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Interview d’Aminata Dramane Traoré

Aminata Dramane Traoré est une voix puissante. Ancienne ministre de la Culture du Mali [1997 – 2000], engagée dans une série d’actions pour la transformation sociale de son pays, elle est une des marraines et l’une des invités du festival Paroles Indigo, un tout nouveau festival littéraire qui réunit du 1er au 3 novembre 2013 à Arles, et ce pour la première fois en France, des éditeurs et des auteurs des mondes arabe et africain. Un lieu d’échanges, de débats et de rencontres où elle fera, justement, entendre sa voix.

Aminata Dramane Traoré altermondialiste mali

Que pouvez-vous nous dire de la situation actuelle au Mali ?

Je pense que l’élection d’Ibrahim Boubacar Keita, élu avec 77% des voix, prouve que les Maliens ont de nouveau envie de croire au pouvoir des urnes. Ils y avaient cru après les évènements de Mars 1991, mais la montagne a accouché d’une souris. C’est cette déception qui a conduit les Maliens à se méfier de la politique et des politiciens. Le taux de participation qui oscillait entre 20 et 30 % a atteint 50 %. Il s’agit maintenant de capitaliser cet acquis politique, même si François Hollande l’interprète comme sa victoire personnelle.

François Hollande veut vous voler cette victoire ?

Ce sont des médias français qui ont rapporté que sept mois après, Hollande est de retour pour « investir » le nouveau Président. Il avait prévu bien avant que l’on sache qui allait être notre président qu’il serait là pour l’investiture de l’élu.

Vous n’étiez pas d’accord avec l’intervention de la France ?

Je suis anti militariste. Il y a énormément de phénomènes que la « communauté internationale » prétend combattre, sans remettre en question le modèle de développement qui nous a été imposé. De mon point de vue, croire qu’on a le droit de déployer des milliers de soldats et des tonnes de matériel de guerre dans un pays comme le nôtre, pour chasser quelques centaines de djihadistes est un leurre. Cela peut convaincre certains mais des tas d’informations attestent que cette guerre a été préparée de longue date par la France.

Qu’est-ce qui peut changer aujourd’hui au Mali selon vous ?

Le Président Ibrahim Boubacar Keita a une capacité d’écoute qui est un atout dans les circonstances actuelles. Sans aller jusqu’à dire qu’on est en terrain connu, la situation sociale économique et politique étant extrêmement complexe et grave, je crois qu’il est possible en libérant la parole de fédérer les énergies. Je pense que les thèses que nous développons et défendons concernant les alternatives citoyennes ont des chances de trouver leur place.

En quoi la situation au Mali est-elle emblématique des rapports Nord /Sud ?

Parce qu’on a fait du Mali un modèle de transition démocratique, après les événements de mars 91, sans demander l’avis des Maliens. En fait, on nous a poussé dans le sens de l’ouverture au marché, en dépit de l’enclavement du pays et bien que nous n’ayons pas grand-chose à exporter. On s’est fié à des taux de croissance qui ne veulent rien dire puisqu’ils n’ont pas d’incidence sur la vie des Maliens ordinaires. Tout s’est effondré à la suite des chocs externes, notamment l’invasion des bandes armées venues de la Libye, et interne, en l’occurrence, le coup d’état. En réalité, l’édifice ne reposait sur rien ! On nous parle de l’impérieuse nécessité de reconstruire l’état et l’armée mais on oublie que ces institutions ont été vidées de leur contenu à la faveur des politiques d’ajustement structurel.

Comment expliquez-vous cela ?

Par le fait que les occidentaux nous privent des outils théoriques et intellectuels qu’ils se donnent dans l’analyse des mêmes phénomènes chez eux. Quand le Président François Hollande parle à partir du Mali, il ne s’adresse pas aux Maliens, mais aux opinions publiques occidentales pour illustrer le bien-fondé de l’interventionnisme militaire. Le Mali, de mon point de vue, est emblématique de l’échec de cette solution.

Quelles incidences ont en France les événements du Mali ?

Ces évènements brouillent davantage l’idée que les Français se font du Mali et des Maliens. Nous sommes libérés selon la France officielle. Nous sommes en réalité recolonisés. Dans les fonds annoncés pour la reconstruction, le Medef est venu chercher sa part ! Donc on finance le développement ici pour pouvoir s’octroyer à soi-même des parts de marché ! Et on voudrait qu’il n’y ait pas de chômage, de migrants, ni de radicalismes religieux ? Je crois que la France se tire une balle dans le pied en mettant constamment sous le tapis les vraies questions.

Est-ce que vous développez toutes ces questions dans votre prochaine publication, Emblématique Mali ?

Oui ! J’établis une sorte de dialogue avec mon pays. Je prends son pouls parce que les médecins qui sont à son chevet sont de mauvaise foi. Je veux rendre compte de ce qu’il advient d’un pays sahélien et enclavé que l’on pousse à se libéraliser alors qu’il n’en a pas les moyens et à qui on impose la guerre pour défendre les intérêts dominants. Il y a longtemps que nous sommes en insécurité, alimentaire, sanitaire, physique… Une insécurité qui se traduit après trente années par des taux de chômage surréalistes. Rares sont les pays d’Afrique de l’ouest où le taux de chômage ne frôle pas 50%. Vous ne voulez pas que les gens se révoltent ? Je demande que le Mali parle au monde et que le monde s’intéresse à nous.

De quoi est-il question dans cette autre parution à venir 1001 Maliennes debout à paraître aux éditions Taama, coécrit avec votre complice en écriture, Nathalie M’Dela-Mounier ?

Ce travail a commencé bien avant les derniers événements. Nous nous étions engagées Nathalie et moi dans ce processus lorsque nous nous sommes rencontrées à Rennes. On s’est liées d’amitié, elle est venue à Bamako, et, ensemble, avec le reste de l’équipe du Centre Amadou Hampâté BA (CAHBA) et des membres du Forum pour un Autre Mali (FORAM) nous avons mobilisé les femmes, pour qu’elles parlent de leurs vies de femmes sous l’angle des objectifs du millénaire pour le développement secteur par secteur. A travers Mille et une  Maliennes debout, nous expliquons comment on peut opérationnaliser l’alternative citoyenne et permettre aux femmes de s’approprier le discours sur leur propre situation à travers des moyens culturels appropriés, tels que la chanson. Il y a une douzaine de thématiques, dont on a débattu et qu’elles ont transposées dans des chansons. Logiquement, ce livre doit sortir avec un Cd qui comprendra des chansons en bamanankan, traduites également en français.

Quelle portée a pour vous le fait de parler en dehors du Mali, notamment en France, à l’occasion de votre venue au festival arlésien Paroles Indigo ?

Dans un contexte comme celui-ci, la « communauté internationale » ne jure que par la responsabilité de protéger les civils dont les femmes. Je pense que c’est une forme de violence extrême que de stigmatiser et de criminaliser les Africaines qui font l’effort de penser librement et d’écrire. [AminataTraoré a été privée de visa d’entrée dans l’espace Schengen en 2012 à la suite de sa prise de position contre l’intervention au Mali]. Je ne m’attendais pas à cela. Je suis surprise. Globalement, j’ai compris que les choses fonctionnent comme ça : soit je cautionne la thèse du sauvetage du Mali par la France, ce qui nous condamne nous Maliens à lui dire merci à jamais et à avoir une dette envers elle, soit la situation ici, je le rappelle, comme tout le monde le reconnaît, est une des conséquences de l’intervention de l’OTAN en Libye. Cela veut dire que le Mali n’a rien fait pour mériter ni l’invasion du nord par les djihadistes, ni le mauvais remède qui consiste à déployer des soldats que l’on va remplacer par des casques bleus.

Les casques bleus ne peuvent résoudre les problèmes du Mali selon vous ?

Nous ne connaissons pas un seul pays où les casques bleus ont atteints les objectifs qui leur ont été assignés. Au lieu de consacrer l’argent des Nations Unies à l’éducation, la santé, l’alimentation, qui sont les vrais problèmes des Maliens, une bonne partie des moyens financiers disponibles est aujourd’hui débloqué pour la sécurisation des investissements  étrangers et le maintien d’une paix introuvable dans un ordre mondial structurellement violent. Pourquoi a-t-il fallu que les Nations Unies, dont le développement, la démocratie et les droits de l’homme, étaient les piliers consacrent tant d’argent dans les casques bleus ? Il y a encore des experts bien sur, mais j’ai l’impression que bientôt, si on continue sur cette lancée, les casques bleus seront plus nombreux que les experts !

Pour conclure ?

Je salue cette initiative mise en place par le festival Paroles Indigo, qui est un moment de rencontres, d’échanges, de prises de paroles, comme son nom l’indique. Je me réjouis d’en être partenaire. C’est sur ce mode-là que les choses devraient fonctionner entre le Nord et Sud !

Propos recueillis par Marie-Hélène Bonafé

Source: Mediapart

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