ne veux pas être vu comme quelqu’un qui croit avoir les solutions.

Revenons donc au foot, où il y a beaucoup à dire aussi. Notamment sur tes débuts mitigés à l’Olympique lyonnais…

L’OL, c’est une très longue histoire. Je suis arrivé au club à onze ans, j’ai fait toute ma formation là-bas. J’ai eu énormément de pépins physiques, car j’ai grandi très vite à partir de quatorze ans. Je me blessais souvent, au genou, au dos. J’ai même failli être viré du club une ou deux fois. Heureusement, j’ai toujours été repêché à la dernière minute, jusqu’à devenir professionnel quand j’avais 19 ans. De ma promotion, finalement, j’ai été un des premiers, si ce n’est le premier, à passer pro. Mais cela n’a pas été facile, j’ai dû m’accrocher.

Quel était ton profil, plus jeune ? Tu étais déjà très talentueux ?

Non, je faisais partie des bons joueurs on va dire, mais je ne me considérais pas comme le plus talentueux de ma génération. Dans ma promotion, il y en avait beaucoup qui étaient meilleurs que moi techniquement, mais la plupart d’entre eux n’ont pas réussi à percer au niveau professionnel. Parce qu’il n’y a pas que ça qui entre en ligne de compte, il y a aussi la détermination, le travail, l’intelligence aussi. Beaucoup de joueurs ne peuvent pas franchir le cap. Moi, j’ai eu la chance d’avoir eu une progression régulière et de passer les paliers à chaque fois. J’ai étonné pas mal de monde. Si aujourd’hui vous posez les questions aux responsables de l’OL, très peu vont vous dire : « Kanouté, j’étais sûr qu’il allait mieux réussir que les autres.  » Parce que ce n’est pas vrai. J’ai pas mal galéré, mais ma chance, c’est que j’ai beaucoup progressé au moment critique, à partir de mes 17 ans. C’est à cet âge-là qu’il faut faire la différence, j’ai eu la bonne progression au bon moment.

Tes débuts en équipe première sont prometteurs, mais derrière, tout ne s’est pas super bien passé…

J’avais la tête dure, mais je me suis retrouvé rapidement bloqué. Quand ton club recrute Sonny Anderson et Tony Vairelles, ce n’est pas pour qu’ils restent sur le banc, donc je n’avais pas trop de temps de jeu. En plus, je revenais d’une pubalgie qui m’avait bloqué pendant six mois la seconde année. Je suis revenu en forme, mais on ne me donnait pas ma chance. Cela a causé beaucoup de frustration. Au bout d’un moment, je l’ai fait savoir à mes dirigeants, de manière assez franche et directe, sans faire de détour. Et l’histoire s’est terminée, on a coupé court. J’ai eu l’opportunité d’aller en Angleterre et j’ai dit ok. C’est dommage, car j’aurais aimé briller avec le maillot de l’OL, ça m’aurait tenu à cœur vu que je suis originaire de la ville. J’ai peut-être été un peu impatient, d’autant plus que le club comptait quand même sur moi, mais je n’ai pas de regrets, je ne changerais mon parcours pour rien au monde.

Ils n’ont jamais essayé de te récupérer par la suite ?

Si, j’ai été contacté une ou deux fois quand j’étais à Séville, mais ce n’est jamais allé bien loin.

Tu signes donc en Angleterre, à West Ham, où tu as formé un duo assez inattendu avec Paolo Di Canio…

Ouais, c’est un personnage. Un gars un peu spécial, quelqu’un de très particulier. Moi, ce n’était pas forcément ma tasse de thé. Je ne le jugeais pas, il faisait sa vie, je faisais la mienne. On s’accrochait un petit peu de temps en temps, mais c’était sur le terrain, il n’y avait rien de personnel. Humainement, nos relations étaient assez limitées, on n’avait pas d’atomes crochus, mais professionnellement, on savait s’associer. Il faut bien reconnaître qu’il avait du talent.

Au fil des matchs anglais, tu commences à t’affirmer…

C’est vraiment là-bas que je suis devenu un homme. J’ai appris à parler anglais. Cela m’a beaucoup servi dans la vie. Sur le plan sportif, j’ai tout de même marqué pas mal de buts (33 en 92 matchs, ndlr). C’est là que j’ai appris le métier d’avant-centre. L’entraîneur ne voulait plus trop garder Paulo Wanchope dans l’axe, donc il me mettait devant à sa place. C’était quelque chose d’assez nouveau pour moi, car à Lyon, je jouais sur le côté droit, j’ai dû apprendre très vite.

Ce n’était pas naturel pour toi ?

Moi, je suis un peu atypique. J’ai toujours vu le football sous différents angles. Plus jeune, j’ai fait deux ou trois ans de formation en tant que numéro 6, au milieu de terrain, mais toujours avec un peu de projection offensive, car cela me plaît naturellement. Le reste du temps, je l’ai passé en tant que milieu ou ailier droit. Du coup, j’ai toujours aimé être en contact avec le ballon et c’est vrai que pour un avant-centre, ce n’est pas naturel, c’est pour ça que je ne me suis jamais défini comme un pur avant-centre, un vrai numéro neuf moderne. J’ai toujours aimé participer au jeu. Avec tout le respect que j’ai pour eux, car ce qu’ils ont fait c’est magnifique, je ne suis pas un Pippo Inzaghi ou un David Trezeguet.

En Angleterre, tu as très vite montré de belles qualités, mais c’est vrai qu’à l’époque, tu étais encore critiqué pour ta nonchalance sur le terrain…

Oui, je m’en rappelle. Là-bas, j’ai toujours été vu comme quelqu’un de nonchalant, même si sur la fin, ils ont mieux compris mon style de jeu. Mais en Angleterre, il faut bien comprendre que c’est une autre mentalité. C’est vrai que je n’allais pas sprinter sur un ballon qui était sûr de sortir en touche, ni courir pour faire un tacle au milieu de terrain… Les gens ne comprenaient pas (rires). En Angleterre, on me demandait d’être efficace devant le but, mais je touchais beaucoup moins le ballon, ça me frustrait un peu. En Espagne, la mentalité et le jeu sont très différents. Il faut jouer au ballon, lancer des mouvements. Moi, ça me convient mieux, car ils valorisent le beau geste et l’intelligence de jeu. Le public appréciait le fait que je redescende un peu sur le terrain et que je joue avec les autres.

Tu as beaucoup travaillé pour gommer ce défaut ?

Oui, mais quand tu fais 1m94, ce n’est pas facile de changer. Nous, les grands, on donne l’impression d’être un peu nonchalant même quand on ne l’est pas. On n’a besoin de faire qu’un seul pas quand un petit va devoir en faire trois, donc on a toujours l’air un peu plus lents et relax. Mais s’il y a besoin d’élever le rythme, on peut le faire aussi, on a la chance de pouvoir monter en puissance plus facilement quand le niveau augmente. C’est un peu comme si on en gardait sous le pied. C’est drôle parce que maintenant que je regarde beaucoup de jeunes, je me rend compte que je suis très attiré par les joueurs élancés. À leur âge, ils ont souvent une marge de progression supérieure aux footballeurs plus trapus, qui font des différences énormes sur le terrain, mais qui sont déjà au taquet. Après, ce sont des préférences personnelles.

Après West Ham, tu signes pour deux saisons à Tottenham. Où tu inscris sans doute le plus beau but de ta carrière…

Oui, c’était contre Everton, une rencontre très bizarre. Le début de match était horrible – vraiment très mauvais – entre deux équipes qui ne proposaient aucun jeu. Il ne se passait rien. À un moment, il y a un grand dégagement. Je suis à la lutte et je dévie le ballon de la tête. Derrière, Gustavo Poyet me la remet. Je fais demi-tour et je vois le ballon là, devant moi. Il est parfait parce qu’il rebondit comme il faut, j’ai juste à le reprendre de volée. Je vois que le gardien est un peu avancé, et je lâche ma reprise.

 

Tu sens déjà à ce moment que la balle va aller au fond ?

Oui, je l’ai tout de suite senti. Marquer un but, c’est notre petit privilège, à nous les attaquants. Le moment précis du but, ce sont des secondes magiques qu’on ne peut pas expliquer. Pendant un instant, on sent quelque chose. C’est inexplicable. Parfois, tu revis la même situation dans un autre match, la balle arrive pareil, mais tu ne vas pas du tout faire la même chose : tu vas contrôler le ballon, ou tu vas essayer de faire une passe. Cette action contre Everton, ce sont des moments comme ça où tu sens qu’il va se passer quelque chose. Quand tu tapes le ballon, tu sais où va aller la balle. J’ai compris que ça allait être un but spécial.

Des buts, tu en as marqué plus de 200 au cours de ta carrière. C’est ce que tu préfères dans le football ?

Oui, c’est spécial. Mais je kiffais aussi faire des passes décisives. J’ai toujours aimé faire le beau geste, réaliser quelque chose d’intelligent sur le terrain. À Tottenham pour le coup, je pense que j’ai davantage gagné le respect du public grâce à mon jeu plutôt qu’avec mes buts. Lors de ma dernière année, j’ai dû marquer neuf buts seulement, mais faire une dizaine de passes décisives. Je bougeais beaucoup, on échangeait énormément avec Robbie Keane et Jermain Defoe. J’ai vraiment pris du plaisir avec ces deux joueurs.

« J’ai toujours été un amoureux du football africain. Plus jeune, je regardais les matchs de Coupe d’Afrique, j’adorais ça. »

 

Ta période à Tottenham correspond à tes premières sélections en équipe du Mali, le début d’une riche carrière internationale. Tu as pourtant fait toutes tes classes avec les équipe de France Espoirs…

Oui, cela a été un petit clash au niveau de mon club. Forcément, ils pensaient recruter un Français, et d’un coup, je deviens malien, ils n’ont pas compris (rires). C’était juste avant la Coupe d’Afrique en plus. Tu dois quitter ton club pendant deux mois. Cela n’a pas été facile, mais j’avais beaucoup réfléchi avant de prendre ma décision. J’avais tout expliqué à mon entraîneur, David Pleat, qui était intérimaire à ce moment-là. Il m’a convoqué dans son bureau pour me faire changer d’avis. Mais j’étais sûr de moi, je lui ai dit : «  Écoute, je ne suis plus un enfant, si j’ai pris cette décision, ce n’est pas pour faire marche arrière.  » Il a cédé.

À l’époque, tu étais régulièrement présélectionné en équipe de France. Tu n’as pas hésité ? Qu’est-ce qui a fait pencher la balance en faveur du Mali ?

J’ai toujours été un amoureux du football africain. Plus jeune, je regardais les matchs de Coupe d’Afrique, j’adorais ça. Et puis c’était l’appel du pays, de mes origines. À l’époque, l’équipe de France, c’était très difficile d’y accéder. Il ne s’agissait pas de refuser la concurrence, mais j’avais envie de rendre quelque chose à mon pays d’origine et de construire quelque chose sur le long terme. Tout se fait toujours dans un sens, mais rarement dans l’autre, j’ai décidé de faire le chemin inverse et d’aider à développer le football malien sur la durée. Avec le recul, je me dis que ça n’a pas toujours été facile, mais je ne regrette pas, j’ai eu des très bons moments. Aujourd’hui, si je suis là à faire des choses avec ma fondation, c’est avant tout grâce à ma carrière internationale. Cela m’a ouvert des portes, cela a facilité les choses. Jouer pour le Mali, c’était un parcours à la fois humain et professionnel.

Le Mali et la France, ce sont deux pays qui comptent beaucoup pour toi, on le sait. Mais s’il y a bien un pays qui t’as adopté, c’est l’Espagne.

C’est vrai que j’y ai passé sept ans, ça forge un lien particulier. Mes enfants ont grandi à Séville, ils se sentent forcément un peu espagnols. Ils ont appris la langue, ils ont eu leurs premiers amis là-bas. Mais en ce qui me concerne, je ne me sens pas trop d’attaches ni de dépendance à un pays en particulier. Aujourd’hui, par exemple, je vis à Dubaï, où je tiens une académie. C’est une ville qui évolue à grande vitesse. Cela me plaît bien.

Cet été, tu étais néanmoins de retour au FC Séville…

Oui, j’ai passé mon diplôme de coach en Angleterre et j’avais des heures de pratique à passer avant l’examen. C’est obligatoire. En août, j’étais en vacances en Espagne, donc j’en ai profité pour faire mes heures de pratique avec l’équipe des U19 du club. Je suis content d’avoir passé mes diplômes d’entraîneur, mais je ne me sens aucune obligation de le devenir. J’ai d’abord envie d’apprendre et de faire les choses. Et si un jour l’opportunité se présente, pourquoi pas ? Le FC Séville me laisse toujours les portes grandes ouvertes pour faire quoi que ce soit…

Il faut dire que tu leur as donné 135 bonnes raisons de bien t’aimer… Ce n’est pas un hasard si le quotidien AS t’a élu meilleur joueur étranger de l’histoire du club.

Séville, c’est un club qui me correspondait parfaitement : pas très médiatique, mais très compétitif. J’ai eu la chance d’arriver au bon moment. En 2005, on est passés à un niveau supérieur, de très bons joueurs ont signé et on a pu rivaliser avec les plus grands. Durant une ou deux saisons, je pense même qu’on aurait pu être sacrés champions avec un peu plus de banc. Notre effectif avait la qualité suffisante, mais pas la quantité. On tutoyait vraiment le Barça et le Real, on les battait régulièrement, mais ils avaient chacun 20 joueurs interchangeables, qui n’entamaient en rien le niveau de l’équipe en cas de remplacement. Quand tu joues les compétitions européennes, c’est très important. Nous, au moment fatidique, on était toujours un peu fatigués. Mais c’est vrai qu’on avait une équipe assez intéressante.

 

Tu peux nous la présenter un peu ?

Si tu veux une équipe solide, tu as besoin d’une charnière centrale de costauds. On avait Julien Escudé, mais surtout Javi Navarro, notre capitaine, qui était un écorché vif, il n’avait peur de rien. Un leader né qui ne parlait pas beaucoup, mais quand il parlait, on l’écoutait. Il forçait le respect, car il montrait l’exemple sur le terrain. Au milieu, la première année, on avait de gros travailleurs, avant d’avoir des joueurs plus talentueux l’année suivante. Sur les côtés, beaucoup de vitesse et de talent. À droite, Dani Alves et Jesús Navas. À gauche, Adriano et Antonio Puerta, qui est décédé dans un match contre Getafe en août 2007. Un très bon joueur, très regretté. Et puis devant, il y avait Luís Fabiano et moi, dans un système à deux pointes. C’était parfait pour moi, car j’avais la liberté de venir me placer un peu en 9 et demi. On formait un bon duo (rires). À l’époque, ça allait à 2000 à l’heure. Des joueurs cadres dans toutes les lignes, des centres à tous les niveaux, beaucoup de force de frappe, de qualité, de rapidité. Devant le but, vraiment, on était sans pitié.

L’architecte de cette équipe, c’était Juande Ramos…

Un gars très intelligent, qui ne parlait pas beaucoup lui non plus, mais qui préparait ses matchs super bien. Avant chaque rencontre, il te mettait deux ou trois images dans la tête et on s’y tenait. On avait un plan tactique à appliquer et ça marchait souvent. C’était simple, efficace. Il ne nous embrouillait pas trop et ça marchait à la perfection.

Quel est ton plus beau souvenir avec le club ?

Je ne sais pas, il y en a tellement. Mais bon, si je dois choisir, je dirais la première finale de la Coupe UEFA, qu’on gagne 4-0 contre Middlesbrough. Pour moi, c’était une forme de concrétisation. À la fin du match, après mon but, c’est comme si j’avais vu toute ma carrière défiler devant moi. Tous les efforts que j’avais consenti, toutes les galères que j’avais eues… À plusieurs reprises, j’avais failli faire autre chose dans ma vie que jouer au foot, le chemin n’était pas tout tracé. Et quand j’ai gagné cette coupe, après un long travail, c’était la consécration. Au niveau du jeu, en revanche, je dirais plutôt la Supercoupe d’Europe en 2006 contre le Barça, contre qui on gagne 3-0. C’était pas mal aussi. On les avait vraiment explosés.

Avec notamment un second but inscrit par tes soins. À regarder tes stats, on voit que tu es un homme de grands rendez-vous. Tu as souvent été très efficace en Coupe d’Europe, en plus de marquer à sept reprises en six finales disputées. Comment tu l’expliques ?

J’ai attendu très tard dans ma carrière pour jouer ma première finale, à 28 ans passés. Tout ce temps, je rongeais mon frein, j’avais vraiment envie de faire quelque chose et de gagner des titres. La motivation me venait naturellement. La pression, tout le monde la ressent. Tous les footballeurs sentent cette boule au ventre avant de jouer. Soit elle t’inhibe, soit elle te motive. Moi, grâce à elle, je passais la vitesse supérieure.

En 2007, tu es élu joueur africain de l’année, face à des joueurs comme Samuel Eto’o, Didier Drogba ou Emmanuel Adebayor. Pourtant, on a l’impression que tu n’as pas été aussi médiatisé que ces derniers durant ta carrière, que tu étais un peu sous-estimé. Comment tu l’expliques ?

Je ne sais pas, je pense que ça vient de mon parcours atypique. Je n’ai pas joué dans les plus grands clubs du monde, donc forcément tu es moins médiatisé. Mais je n’ai jamais recherché la lumière des projecteurs non plus. La célébrité, ce n’est pas quelque chose que je poursuis, cela vient sans doute de mon caractère. Cela me fait plaisir d’obtenir la reconnaissance de mes pairs, mais le reste, je m’en fous. Je fais ma vie, c’est le plus important.

Pour finir, en 2012, après sept saisons passées au club, tu t’es finalement envolé pour la Chine, où tu as retrouvé ton compatriote Seydou Keyta. Peux-tu nous expliquer un peu la création de cette diaspora malienne dans l’Empire du Milieu ?

D’habitude, c’est vrai que c’est plutôt les Chinois qui viennent au Mali (rires). Mais faut pas croire, les Maliens, il y en a partout, on est des grands voyageurs. Pour répondre à ta question, avec Seydou, on ne jouait pas dans le même club. Moi j’étais basé au Beijing Guoan, à Pékin.

Alors, c’était comment ?

C’était spécial. Difficile. J’ai eu besoin de pas mal de temps pour trouver mes marques, alors que je me suis adapté partout où je suis passé. Même à Séville, où les journalistes et les supporters s’immiscent sans relâche dans ta vie privée. Mais en Chine, tout est différent : la façon de vivre, la langue, l’alimentation ; tu es obligé de te réorganiser de A à Z, c’est un vrai choc culturel. En ce qui concerne le foot, pareil, c’est un monde à part. Même si tu as fait la plus belle des carrières en Europe, tu repars de zéro, tu dois gagner leur respect sur place. Après quelque temps, ça a commencé à mieux se passer, notamment quand j’ai commencé à parler un peu chinois. À la fin je me sentais assez bien, mais mon contrat était déjà presque terminé. Avec le recul, c’était une bonne expérience, mais je ne pense pas que j’aurais aimé rester beaucoup plus longtemps. Faut voir la pollution !

source : sofoot.com

 

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