A la faveur de la Journée nationale des communes du Mali les 11 et 13 mai 2023 au Centre international des conférences de Bamako, les élus communaux ont exprimé leur volonté d’avoir une protection juridique et sécuritaire. Ainsi Yacouba Traoré, le Président de l’AMM, a remis au Président de la Transition, à Koulouba le vendredi 12 mai 2023, un «Mémorandum de l’Association des Municipalités du Mali». C’est un document de 9 pages sur l’impératif de valoriser et sécuriser la fonction d’élu local au Mali.
Le texte propose de substituer le principe de la rémunération au principe de la gratuité et du bénévolat. «Le responsable de l’exécutif en tant qu’ordonnateur de budget (plus du milliard de FCFA dans certaines collectivités) ne bénéficie d’aucune rémunération conséquente, même après 2, 3, 4… mandats passés à la tête d’une collectivité. En tenant compte du traitement des élus locaux des autres pays de la sous-région et même au niveau national pour les députés, les membres du Haut Conseil des Collectivités, il est temps qu’on se départisse de l’idée de bénévolat et instituer une forme de rémunération pour les élus locaux», recommande le document.
Selon l’AMM, c’est un moyen de contribuer à l’amélioration de la gestion des ressources des collectivités et de promouvoir la culture de la bonne gouvernance et de lutte contre la corruption. «Cette rémunération doit être fixée en fonction de la catégorie et de la taille de la collectivité, la nature des fonctions et des responsabilités (membre de l’organe délibérant ou de l’organe exécutif), avec un montant minimum, pour tenir compte de la faiblesse de moyens de nombreuses communes…. L’AMM propose la mise en place rapide d’une commission impliquant le ministère de l’Economie et des Finances, le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation pour arrêter, de commun accord, le montant des rémunérations.»
Plus d’égard pour les élus…
Le mémorandum de l’AMM plaide pour la prise en compte de la protection juridique de l’élu local, des présidents des organes exécutifs. Selon le texte, «ces derniers subissent des humiliations devant leurs populations par certains représentants de l’Etat, les services des forces de l’ordre et de la justice, les services de contrôle de l’Etat. Cela se manifeste souvent par des interpellations et emprisonnements abusifs sans aucun respect des procédures. Il est à cet effet loisible de constater depuis un moment la multiplication des interpellations et incarcérations de présidents d’organes exécutifs des collectivités, de conseillers communaux, sans souvent un respect des procédures en la matière». Or, précise le document: « sans bénéficier d’immunité, l’élu local, une émanation des populations à la base, mérite plus de respect, plus de considération, plus d’égard de la part des services de police et de justice. Il a une image à préserver, une confiance des populations à maintenir et renforcer, mais que de tels actes contribuent à fragiliser, en le jetant ainsi à la vindicte populaire. Il ne s’agit pas pour les élus de se soustraire à l’action judiciaire, mais juste le respect des procédures, qui doivent préserver l’image de l’élu, comme cela se fait dans les grandes démocraties ».
La pratique en cours, qui consiste en une privation systématique de liberté de l’élu local, avant même la fin des enquêtes, dénonce le texte : «constitue une grave atteinte à sa crédibilité, un manque total de considération pour son statut de représentant des populations. Car, une confiance difficilement acquise auprès des populations est vite remise en cause par des actions judiciaires qui, souvent, n’aboutissent même pas ».
…. Officiers de police administrative et judiciaire
Pour l’AMM, le Président de l’organe exécutif, en tant qu’officier de police administrative et judiciaire, mérite du respect dans l’exercice de ses fonctions, car doté en plus d’une légitimité populaire.
Le texte appelle à assurer la sécurité des élus locaux et des populations et rappelle que de 2012 à 2020, plus d’une dizaine de responsables d’exécutifs communaux ont été assassinés. L’AMM attire l’attention des autorités maliennes sur la situation de précarité extrême des élus contraints des zones sous influences terroristes pour se réfugier à Bamako ou dans les chefs lieux de région. Le mémorandum souligne l’urgence de la mise en place de la police territoriale, prévue par les textes de la décentralisation et la délivrance de titre de voyage mieux adapté aux responsabilités des présidents des organes exécutifs. « Dans certains pays voisins, dont le niveau de décentralisation est largement en deçà de celui de notre pays, tous les maires et présidents de région disposent de passeport diplomatique ».
Valoriser la fonction publique des collectivités territoriales
Ces mesures préconisées dans le mémorandum permettront, selon l’AMM, aux Présidents des organes exécutifs, aux élus locaux, d’assumer avec efficacité leur mission de services publics de proximité.
Le document insiste sur l’opérationnalisation et l’effectivité de tous les décrets sur les compétences transférées, avec un agenda précis de mise en œuvre, assorti d’éléments de référence des ressources financières nécessaires à transférer. Il appelle à la mise à disposition des Collectivités, les ressources financières nécessaires pour l’exercice des compétences transférées et l’effectivité du transfert de 30% de ressources budgétaires de l’Etat aux Collectivités territoriales.
Ce n’est pas tout. L’AMM propose à l’Etat l’adoption du centime additionnel sur le carburant et sur les communications téléphoniques, la mise en place d’un fonds minier de développement local, afin de doter le processus de décentralisation et les collectivités territoriales de ressources importantes, pérennes, sécurisées, comme cela se fait dans certains pays.
L’AMM appelle au désengagement de l’Etat et de ses démembrements des fonctions opérationnelles (travaux, services divers) de maîtrise d’ouvrage de développement régional et local et à la dévolution des biens aux Collectivités territoriales, qui est une exigence légale de la création d’une collectivité territoriale. « Il n’y a pas de collectivité sans patrimoine public et privé pour assumer les charges qui lui sont dévolues», rappelle le mémorandum. « la prise en compte de tous les éléments qui concourent à la valorisation et l’attractivité de la fonction publique des collectivités territoriales, entre autres : la prise en charge pérenne par l’Etat des salaires des fonctionnaires de l’administration des collectivités territoriales ; de façon générale, la prise en compte de la situation des 65.000 fonctionnaires des collectivités territoriales confrontés à d’énormes difficultés, parfois existentielles».
Mme Bouaré Nènè Damba, Maire de la Commune rurale de Gadougou II : «La décentralisation nous permet de gérer nos affaires par nous-mêmes»
Mme Bouaré Néné Damba dirige depuis le 29 décembre 2016 la commune rurale de Gadougou. Malgré les difficultés liées à son statut de femme cette technicienne supérieure de génie rural, diplômée de l’IPR de Katibougou et très connue dans le monde des O.n.g où elle a évolué, ne manque pas d’atouts. Ainsi à travers ses initiatives novatrices, qui placent les jeunes et les femmes au cœur de ses préoccupations, elle contribue indubitablement au développement de sa commune.
Située dans le cercle de Kita, la commune rurale de Gadougou II est composée de 6 villages. Selon sa première responsable, Mme Bouaré Nènè Damba, c’est la plus petite commune du cercle avec 11 conseillers communaux, dont 3 femmes. L’agriculture et l’élevage sont les principales activités.
Quand on demande à cette fille de fonctionnaire les motivations de son engagement sur le terrain politique, elle répond sans ambages : «C’est un fait de Dieu. Sinon, j’ai toujours évolué dans le monde des O.n.g».
Parallèlement à ses activités professionnelles, Nènè Damba a labouré son champ politique à travers des investissements au sein de la communauté de Gadougou II. Ainsi avec ses maigres moyens, elle menait pendant les vacances des activités comme l’organisation des tournois de football. Elle distribuait aussi des kits scolaires à la rentrée des classes. «Je pouvais dépenser pas moins de 800 000 FCFA dans les fournitures scolaires et à mes frais». Mais j’étais à mille lieues de penser faire la politique un jour ».
«J’ai commencé la campagne avec 45. 000 FCFA»
A l’occasion des communales de 2014, la jeunesse de Gadougou II se rend chez elle pour lui demander l’autorisation de l’inscrire sur la liste. Elle hésite. «A vrai dire, j’avais peur à cause de plusieurs facteurs…», se rappelle Mme Bouaré. Après un temps de réflexion, elle répond à l’appel. Sur la liste du Rassemblement pour le Mali (Rpm) elle est en troisième position. Mais ces élections sont reportées sine die. «Après ce report, la jeunesse m’a de nouveau sollicitée en 2016. Cette fois-ci, j’étais première sur notre liste Rpm. A l’époque, j’ai choisi ce parti du fait de mon admiration pour la personnalité d’IBK».
Avec le soutien des jeunes et des femmes, l’amazone de développement commence la campagne. Elle parcourt les villages assise derrière les motos. Elle vend sa vision aux habitants de la commune. «J’ai commencé la campagne avec 45 000 FCFA. Un jeune a vendu son mouton à 40. 000 F CFA pour me soutenir.» En pleine campagne, elle reçoit une enveloppe de 150. 000 FCFA de la Coordinatrice de l’O.n.g qui l’employait. «Ces 150 000, c’était comme de l’or pour moi», avoue-t-elle avec un large sourire. «Au début, ce n’était pas du tout facile. Surtout lors de la campagne, J’en ai vu de toutes les couleurs. On me traitait de tous les noms d’oiseaux. Mais, je n’ai pas baissé les bras… Je suis restée sereine… C’était une première fois qu’une femme se porte candidate à une élection dans la localité et la victoire serait historique si l’on gagnait. C’est tout ce qui m’a donné la force de me battre jusqu’au bout avec l’appui de mes jeunes et femmes courageux. Au résultat final, nous avons remporté l’élection avec 346 voix devant la liste Urd».
Du 29 décembre 2016, date de son investiture à nos jours, Mme Bouaré Nènè Damba compte déjà plusieurs réalisations à son actif. Grâce aux fonds de l’Agence nationale d’investissements des collectivités territoriales 7 forages ont été réalisés. La commune a bénéficié d’un deuxième Centre de santé communautaire et de trois maternités.
Des réalisations dans plusieurs secteurs du développement
Sous son leadership, la mairie a signé une convention avec l’A.sa.co permettant à la collectivité de participer à la gestion des structures sanitaires à travers un comité paritaire, dont cinq médecins et cinq personnes choisies en dehors de la santé. Sur fonds propres, la Mairie a recruté trois agents de santé pour s’occuper des femmes enceintes et des enfants. Ces agents sont hébergés dans des logements construits par la collectivité. «C’est une obligation pour nous de nous soucier de la vie des femmes enceintes». Face à la situation de la malnutrition des Enfants et pour le respect des engagements signés dans le cadre du plaidoyer conduit par Action Contre la Faim, la Maire de Gadougou II a mis en place un groupement de femmes appelé : « Les Amazones pour la lutte contre la malnutrition des Enfants ». Elles transforment les produits locaux pour les besoins de la bonne alimentation des Enfants. Pour pérenniser les soins essentiels dans la communauté, la Mairie prend en charge la motivation des agents de santé communautaire (ASC). Le Maire Néné Damba a été saluée pour ses nobles initiatives.
Dans le domaine de l’éducation, des salles de classes ont été construites et des enseignants recrutés pour le compte des établissements scolaires. « Ce fonds est mis à la disposition du comité de gestion scolaire par la mairie pour l’appui», souligne-t-elle.
A Gadougou II, la Maire s’illustre par des initiatives novatrices visant essentiellement le développement de la commune. Elle accorde une importance particulière à la sécurité alimentaire et à la lutte contre la malnutrition. Avec l’aide de l’un des partenaires de la Mairie, ont été aménagés des périmètres maraîchers pour les femmes du chef-lieu de la commune. «Chaque année, on leur remet des semences», précise-t-elle.
En outre, elle a mis à la disposition des femmes une petite microfinance informelle. «Au début, c’était avec un fonds de deux millions. Actuellement, on est à quatre millions mais toujours est-il que la demande est supérieure à l’offre», avoue Mme Bouaré Néné Damba. Une façon de parler de l’intérêt suscité par l’initiative au sein de ses administrés.
L’argent est prêté aux membres à un 1% de taux d’intérêt pendant 4 mois. Les femmes bénéficient aussi d’une aide appelée écho-crédit ou crédit solidaire. Les fonds servant à alimenter la caisse de crédit solidaire proviennent des massifs forestiers, des espaces aménagés en 2018 par la Mairie avec l’appui de l’Etat. De 200 000 en 2018, ce fonds est à 600 000. «Mon ambition est de trouver un partenaire pour augmenter ce fonds.»
L’une des grandes réalisations –phares de Mme le maire demeure sans doute la construction, sur fonds propre de la Mairie, d’un carrefour de jeunes. Une promesse faite aux jeunes avant son élection. «Cette réalisation était une promesse que je leur avais faite avant l’élection et je devais l’assumer. Dieu merci, ce projet culturel est devenu une réalité !» se réjouît-elle.
«Dieu a fait mon combat»
La Mairie a été réhabilitée. Un service social a été créé avec le recrutement d’un agent. Elle s’est investie auprès du Préfet pour tous les regroupements. Pour elle, cette formalisation permettra aux regroupements de bien mener leurs activités.
Malgré ces réalisations, souligne-t-elle, beaucoup de besoins restent à satisfaire, particulièrement dans le domaine de l’éducation. Car elle ambitionne de construire plus de salles de classes et de renforcer les capacités des enseignants pour un enseignement de qualité.
Dans l’exercice de ses responsabilités, elle a eu à faire face à plein d’adversités avec une violence psychologique souvent terrible. Mais sa détermination à servir sa communauté n’a point été entamée pour autant. C’est d’ailleurs grâce à sa combativité et sa persévérance que cette femme très forte de caractère tient la baraque. « De nos jours, je peux dire ça va…Seul Dieu est puissant. Dieu a fait mon combat».
Elle estime que la décentralisation est une très bonne chose. «Elle nous permet de gérer nos affaires … », souligne Mme Bouaré. Elle n’oublie pas non plus de rappeler les problèmes de fonds nécessités par le transfert des services aux collectivités. Sur l’avenir, elle se veut optimiste. Ça ira, lance-t-elle en notant des acquis obtenus dans le domaine de transfert de compétence concernant les secteurs de l’éducation et de la santé.
La Maire de la commune rurale de Gadougou II ne tarit pas d’éloges à l’endroit de son époux pour son accompagnement. «Mon mari m’a toujours soutenue…. C’est lui qui m’encourage. Si je me plains, il me donne des conseils….Lors de l’élaboration de la liste, c’est lui qui m’a accompagnée dans la commune », se réjouit Mme Bouaré Nènè Damba.
Elle invite les plus hautes autorités à continuer à faire des plaidoyers pour la promotion de la femme. Selon elle, elles doivent inciter la femme à occuper plus de postes de responsabilités au sein des services publics. Mme le Maire plaide pour une aide spéciale à l’endroit des femmes, surtout dans le domaine de la politique.
Chiaka Doumbia
Source: Le Challenger