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Interview: le programme national de désarmement, démobilisation et réinsertion

2015 et parachevé le 20 juin 2015 fait du Programme national de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR), un pilier incontournable du processus de stabilisation du pays, dans la mesure où il permettra de désarmer, de démobiliser et d’apporter un appui à la réinsertion des ex-combattants dans leurs communautés respectives. Toutes les parties belligérantes ont exprimé leur ferme volonté politique de s’engager dans sa mise en œuvre.

Le Conseil des ministres du 29 décembre 2015 a adopté les décrets portant création, organisation et modalités de fonctionnement de la Commission Nationale de Désarmement-, émobilisation, Réinsertion (CNDDR) et de la Commission d’Inté- gration, les deux structures chargées de la mise en œuvre de ce programme qui contribuera à renforcer la sécurité et favoriser le retour de la paix et de la stabilité au Mali. La CNDDR est composée par toutes les parties signataires : gouvernement, Plateforme et CMA. Elle dispose d’une structure centrale avec à sa tête un président, un coordonnateur général appuyé par trois vice-coordonnateurs représentant les trois parties signataires Cette Commission qui travaillera en étroite collaboration avec le Comité de Suivi de l’Accord, comprend un organe politique et des sous-commissions techniques, ainsi que des antennes opé- rationnelles à Taoudéni, Kidal, Tombouctou, Gao, Ménaka et Mopti. L’ancien ministre Zahabi Ould Sidi Mohamed, Président de la Commission nationale Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (CNDDR), en présente les objectifs. Le Clairon : Qui sont les véritables bénéficiaires du Programme national de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR) ? Zahabi Ould Sidi Mohamed : Les bénéficiaires du programme peuvent être classés en quatre catégories. Premièrement, les excombattants affiliés aux mouvements signataires qui sont évalués approximativement entre 10 000 et 12 000 personnes. `Deuxiè- mement, les autres groupes armés non signataires de l’Accord, dans lesquels se retrouvent des citoyens maliens disposant aujourd’hui illégalement d’armes et devant être impérativement désarmés au même titre que les combattants membres des mouvements signataires. Troisièmement, les communautés qui ont constitué en leur sein des milices ou des groupes d’autodé- fense pour assurer leur propre sécurité. Enfin, il existe une quatrième catégorie à qui l’Etat malien ouvre la porte afin de lui donner une chance pour renoncer volontairement à la violence armée. Il s’agit de ceux qui sont impliqués dans les activités du crime organisé et du terrorisme. Les portes du programme DDR seront ouvertes pour tous les Maliens dans les régions citées qui seront désireux de rendre volontairement leurs armes. Mais chacun doit comprendre que c’est le gouvernement du Mali qui a la responsabilité première de s’assurer que le désarmement est effectif et total sur l’ensemble du territoire. Tous les détenteurs illégaux d’armes qui sont dans les régions de Kidal, Taoudéni, Ménaka, Gao, Tombouctou et Mopti sont concernés par ce programme d’une manière directe ou indirecte. Les communautés victimes de violences vont également bénéficier des retombées positives de ce programme à travers des projets de réinsertion communautaire. Par souci d’équité et d’inclusivité, un volet spécial s’adresse aux familles des militaires tombés sur le champ de bataille. Toutes ces dispositions découlent des orientations du Président de la République qui engage tous les acteurs à faire du programme DDR un véritable outil de réconciliation nationale. Vous avez opéré une catégorisation des bénéficiaires. Est-ce à dire que tous n’auront pas les mêmes traitements ?

La mise en œuvre du programme DDR obéit à des règles conformes aux standards internationaux qui ont été appliqués dans d’autres pays ayant connu des rebellions ou soulèvements armés. Il s’agit ici de s’en inspirer tout en les adaptant au contexte malien. Pour les ex-combattants, membres des groupes armés signataires, un document a été signé par le gouvernement et les représentants de ces mouvements au sein de la Comité Technique de Suivi, qui fixe les critères d’éligibilité au programme DDR : aucun combattant ne sera admis dans les camps de cantonnement s’il ne figure pas sur la liste des mouvements signataires et s’il ne rend pas son arme individuelle. Pour ce qui est des armes collectives telles que les mortiers, les automitrailleuses, les grenades, les munitions, etc., des ratios (hommes/armements) ont été convenus pour éviter toute incompréhension lors de l’opération de désarmement. Ce document a été validé par le gouvernement et la médiation internationale. L’approche sera similaire pour la technique de désarmement. Le gouvernement appréciera le moment venu la pertinence du volet intégration dans le cadre des recrutements planifiés par la Loi d’orientation et de programmation militaire votée par l’Assemblée nationale. Il s’agit d’avoir une approche inclusive visant à éviter les injustices et les discriminations criardes. Par contre, des compensations collectives seront mises en œuvre dans le cadre des projets de réinsertion communautaire impliquant au maximum les éléments désarmés au sein des communautés. Comment sera organisé le travail sur le terrain ? Le travail s’effectuera en trois phases successives et interdépendantes : le regroupement sur la base des listes soumises par les mouvements signataires ; l’enregistrement et le screening au sein des camps de cantonnement ; la démobilisation et la réinsertion. Conformément au document élaboré avec les mouvements signataires et soumis aux partenaires lors de la table ronde sur le financement du volet réinsertion du 8 décembre 2016, le processus commencera par le regroupement, par les responsables des mouvements signataires, de leurs combattants sur les sites de cantonnement déjà opérationnels. À la date d’aujourd’hui, la MINUSMA a construit huit sites ayant chacun une capacité d’accueil de 700 à 800 combattants. La durée de séjour de chaque combattant sur l’un de ces sites va de 15 à 45 jours maximum. À leur arrivée aux camps de cantonnement, les combattants seront orientés vers différents desks où il sera procédé à leur identification et à la vérification de leur nationalité malienne. Chaque catégorie de combattant (handicapés, femmes et enfants) aura un traitement approprié, en fonction des résultats de la visite médicale effectuée par l’équipe des médecins et autres spécialistes présents sur le site. Une fois ce processus terminé, la partie militaire entrera en jeu pour les vérifications du statut du combattant. Il s’agit de voir si l’intéressé a les aptitudes nécessaires à exercer professionnellement le métier des armes ou plutôt s’il est apte à apporter sa contribution au développement local et national dans un autre domaine. Il sera tenu compte du choix professionnel de chaque combattant. Après les opérations d’enregistrement, de désarmement et de screening, une carte de démobilisé infalsifiable sera remise au combattant pour son enrôlement. Cette carte permettra l’ouverture d’un compte bancaire individuel au nom du bénéficiaire où seront transférés mensuellement les pécules de réinsertion sur une durée de quatre à cinq mois maximum, en fonction du dé- marrage effectif du programme de réinsertion qui vise à former le bénéficiaire au métier qu’il aura choisi. Quels sont les défis à relever pour réussir cette mission ? Ce genre de programme est très complexe parce qu’il se dé- roule dans un environnement sécuritaire instable. Il y a une insé- curité entretenue par d’autres groupes qui sont hostiles à la paix. Lorsqu’on travaille dans un contexte pareil, les défis sont multiples, mais ils ne sont pas insurmontables. En comptant sur la bonne volonté, la bonne foi et l’engagement de toutes les parties, nous pensons pouvoir surmonter ces défis. Le succès du programme dépendra de sa gestion. Si celle-ci est rigoureuse et le programme transparent, nous sommes convaincus qu’il sera un outil pour accélérer le retour de la paix et de la stabilité. Qu’en est-il du financement de ce programme? L’expérience a démontré que le financement de ce type de programme doit être préalablement obtenu, disponible et sécurisé. Une interruption après un début d’exécution peut entraîner des difficultés insurmontables par la suite. Sur ce plan, nous sommes optimistes parce que la Table ronde des donateurs a mobilisé de nombreux partenaires techniques et financiers qui ont rassuré le gouvernement malien de leur engagement à œuvrer à ses côtés pour la réussite du programme DDR.

Le programme comporte trois volets distincts et interdépendants qui ont besoin chacun d’un financement à hauteur des besoins évalués conjointement par le gouvernement malien et ses partenaires techniques et financiers. Le volet n°1 concerne le désarmement et la démobilisation, évalué à environ 29 millions de dollars. Environ 21 millions de dollars ont déjà été mobilisés, dont près de 8 millions alloués à la construction des huit sites de cantonnement. Le reste des fonds est disponible et servira à fi- nancer le processus de cantonnement et de démobilisation : frais médicaux, nourriture des ex-combattants lors de la période de cantonnement sur le site et pécule de démobilisation de 210 dollars par combattant dès réception de sa carte de démobilisé. Ces fonds serviront également à financer l’informatisation de la banque des données du processus de screening et certains projets liés à la réduction de la violence au sein des communautés, la pré-réinsertion des démobilisés sous forme de petites formations en civisme et orientations professionnelles. Le gap à couvrir pour ce volet est de 8 millions de dollars qui seront affectés essentiellement aux petits projets de réduction de la violence au sein des communautés victimes de la crise. Le volet n°2 est relatif à la réinsertion et à la réintégration socioéconomique des ex-combattants bénéficiaires du programme. Ce volet, exécuté dans le cadre du partenariat Banque mondiale/gouvernement du Mali, est évalué à 50 millions de dollars. Suite à la Table ronde des donateurs, ce volet dispose de 25 millions de dollars dont 10 millions de contribution du gouvernement et 15 millions financés par la Banque mondiale. Il reste un gap de 25 millions de dollars que plusieurs partenaires sont intéressés à couvrir en fonction des progrès et résultats tangibles réalisés sur le terrain après le démarrage du programme.

Le volet n°3 concerne la réinsertion et la réintégration des communautés victimes du conflit. Il existe actuellement plusieurs programmes au Nord au titre de la coopération bilatérale ou multilatérale. Le programme DDR et la Banque mondiale feront une cartographie de toutes les interventions, région par région, afin d’éviter les duplications des activités sur le terrain et conseiller les autres départements ministériels et partenaires, à réviser en cas de besoin leur planification en matière de développement dans les ré- gions du Nord du Mali. Le programme DDR a pris également contact avec le PNUD Bamako et les responsables du PBSO (Bureau d’appui à la consolidation de la paix) à New York afin de faire bénéficier le Mali des financements auxquels il est éligible en tant que pays en crise. Le financement ne posera pas de problèmes, si le programme démarre dans la transparence et s’il est crédible et convaicant sur le terrain tant pour les populations que pour les bénéficiaires. Quelles sont les erreurs à éviter ? Il faut d’abord mettre en place des outils de gestion efficaces et transparents. Il faut éviter de démarrer le programme sans boucler la majorité du financement, éviter que le cantonnement ne soit un casernement, c’est-à-dire faire en sorte que le combattant, une fois identifié, entre rapidement en possession de son pécule en toute transparence. Il faut éviter autant que faire se peut la corruption au sein du programme et le rendre inclusif en évitant les injustices et les iniquités. Il convient aussi de procéder à des évaluations et à des audits réguliers du programme afin de procéder aux corrections nécessaires. Il faut également mettre en place un mécanisme de recours au sein de chaque bureau régional afin que les plaintes des bénéficiaires soient étudiées correctement et qu’en cas de preuve avérée de manquements, la réparation soit faite pour les plaignants. Le programme DDR au Mali est-il différent de ceux que vous avez eu à superviser lorsque vous étiez en fonction aux Nations unies ? Chaque pays est un cas unique, avec ses réalités propres.

Ce qui fait la singularité du cas du Mali, c’est qu’il prend en compte des éléments de l’armée régulière qui ont déserté avec armes et bagages. Cette disposition est une première dans l’histoire des Nations unies et de la Banque mondiale. Cette catégorie sera traitée d’une manière spéciale dans la mesure où l’accord prévoit leur réintégration après la mise en place d’une commission composée par toutes les parties et qui doit traiter leurs cas individuellement en se penchant sur leur dossier respectif. La commission devra faire preuve de rigueur dans le traitement des dossiers en tenant compte de l’avis des organisations des droits de l’homme et des communautés locales victimes de violence. Il y a également le cas des combattants désireux de renoncer volontairement aux activités du crime organisé et du terrorisme qui doit être pris en compte. Pour toutes ces catégories, il va falloir trouver une méthode appropriée pour traiter les cas de manière consensuelle entre toutes les parties signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali. Le DDR est un travail d’équipe à haut risque où il est nécessaire d’établir des coordinations entre plusieurs acteurs aux mandats parfois opposés. Mais avec l’engagement de tous et la bonne foi de chacun, le succès sera au rendez-vous. Vous êtes donc optimiste ?

Le Président de la République Ibrahim Boubacar Keïta attache une très grande importance à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali et au succès du programme DDR dont dépendra en grande partie le retour de la paix et de la stabilité dans notre pays. Je compte sur l’engagement de tous nos compatriotes pour le succès de ce programme et surtout celui des mouvements signataires qui sont avec nous dans toutes les structures de gestion du DDR tant au niveau national que ré- gional. Notre ambition est de faire de ce programme un vrai outil de réconciliation nationale. Il faudrait aussi que tous ceux qui sont impliqués dans la gestion de ce programme fassent preuve de professionnalisme et de rigueur en privilégiant la transparence et l’équité dans toutes les activités liées à l’exécution du programme.

Source: Clairon

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