Reconnu de tous comme historien du livre et de la littérature au Mali, Ismaila Samba Traoré joue un rôle prépondérant dans la préservation et la valorisation de la culture malienne. Il possède une riche bibliographie qui fait de lui un écrivain de renommé nationale et internationale. Mais comment est-il arrivé à ce stade ?
Dans ses bureaux à Bacodjicoroni ACI, Ismaïla Samba Traoré présente l’allure d’un homme très actif, téléphone fixé à l’oreille gauche, les yeux rivés (sans lunettes) sur son écran d’ordinateur, ou sur son agenda qu’il remplit au fur et à mesure de ses engagements, il peut néanmoins soutenir une conversation, tout en passant les doigts sur son clavier d’ordinateur et un œil sur son agenda déposé à portée de main sur sa table de travail. L’homme est grand et bien bâti, de teint noir, cheveux blanchis, assez souvent drapé dans un long boubou.
Une vie à l’horloge
Cet homme hyperactif, écrivain, éditeur, chercheur, animateur d’un réseau de consultants, président d’associations et de collectifs, est un homme auquel on recourt volontiers dans le milieu, en sa qualité d’historien de la littérature malienne, de point focal pour fournir les contacts des professionnels du secteur de la culture.
Il partage ses journées entre relecture des manuscrits, accueil et orientation des auteurs, élaboration et conduite de programmes de recherche. Toujours souriant, à peine un appel terminé il peut décrocher un autre téléphone, et de sa voix grave, il oriente en quelques mots ses correspondants.
Le plus souvent, il lui arrive aussi de consacrer toute une matinée aux entretiens avec ses auteurs, notamment les jeunes qui se lancent dans cette aventure de l’édition sans pour autant avoir une véritable expérience dans le domaine. Il a produit, à compte d’éditeur au cours des derniers mois, pas moins de dix ouvrages d’auteurs débutants et moins jeunes. « Ce sont mes coups de cœur », confie-t-il en souriant.
Ismaila Samba ne fait pas économie de sa personne, se donnant sans compter. La dernière née de ses initiatives, c’est la mise en place du Collectif Urgence Ecoles, un regroupement d’écrivains-enseignants qui ont décidé de se battre pour que leurs ouvrages parviennent aux destinataires que sont les enseignants et scolaires. Puisque les formules d’achat de livres sont à l’arrêt depuis de nombreuses années. « La refondation et requalification de l’école malienne se fera avec les contenus que nous produisons, ou ne se fera pas. Puisque l’Etat ne fournit pas les écoles en livres, nous avons décidé d’explorer la piste des Sponsors et ONG, ainsi que des leaders politiques, qui disposent de projet de société qui font la part belle à l’éducation ». Il avoue volontiers être insomniaque, dormant peu, très tôt réveillé, conséquences d’un mode de vie contracté depuis l’adolescence.
Le scénariste des coups d’Etat
Producteur réalisateur à la radiodiffusion nationale du Mali au début de sa carrière de 1972 à 74, il décroche une bourse pour entreprendre des études universitaires en France, entre 1974 à 1982. Passionné par l’écriture depuis l’adolescence, il bascule définitivement dans ce choix de vie central à partir de la parution en 1982 de son premier roman, « Les ruchers de la capitale ».
Certains centres d’intérêt ont valu à ce roman de figurer au programme des écoles, comme la description de la famille, de l’exode rural ayant engendré les quartiers spontanés des nouvelles villes africaines, les clivages entre riches et démunis, l’ouvrage se prête à une lecture politique de la post indépendance. Il a prophétisé le système manipulateur mis en œuvre par les auteurs de putsch au Mali. Qui se met en mouvement entre rumeurs et manipulations…
Les écrits de M. Traoré font l’objet d’exposés, de mémoires et thèses dans des universités en Afrique et en France.
La Sahélienne, au-delà de l’édition
La maison d’édition de livres qu’il a fondée en 1992, La Sahélienne, est la plus connue au Mali. Elle dispose d’une librairie, d’une bibliothèque de lecture et d’un espace consacré aux conférences-débats.
La Sahélienne compte plusieurs collections, consacrées aux romans et récits, aux essais et documents, à la littérature de jeunesse, à la poésie. Sa production de livres en langues nationales compte pour un quart du total de ses publications, en toutes langues nationales du Mali. En plus de l’édition, La Sahélienne est aussi un centre de recherche et de consultation avec un solide réseau de consultants. C’est aussi une structure de formation et d’éducation non formelle.
Implantée dans un grand espace de deux étages, entouré de verdure, le cadre comporte une belle terrasse qui accueille en longueur de journée du monde. En plus des clients qui passent pour des achats de livres, cet espace est un véritable lieu de coworking, où des auteurs viennent le plus souvent se réfugier pour bénéficier non seulement des commodités du lieu, mais aussi et surtout des expériences du vieil écrivain.
Référence de la culture malienne
« C’est un baobab pour le Mali » confie enthousiaste un jeune auteur qui le fréquente depuis quelques années. « Ses romans et chroniques, ses essais sur les filières artistiques et agricoles, ses monographies, recueils de poésie, livres pour enfants, en français aussi bien qu’en bamanankan, représentent une contribution importante dans la construction et la diffusion des savoirs sur notre pays ».
Une autre confie : « C’est son esprit d’ouverture, son humanisme et surtout son amour pour son métier qui sont frappants au premier contact ».
Ismaila Samba Traoré est président du centre malien de Pen International, et du mouvement Malivaleurs. En 2019 il a reçu la haute distinction de Chevalier de l’Ordre national du Mali.
On raconte de Ismaila Samba Traoré qu’à travers le Collectif Solidarité Ecoles fondé depuis 1994, et plus tard avec le Mouvement Malivaleurs, il a réussi à faire sortir beaucoup d’enfants de la déperdition scolaire en raison du manque de moyen de leurs parents.
La riche expérience de Ismaïla Samba Traoré vient non seulement de son poste de producteur réalisateur, mais aussi, et surtout de ses fonctions de directeur national, de conseiller technique, de chargé de mission et de chef de cabinet, au ministère de la Culture et au ministère de l’Éducation de base.
A 72 ans, IsmaïIa Samba Traoré n’a rien perdu de sa rigueur et de sa vigueur. Car « En ce moment, je prépare la relève à La Sahélienne…Je vais me consacrer bientôt, si Dieu veut, à la relecture et publication des nombreux écrits qui attendent dans mes ordinateurs, fruits de mes longues années de recherche et d’écriture. », ne cesse-t-il de rappeler au besoin.
L’homme est à l’aise avec toutes les générations qui fréquentent ses espaces. Malgré l’âge et ses nombreuses occupations, il a une mémoire d’éléphant. C’est véritablement un homme-mémoire, à tous points de vue.
Fousseni Togola