Que des militaires comparaissent par-devant les juges pour répondre à des infractions, peut paraître ordinaire pour les habitués des prétoires. Mais qu’ils soient jugés par une Cour d’assises militaire, en l’occurrence la chambre criminelle du Tribunal militaire de Bamako, a de quoi rassurer les opinions quant à la volonté des autorités de mettre fin à l’impunité dans la Grande muette.
C’est en effet une première dans l’histoire de cette juridiction qui existe pourtant depuis 26 ans (1995) dans la chaîne pénale de notre pays. Et cette première session envoie le message nécessaire aux soldats que nul n’est au-dessus de la loi, et surtout pas ceux qui sont censés la faire respecter. C’est aussi un message fort envoyé aux populations que l’État est de leur côté.
Il était temps que la justice militaire s’affirme. Longtemps, elle s’est avérée, de l’avis de plusieurs observateurs, une caricature de justice pour n’avoir pas eu les mains libres face aux crimes commis par les brebis galeuses au sein de l’armée. Aux soldats «criminels», était très souvent opposée la justice des civils dont la marge de manœuvre est reconnue limitée en la matière.
Ces premières comparutions médiatisées devant la chambre criminelle sont dès lors perçues comme un signal fort, en ces temps-ci où nos forces sont la cible d’allégations quasi récurrentes d’atteintes aux droits humains. Régulièrement, elles sont chargées par la Mission onusienne qui a recensé à leur encontre, entre juin et octobre, 36 cas de violations et d’atteintes aux droits humains (Rapport du secrétaire général de l’Onu sur le Mali, publié le 1er octobre 2021).
Deux mois plutôt, c’est la division droit de l’Homme de la Minusma qui avait révélé qu’au cours du second trimestre, au moins 20 civils ont été tués et 18 autres blessés lors d’opérations conduites par les Forces de défense et de sécurité. À ces personnes s’ajoutent au moins huit victimes de disparition forcée.
Les opérations anti-terroristes seraient émaillées d’abus, d’exécutions sommaires, de disparitions forcées ou de détentions arbitraires. «Tout n’est pas vrai, tout n’est pas faux », avait récemment déclaré, lors d’une conférence de presse, le directeur de la justice militaire, le colonel-major Issa Ousmane Coulibaly. L’officier supérieur n’avait pas manqué de dénoncer «certaines choses qui sont alléguées » par des enquêteurs qui «parlent souvent de localités où eux-mêmes ne peuvent pas mettre les pieds». Il reste néanmoins admis que les forces en opération sont amenées souvent à sévir contre les populations sur la base de simples suspicions d’accointances avec l’ennemi. Comble de l’insouciance, des scènes de violence sont parfois filmées et balancées sur les réseaux par des militaires eux-mêmes.
Dans de tel contexte, comme l’a soutenu mercredi le représentant du ministère public, le magistrat colonel Soumaïla Bagayogo, les tribunaux militaires seraient plus aptes à juger les infractions militaires en lien avec les opérations militaires. «Et toute manœuvre contraire est de nature à inquiéter les militaires et leurs familles en ce que la hiérarchie militaire a l’obligation de veiller sur le moral de la troupe».
Il convient de noter que ces assises ne donnent qu’une faible idée de l’activité d’un tribunal qui instruit plusieurs dossiers et prononce des jugements sur des affaires aussi diverses que la violation de consignes militaire, la désertion, le vol et la complicité de vol, la menace de mort, le détournement d’armes et munitions, le refus d’obéissance, l’assassinat, la torture, la détention et la vente illégale de stupéfiants … En septembre 2020, le Tribunal militaire de Bamako en transport à Ségou, avait jugé 13 militaires. La même année, en novembre au siège de la juridiction, 10 autres ont été jugés.
Mais la chambre criminelle du Tribunal militaire s’impose comme l’instrument idéal pour répondre aux préoccupations exprimées par l’Onu et les associations de défense des droits de l’Homme qui appellent à briser le cycle de l’impunité. Ce coup d’essai est déjà qualifié de « prouesse» par la Fédération internationale des droits de l’Homme. Une délégation de cette organisation, conduite par son secrétaire général Me Drissa Traoré, a rencontré vendredi le ministre en charge de la Défense. Du côté du Barreau, l’on y voit la preuve que notre pays est sur la bonne voie quant à l’amélioration des conditions de mise en place d’un état de droit.
Au cours de cette session, le tribunal a déjà jugé le cas de AKC pour viol. Ce dernier a pris 20 ans de réclusion criminelle. Reste à maintenir cette nouvelle dynamique.
Issa DEMBÉLÉ
Source : L’ESSOR