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Journée internationale des migrants: la migration au prisme de la fiction africaine

L’immigration est l’un des thèmes majeurs de la fiction africaine francophone. Très tôt, les auteurs africains se sont focalisés sur les enjeux sociaux et identitaires des drames des allers et retours entre leur continent et les anciennes métropoles. Ils y ont puisé quelques-uns des récits les plus mémorables de leur corpus.

Depuis L’Odyssée jusqu’à Alain Mabanckou, en passant par Ovide, Dante, Pétrarque, Kafka, Victor Hugo, Nabokov, Edward Saïd, Wole Soyinka et Nuruddin Farah, l’histoire mondiale de la littérature est tissée de récits de migrations, de transits et d’exils. C’est ce que s’est employé à rappeler un colloque qui s’est tenu en octobre dernier à l’université du Mans (France), consacré aux figures du migrant et représentations de la migration dans les arts et la littérature.

Les participants à cette rencontre sur les migrations, saisies à travers les prismes de la littérature et des arts avaient pour objectif, comme l’écrivent les organisateurs, d’examiner les modalités mises en œuvre par les écrivains pour « restaurer l’humanité des migrants et éclairer les complexités subjectives et les singularités de sujets souvent perçus de manière monolithique, en leur donnant un visage et une voix qui déconstruisent les clichés (…) ».

« Migritude »

C’est à ce travail en profondeur de la déconstruction des clichés sur la migration à l’œuvre dans les lettres africaines que fait référence la notion de « migritude » inventée par l’historien de la francophonie africaine, Jacques Chevrier. Faisant écho au thème de la négritude qui a dominé les écritures africaines à ses débuts, ce néologisme « renvoie, explique son inventeur, à la thématique de la migration dans les récits africains contemporains, mais aussi au statut d’expatriés de la plupart de leurs producteurs qui ont délaissé Dakar et Douala au profit de Paris, Caen ou Pantin ».

Il s’agit en effet d’une nouvelle étape dans l’évolution des lettres africaines francophones dont la plupart des auteurs contemporains se retrouvent à l’étranger, ayant fui les régimes dictatoriaux qui se sont installés dans leurs pays à la suite des indépendances. Tel a été le cas du Guinéen Tierno Monembo, du trio togolais Kossi Efoui, Sami Tchak, Kangni Alem, du Djiboutien Abdourahman Waberi, du Congolais Daniel Biyaoula ou de la Camerounaise Calixthe Beyala. D’autres comme Simon Njami, Blaise N’Djehoya, Yodi Karone ou Catherine Ndiaye ont élu domicile sur le sol français car leurs parents s’y trouvaient ou parce qu’ils y étaient nés.

C’est sous la plume de ces « négropolitains » qu’est née au tournant des années 1980 la littérature de la « migritude », mettant en scène les heurs et malheurs de la vie des immigrés d’Afrique noire établis en France. Ce courant avait pour modèle la littérature « beur » née de l’immigration maghrébine, historiquement antérieure à l’immigration en provenance de l’Afrique subsaharienne.

« L’homme des deux mondes »

Si le surgissement de l’immigration comme l’un des topoï majeurs de la fiction africaine peut être historiquement datée, « le va-et-vient entre l’Afrique et l’Europe a été un thème fondateur des lettres africaines », rappelle pour sa part Bernard Magnier, responsable de la collection «  Afriques » aux éditions Actes Sud, basées à Paris. Le drame de l’écartèlement entre les valeurs spirituelles incarnées par l’Afrique et les valeurs matérielles européennes se trouve, on s’en souvient, au cœur de L’Aventure ambiguë (1961) du Sénégalais Cheikh Hamidou Kane et de l’Ivoirien Bernard Dadié Un Nègre à Paris (1969), deux romans africains emblématiques de la première génération. Dans ces récits pionniers, le drame se résolvait par le retour des protagonistes au pays natal et la réinscription de ces derniers dans la tradition ancestrale.

Aujourd’hui, les enjeux ne sont plus les mêmes. Les indépendances sont passées par là, avec leurs lots de désenchantement et désillusions. Pour les écrivains de la génération de la « migritude » nés pour la plupart après la décolonisation, le retour au pays natal n’est plus une solution pertinente. Leurs personnages, comme dans Bleu, Blanc, Rouge (1998) du Congolais Alain Mabanckou ou dans Le Ventre de l’Atlantique (2003) de la Sénégalaise Fatou Diome, aspirent à partir à tout prix. Ils rêvent de faire fortune à Paris, lieu de toutes les consécrations. Quant aux auteurs, ils se définissent à la différence de leurs aînés de l’époque héroïque de la Négritude, « d’abord comme écrivain et accessoirement nègres ».

Cette dernière citation est extraite de l’essai-manifeste du romancier Abdourahman Waberi, publié dans la revue Notre Librairie (1998), sous le titre ô combien éloquent : « Les enfants de la postcolonie. Esquisse d’une nouvelle génération d’écrivains francophones d’Afrique noire. » Reprenant pour son compte la formule de Salman Rushdie qualifiant les intellectuels postcoloniaux de « bâtards internationaux nés dans un endroit et qui décident de vivre dans un autre », l’auteur de Cahier nomade(1996) et Balbala(1997) revendique pour lui-même et ses compères une identité post-nationale et diasporique.

Cette génération est aussi soucieuse de s’intégrer dans sa société d’accueil. Cela ne les empêche pas de pointer du doigt, par romans interposés, le racisme et les injustices dont ils y sont victimes. C’est ce que fait le personnage de Daniel Biyaoula dans L’Impasse (1996), l’un des ouvrages les plus marquants de la littérature de la « migritude ». Joseph Gakatula incarne le vieux motif de « l’homme des deux mondes  » : rejeté à la fois par son pays natal, en l’occurrence le Congo, et incapable de trouver ses repères au sein du milieu parisien où il évolue, il échoue dans un hôpital psychiatrique. Plus joyeux dans leur mise en scène de l’hybridité, les romans de Calixthe Beyala – la grande dame de la « migritude » – donnent à voir de l’intérieur la condition de la vie immigrée, installée à équidistance entre l’africanité et la francité.

S’il y a eu une éclipse du thème de l’immigration au cours de la décennie écoulée dans la littérature francophone subsaharienne, on est peut-être en train d’assister aujourd’hui à un retour en force de la « migritude » avec l’entrée en scène d’une nouvelle génération de romanciers : Gauz, Mohamed Mbougar Sarr, Aminata Aïdara… Les romans de ces nouveaux-venus s’inspirent de la vie des émigrés africains en France, mais aussi du drame des migrants en Sicile.

Lire la «migritude» : 7 romans incontournables

Beyala Calixthe : Le Petit prince de Belleville , Paris, Albin Michel, 1992

Biyaoula Daniel : L’Impasse, Paris, Présence Africaine, 1996

Diome Fatou : Le Ventre de l’Atlantique, Paris, Anne Carrière, 2003

Mabanckou Alain : Bleu Blanc Rouge, Paris, Présence Africaine, 2001

Ngangu Nkashama Pius : Vie et mœurs d’un primitif en Essonne 91000, Paris,

L’Harmattan

Njami Simon : African Gigolo, Paris, Seghers, 1989

Sami Tchak: Place des fêtes, Gallimard, Coll. Continents noirs, 2001

 

RFI

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