Inculpés pour faux et usage de faux en écriture, l’ancien maire de la Commune II, Youssouf Coulibaly et Bakoroba Djibril Sanogo (auditeur marketing) étaient à la barre de la Cour d’assises, le mercredi 6 novembre 2019, pour faux et usage de faux en écriture et complicité.
Il ressort de l’arrêt de renvoi que dans les années 1920, Bakary Koné dit Hinemassa et Zoumana Sanogo, tous originaires du même village, se sont retrouvés à Bamako à la recherche de fortune. Le premier est commerçant de cola et le second boucher. Ils ont fondé leurs familles respectives vivant dans une maison commune sise à Niaréla et sans jamais se soucier de la question de la propriété de l’une ou de l’autre sur ladite maison. Des années plus tard, Zoumana Sanogo décédait et laissait à la charge de son frère, Bakary Koné dit Hinemassa, femmes et enfants. Ce dernier s’en est occupé et épousa d’ailleurs deux des veuves de Zoumana Sanogo avec lesquelles il aura deux enfants.
Devenus adultes, l’un des fils de Zoumana Sanogo, en la personne de Madou Sanogo, décidait, depuis 1987, d’assigner en justice Bakary Koné au motif que la concession commune de Niaréla serait la propriété de son père Zoumana Sanogo et par conséquent celle de ses héritiers. Cette procédure fut sanctionnée par une lettre du Gouverneur de l’époque (Yaya Bagayoko) qui disait en substance “qu’en ce qui concerne le permis n° 86 de Niaréla, nos archives ne nous ont pas permis d’établir un titulaire certain”. Une correspondance qui semblait mettre fin à toute contestation. Pour autant, 20 ans plus tard, l’un des arrière-petits-fils de feu Zoumana Sanogo, du nom de Bakoroba Djibril Sanogo, saisissait à nouveau la mairie du district de Bamako, de laquelle il obtenait le permis d’occuper n° 22/08/ du 7 mai 2008, suivant décision n° 061/MDB du 27 février 2008, attribuant la propriété de la concession à feu Zoumana Sanogo.
Avec cette décision qui sera annulée tardivement par le maire, les héritiers de feu Zoumana Sanogo parvenaient à expulser les héritiers de Bakary Koné et démolir la maison qui fut entièrement reconstruite. Convaincu qu’il y a eu altération de la vérité pour l’obtention du permis d’occuper au nom de feu Zoumana Sanogo, Zoumana Koné portait plainte contre Bakoroba Djibril Sanogo et les agents de la mairie qui le lui ont sciemment attribué au succès de la supercherie, notamment Youssouf Coulibaly à l’époque 2e adjoint du maire, chargé des questions domaniales et Gaoussou Ly, maire de la Commune II au moment des faits et chargé des vérifications préalables.
L’inculpé Gaoussou Ly n’a reconnu les faits tant à l’enquête préliminaire que devant le Magistrat instructeur. Il a expliqué qu’en tant que maire à l’époque, il n’était pas rompu dans l’administration et que lorsqu’un dossier était adressé à la mairie, il était traité selon son objet par les services concernés. Ce n’est qu’après le traitement qu’on lui soumettait les conclusions pour sa signature. Dans le cas précis, rien ne laissait apparaître que ses services ont fait du faux. Il a précisé qu’il n’y a qu’un lien de voisinage entre lui et Youssouf Coulibaly qui l’a remplacé en tant que maire de la Commune II et il ne peut que regretter, si jamais ses services ont mal fait leur travail.
Considérant que ces déclarations de Gaoussou Ly n’ont pu être contestées ni par la partie civile ni par les éléments de l’instruction [..], que la preuve de l’aide ou de l’assistance du maire à la demande n’a jamais pu être établie au cours de l’information, que dès lors, il y a lieu de dire qu’il n’y a pas charges suffisantes contre l’inculpé Gaoussou Ly. Par contre, les inculpés Bakoroba Djibril Sanogo et Youssouf Coulibaly ont nié les faits tant à l’enquête préliminaire que devant le Magistrat instructeur. Les explications de Bakoroba Djibril Sanogo, tout au long de son interrogatoire, ont été écartées pour la simple raison qu’il s’agit d’une invention pour parvenir à se disculper. En plus, il savait qu’aucune famille Koné et Sanogo ne pouvait prouver sa propriété sur la maison en question et que cette vérité était connue de tous, depuis la fameuse lettre du gouverneur qui avait à l’époque mis tout le monde à l’aise. Le faux étant établi, il y a charges suffisantes contre Bakoroba Djibril Sanogo.
Considérant que les déclarations de Youssouf Coulibaly étaient mensongères et dénuées de tout sens et tentant de se soustraire à l’action de la justice parce que connaissant la famille et n’ignorant pas que Bakoroba Djibril Sanogo ne détenait aucune preuve de la propriété de feu Zoumana Sanogo, il a parfaitement collaboré et facilité sciemment à l’établissement du permis d’occuper contenant des fausses déclarations. Ce qui prouve qu’il y a charges suffisantes contre lui pour complicité de l’infraction de faux en écriture reprochée à Bakoroba Djibril Sanogo qui a, à Bamako, courant 2012 (moins de 10 ans), sciemment altéré la vérité par l’établissement au profit des héritiers de feu Zoumana Sanogo le permis d’occuper n° 22/08/du 7 mai 2008 suivant décision n° 061/%DB du 27 février 2008 sur la concession sise à Niaréla, objet de litige entre les héritiers de feu Zoumana Sanogo et ceux de feu Bakary Hinemassa Koné et de nature à porter préjudice à ces héritiers.
Pour ces motifs, Bakoroba Djibril Sanogo et Youssouf Coulibaly ont été inculpés pour faux et usage de faux en écriture. Et l’ordonnance de prise de corps a été décernée contre eux. Ils ont été renvoyés devant la Cour d’assises pour y jugés conformément à la loi.
Les versions des accusés
A l’entame du procès, les avocats des accusés ont soulevé des exceptions du fait que l’affaire n’a pas été instruite par la juridiction compétente. Le président la Cour dira que l’Arrêt de renvoi vide cette exception qui n’avait pas été introduite par écrit dans les dossiers. Elle a été rejetée. Appelé à la barre, Bakoroba Djibril Sanogo n’a pas reconnu les faits qui lui sont reprochés. Il a argumenté qu’il a appris durant les enquêtes préliminaires qu’il y avait plainte contre lui pour faux et usage de faux. Il a reconnu qu’il avait introduit une demande de permis de la concession parce que la maison n’en avait pas. Cette maison, à ses dires, appartenait à ses parents qui l’ont hérité de son arrière grand-père Zoumana Sanogo. Et pourquoi, en tant petit-fils, il a fait la demande du permis alors que ses parents vivaient ? Et avait-il un jugement d’hérédité lui permettant de faire la demande ? Et pourquoi la demande de permis a-t-elle été faite au nom de Djibril Sanogo qui n’était pas le seul héritier de Zoumana Sanogo ? Comme réponse, Bakoroba Djibril Sanogo dira qu’il a fait la demande de permis avec la procuration des enfants de Zoumana Sanogo dont Hawa Sanogo.
Youssouf Coulibaly, 2e adjoint du maire, chargé des questions domaniales au moment des faits, affirmera qu’il n’a posé aucun acte dans l’affaire. Il soutiendra que dans pareils cas, ce sont les services techniques de la mairie qui font des enquêtes avant de lui soumettre les rapports d’enquête pour avis. Ensuite, le dossier est transmis au maire du district. Il dira qu’il ne comprend pas pourquoi il est accusé de complicité de faux et usage de faux parce qu’il n’a jamais collaboré avec Bakoroba Djibril Sanogo.
L’Avocat général du ministère public lui rappellera qu’il est à la barre parce qu’il a donné son avis et signé les rapports d’enquête des services techniques de la mairie de la Commune II. Et l’avocat général de demander si la signature sur le projet de décision n’est-elle pas sa signature ? Il n’a pas répondu à cette question. Signait-il donc les documents sans les lire ? Il dira qu’il signe plus de 50 dossiers par jour sans lire les adresses et autres références des dossiers. Il le fait, a-t-il soutenu, sur la base de la confiance de ses services techniques. “Je me retrouve aujourd’hui à la barre par la volonté de Dieu. Sinon, en tant qu’ancien militaire, j’ai toujours travaillé sur la base de la confiance en mes hommes”, a-t-il déclaré.
En tant que témoin, M. Bouaré, le secrétaire général de la mairie de la Commune II au moment des faits, indiquera qu’après vérification, il n’a pas retrouvé de trace du dossier au niveau des archives. Et le juge de l’interroger si cela veut-il dire qu’il n’y a pas eu d’enquêtes préalables ? Il répondra par l’affirmatif. Car, selon lui, s’il y avait eu enquêtes, les dossiers devaient se trouver dans les archives de la mairie. Et Youssouf Coulibaly de réagir, qu’au moment des faits, il était à la mairie du District.
Le 2e témoin, Mamadou Abdoulaye Diallo (intérimaire du bureau des cadastres au moment des faits), après avoir prêté serment de dire la vérité et toute la vérité, dira qu’il n’a pas souvenance du dossier. Il expliquera à la Cour qu’il a été entendu au cours des enquêtes préliminaires sur le fonctionnement de son service. Il a raconté qu’après enquêtes sur une parcelle, le dossier est transmis au maire du District.
Mme Dicko Aminata Kayentao (chef du bureau cadastre de la mairie) dira qu’après la procédure de demande de permis d’occuper, le dossier est transmis au 2e adjoint puis au service d’urbanisme pour des enquêtes. Au retour du dossier, a-t-elle expliqué, compte rendu est fait au maire qui donne son avis. Et quand il y a un premier permis après le décès du propriétaire de la parcelle, il faut un certificat d’hérédité au nom de tous les enfants. Et le processus suit son cours. Elle a dit qu’au moment des faits, elle n’était pas à la mairie. Elle a commencé à y travailler en 2016.
Après l’écoute des témoins, l’avocat de la famille Bakary Koné, Me Salifou Touré, dans sa plaidoirie, soulignera que dans cette affaire il y a eu faux et usage de faux. Et, selon lui, Bakoroba Djibril Sanogo est le chef d’orchestre de ce faux. Ayant fait fortune, a-t-il soutenu, Bakoroba Djibril Sanogo a décidé de mettre fin au calvaire de sa famille en s’accaparant de la concession qui n’avait pas de propriétaire attitré, selon le gouverneur Yaya Bagayoko en 1987. Profitant de ce vide, Bakoroba Djibril Sanogo chercha un permis au nom de Djibril Sanogo avant de le mettre sous le nom de Zoumana Sanogo. Pour l’avocat, il y avait faux. La maison n’appartenait pas à Zoumana Sanogo. “Donc, les deux permis au nom de Djibril Sanogo et de Zoumana Sanogo sont faux. Et les fonctionnaires de la mairie ont facilité la tâche de Bakoroba Sanogo qui est un faussaire. Il a fait un crime de faux. Le maire Youssouf Coulibaly, une personnalité, est un homme politique qui veut se blanchir en faisant l’innocent. Il n’est pas complice. Son accusation doit être requalifiée. Il n’est pas complice, il est co-auteur, un faussaire. Monsieur le Président, il faut les qualifier de crime de faux qui est établi. Le permis établi par le maire Youssouf Coulibaly est un faux. Il faut les condamner à la peine requise”, a-t-il plaidé.
Le ministère public (Avocat général) a fait la genèse de l’affaire tout comme l’arrêt de renvoi. Il a plaidé que Bakoroba Djibril Sanogo et Youssouf Coulibaly ont fait de fausses déclarations à l’Administration. Il soutiendra que les accusations contre eux sont claires et établies. “En signant les dossiers de Bakoroba Djibril Sanogo, Youssouf Coulibaly a aidé ce dernier à atteindre son objectif. Je demande de retenir les accusés dans les liens de l’accusation et de les reconnaître coupables”, a-t-il dit.
Les conseils des accusés diront que les culpabilités des inculpés ne sont établies et que la preuve des accusations, non plus, n’est pas établie.
Dans les questions de l’arrêt de renvoi, la Cour a reconnu les inculpés coupables, mais avec des circonstances atténuantes. Leurs avocats ont demandé de larges réductions de peine pour que les inculpés (non détenus) dont Youssouf Coulibaly, marié à 3 femmes avec 12 enfants, puisse regagner leur foyer. Apparemment ce cri de cœur des avocats a été entendu. La Cour (présidée par Souleymane Doumbia), dans l’arrêt de condamnation, a prononcé une peine de 5 ans de prison avec sursis pour Bakoroba Djibril Sanogo et 2 ans de prison avec sursis pour Youssouf Coulibaly.
Siaka DOUMBIA
Source: Aujourd’hui Mali