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Interview d’Amadou Haya Sanogo, président du Cnrdre «J’ai tué des mercenaires sur le terrain et on en a capturés avec leurs armes»

Dans une interview qu’il nous a accordée dans notre parution n°131 du lundi 14 mai 2012, le capitaine Amadou Haya Sanago a fait des révélations qui pourraient aujourd’hui le compromettre sérieusement dans l’enquête ouverte en son encontre par le parquet de la commune 3 suite aux disparitions, meurtres, tortures des soldats. Ces faits remontent d’une part aux évènements douloureux du 30 avril au 1er mai 2012 qui ont opposé des bérets rouges aux bérets verts. Et d’autre part la récente mutinerie du 30 septembre 2013, survenue dans le Camp Soudiata de Kati et qui a mis aux prises des éléments de l’ex Cnrdre. En effet lors de cette rencontre, le capitaine devenu aujourd’hui le général Sanogo confirmait la présence des mercenaires sur notre sol dont-il a affirmé en avoir personnellement tués. Nous vous proposons l’intégralité de cette interview exclusive.

amadou haya sanogo

Le prétoire : Après la décision de la Cedeao, que vous considérez d’ailleurs comme unilatérale, quant à l’application de l’Accord-cadre, pourquoi avez-vous dépêché une mission à Ouagadougou pour rencontrer le médiateur ?    
Capitaine Amadou Haya Sanogo : La Cédéao, effectivement, après qu’on ait signé un accord-cadre sur lequel nous sommes encore en train de plancher, a pris une décision unilatérale. J’ai juste dit non. Nous devons revenir à l’Accord-cadre pour finaliser ce que nous avons commencé. Je crois que le message est bien passé. Les chefs d’Etat de la Cédéao – que je respecte beaucoup – ont encore offert l’opportunité de revenir là-dessus. C’est pourquoi notre délégation était à Ouagadougou. C’est la raison pour laquelle la délégation de la médiation se trouve à Bamako. Toujours dans le cadre de la mise en application de l’Accord-cadre.

 

Cela signifie-t-il que tout marche bien par rapport à l’application de l’Accord cadre? 
Nous sommes encore en train de repartir en fonction de l’Accord-cadre. Donc, pour moi, tout marche bien.

 

Justement ! Selon la clameur, le Professeur Dioncounda Traoré  veut jeter l’éponge. Est-ce la raison pour laquelle les ministres Bassolé et Bictogo reviennent à Bamako pour convaincre à ne pas démissionner ?    
Je ne saurais le dire. Je n’ai pas assisté à leur réunion. Ce que je peux dire, c’est que les ministres Bassolé et Bictogo, respectivement représentant de la médiation et de la Cedeao et du président en exercice de la Cédéao, sont là pour l’application de la mise en œuvre de l’Accord-cadre. Nos échanges s’arrêtent uniquement au niveau de l’Accord-cadre. Qu’ils viennent ici, c’est normal. Qu’ils passent voir le président de la République par intérim et le Premier ministre, c’est tout à fait normal.

 

Un autre problème préoccupe les Maliens. C’est la situation qui prévaut au sein de l’armée. Même si tout le monde dit qu’elle est maîtrisée, il y a toujours des inquiétudes. Qu’en est-il réellement ?    
En tant qu’officier des forces armées, je dis que c’est fini. Je vous le dis : même si ce n’est pas cet incident, aucun pays africain n’est à l’abri de quelques petites difficultés par-ci ou par-là. Vous savez, dans l’armée, il n’y a pas de politique. C’est-à-dire que dans l’armée, si vous commettez une faute, vous êtes punis conformément au règlement. Et demain, on se met encore en rangs serrés pour progresser. L’incident était certes malheureux. Nous avons tout fait pour l’éviter. Dès le premier jour du coup d’Etat, j’ai personnellement appelé quelques collègues (Ndlr, des officiers commandos parachutistes) pour leur dire de ne pas s’entêter.

J’ai commencé une mission. Je compte la terminer tant que je resterai en vie. Donc, ce n’est pas la peine de faire couler du sang. Nous pouvons continuer, refaire l’armée pour la même cause. Malheureusement, le message n’est pas bien passé. J’ai déploré des morts dans mon camp comme de l’autre côté. Après, nous leur avons envoyé, une fois de plus,  des émissaires pour leur dire de faire table rase sur tout et refaire une armée forte. C’est ce dont le peuple a  besoin tout de suite. Car, il y a une réalité qui nous attend. Voilà ma priorité et non les jeux politiques et autres. Ils nous ont dit qu’ils ont compris, mais qu’est-ce qui s’est passé ? Ce même groupe a détalé de Gao, avec dix-sept véhicules lourdement armés du régiment des commandos parachutistes. C’est après leur défection que Gao s’est affaiblie. Ce qui n’est pas négligeable ! Imaginez, un peu, dix-sept véhicules lourdement équipés ! Ils ont pris la route de Bamako en alertant leurs camarades de les attendre pour se payer du capitaine Sanogo des humiliations qu’il leur a infligées. Dès lors, j’ai envoyé des troupes sur la route de Ségou, discrètement, pour les désarmer et les mettre dans un véhicule civil, direction Djicoroni Para. C’était aussi simple que cela. A ce propos, j’ai dit non, il n’y a rien. Mais, l’autre jour, paf ! On me dit que le régiment para s’agite parce que le capitaine et les hommes de Kati veulent les attaquer. J’ai dit que c’est insensé. Alors qu’ils étaient en train de boire, ils ont tout consommé -drogues et autres- avec les mercenaires qui étaient déjà-là. Lorsque j’ai eu les signes annonciateurs de l’arrivée de ces mercenaires et des caches d’armes, j’ai procédé à des arrestations et des investigations. Pendant ce temps, on pensait que Sanogo effectuait des arrestations arbitraires. Pourtant, ce sont des services spécialisés qui étaient à l’œuvre. Qui plus est, nous les avons relâchés. Voilà ce qui est arrivé à Bamako.

Ces gens-là, ils se sont entêtés. Ce qui ne pas empêché d’envoyer encore le chef d’état-major pour leur dire Messieurs arrêtez, laissez tomber, ne le faites pas, cela ne nous fera pas grandir. Vous savez ce qui s’est passé ? Ils ont pris le chef d’état-major et l’ont attaché. Peu de temps après, on m’informe que la première troupe est au niveau de Kati Sananfara. J’ai dit que c’est sérieux. Alors on réplique ! J’ai répliqué et j’ai nettoyé les deux camps. Le problème  «commandos parachutistes» est fini au Mali (Rire). Ceux qui ne faisaient pas partie de cette opération saugrenue sont en train d’être recensés. Ils seront déployés auprès de leurs frères d’armes pour la même mission de défense de l’intégrité territoriale de ce pays.

 

Vous avez parlé de mercenaires. Est-ce-que vous avez des preuves matérielles qu’il y avait réellement des mercenaires à côté de vos frères d’armes pour vous combattre ? 
Je le dis ouvertement. J’en ai tué sur le terrain! On en a capturé avec leurs armes on les a fouillés et regardé leurs pièces. Ce n’était pas des Maliens. Je ne dirai jamais quelque chose dont je n’ai pas la preuve. Si l’autre mentait à son peuple (Ndrl : ATT), moi, ce n’est pas le cas. On avait des responsables ignobles. Je dis aux Maliens ce que je vois et ce dont j’ai la preuve.

 

Quel sort est réservé à ces rebelles d’un autre genre ?
Je peux dire qu’ils sont chanceux d’avoir été capturés vifs. Ils vont être traduits en justice et finiront leur vie en prison. Ils peuvent s’estimer heureux.

 

Peut-on dire qu’il y avait des mains invisibles derrières ces soulèvements ?  
Oui ! Aux plans national et international.

 

Est-ce vrai que vous avez découvert des caches d’armes à Bamako ?    
Il y a effectivement des caches d’armes que l’on est en train de déceler petit à petit. Les propriétaires, sinon les commanditaires, vont connaître le même sort que les mercenaires. Si en fouillant une cache d’armes il y a une résistance armée quelconque, je n’hésiterai pas, une seule seconde, pour la sécurité de mes hommes, à réagir en conséquence.

 

Au niveau de la gestion du pouvoir, on a l’impression qu’il y a deux chefs d’Etat au Mali. Même si on dit que c’est Dioncounda Traoré qui dirige le pays. Le capitaine Sanogo n’a-t-il pas la main mise quelque part ?    
Le capitaine Sanogo et le comité, les forces armées sont là. Je vous dis d’emblée, les troupes qui sont là pour ma protection, pour le service, c’est le chef d’état-major des armées qui les désigne. A l’instant où je vous parle, il y a un président de la République du Mali par intérim. Il y a un Premier ministre  avec pleins pouvoirs. Il y a un gouvernement en place. Le capitaine Sanogo ne dirige pas le Mali.
Pourtant, le Malien voit le capitaine Sanogo utiliser les moyens et les symboles de l’Etat. Pour lui, c’est le capitaine Sanogo qui est le président de la République…
C’est juste une interprétation. N’oubliez pas que mes apparitions médiatiques sont légitimes et normales. Du fait que c’est le capitaine et ses hommes qui ont posé cet acte libérateur que j’ai réellement trouvé salvateur. Vous croyez qu’on pouvait juste disparaître en un ou deux mois comme ça ? Non ! Le peuple a besoin de nous voir à son chevet. On a besoin de faire passer des messages. Voilà la seule raison. Sinon, ce n’est pas pour s’approprier quoi que ce soit.

 

C’est sûr ?

Sûr. (Rire) !

 

Capitaine, c’est bientôt la fin de la période intérimaire. Envisagez-vous de prendre le pouvoir ?
(Rire !) Je reste dans l’Accord-cadre. Tout est prévu dedans. Je ne permettrai à personne, je dis bien à personne, de sortir de l’application de l’Accord-cadre.

La gestion de cette période est simple. Je m’en remettrai au contenu de l’Accord-cadre qui précise qu’il exerce une fonction d’intérimaire. Au-delà de quarante jours, nous, Comité Cnrdre et la Cedeao, viendront ensemble à la table pour décider de mettre en place des organes de transition. Ces organes seront connus en temps opportun.

 

Dans l’Accord-cadre, on parle de feuille de route qui doit définir l’organisation de la transition à travers une concertation. En tant qu’acteur principal de ce document, dites-nous où nous en sommes aujourd’hui ?
En effet ! Je suis et je demeure l’acteur principal de l’Accord-cadre. N’eût été, bien sûr, quelques évènements et incompréhensions, suite à la décision unilatérale de la Cédéao, peut-être, à cet instant-ci, on aurait déjà progressé.

Mais, je vous garantis, quand même, que le Comité évoluera en fonction de l’Accord-cadre.

 

Avez-vous une idée de la durée de la transition politique en vue ?        
Je préfère ne pas faire de fixation là-dessus. Parce que tout dépendra de deux choses : la vitesse avec laquelle on règle le problème du Nord et l’élection présidentielle. Il faut d’abord un fichier consensuel, bien organiser les élections, pour que les Maliens élisent enfin le Président de son choix.

 

Pour beaucoup de Maliens, le capitaine serait otage des troupes. Vos décisions  sont-elles librement prises ?      
Je vais vous dire quelque chose. Le jour où je débutais ce mouvement, sans fausse modestie, j’étais le seul officier présent devant la troupe. Au fur et à mesure que les choses évoluent, j’ai des camarades qui ont vu la cause et sont venus, dès les premières heures, jusqu’aux premières 24 h, ainsi de suite. Pour moi, ils font partie intégrante du mouvement. C’est après avoir appris qu’on partage la même cause qu’on a commencé à se rejoindre.

Donc, je ne vois pas sous quelle pression, et de qui, le capitaine Sanogo serait amené à prendre ou à changer une décision. Je vous le dis. Je suis encore le président de ce Comité, je peux m’associer à des collègues pour des prises de décision, prendre l’avis des uns et des autres, mais encore une fois, la dernière décision me revient pour toute décision qui sortira de ce bureau où venant de ce Comité. Et quand je prends une décision, je l’assume.

 

Une autre préoccupation : le Nord. C’est votre priorité, vous avez eu à le dire. Pensez-vous qu’une armée décapitée, une armée au sein de laquelle on s’entretue, peut faire face à sa mission de libération du Nord ? D’ailleurs, en a-t-elle les moyens ?           
J’ai le plus grand moyen: le potentiel humain et le moral. Si vous dites que l’armée est décapitée, je dirai, peut-être, non. Seulement, je me suis débarrassé de ce qui n’est pas bon. Lorsque le premier responsable d’une structure se permet de détourner ce qui doit parvenir aux soldats, je crois que l’absence de ce monsieur vaut mieux qu’une armée avec un chef pareil. Je ne le tolère pas.
Je m’en suis débarrassé. Actuellement, toutes les structures de l’armée sont là : les chefs d’état-major,  le chef d’état-major général, le ministre de la Défense. Et, au niveau des hommes aussi, l’armée n’est pas déchirée. Il y a un soldat qui s’est trompé, c’est qu’il s’est laissé manipuler par quelqu’un et je l’ai corrigé. Cela appartient déjà au passé. Aujourd’hui, nous sommes en train de voir comment il faudrait chercher, par-ci et par-là, le strict minimum pour commencer.

 

Mais les Maliens sont pressés. Pouvez-vous nous expliquer un peu comment évoluent les opérations ? Qu’est-ce qui prouve que les troupes sont jusqu’à Sévaré?            
Vous savez, l’opération militaire, trop l’expliquer, c’est dangereux. Ne pas l’expliquer, c’est dangereux. Vous avez le droit, en tant que citoyen, d’interpréter. Le travail a commencé.

 

Le résultat, c’est pour quand ?         
Au fur et à mesure.

 

Revenons au capitaine Sanogo. Vous êtes venu à la suite d’un coup d’Etat, le 22 Mars. Aujourd’hui, il y a toutes sortes d’interprétations autour de la personne du capitaine Sanogo. On dit que c’est un pauvre type qui est venu les poches vides et qu’après vérification, il aurait sept cent millions de francs dans un compte. Pouvez-vous édifier le peuple malien par rapport à cela ?                   
(Rire !) Cela ne me surprend pas. Vous savez, on est au Mali. Si les phases d’actions physiques ne marchent pas, il y a les phases de diffamation. Ils peuvent tout dire. Ils n’ont qu’à vérifier dans toutes les banques du monde. Ils sont libres de publier ce que Sanogo a comme biens. N’oubliez pas que j’ai passé sept à huit années de ma vie à étudier et à me former à l’extérieur. J’ai fait des économies. A l’instant T, Sanogo n’a rien.

Au contraire, le Comité n’a même pas de crédit. Il y a des personnes de bonne volonté qui viennent nous donner un, deux ou trois millions pour nous aider. C’est avec cela que je nourris les soldats que vous voyez dehors. Je les entretiens avec ces dons. Les véhicules qui roulent pour notre service, je n’ai pas de carburant pour ce faire.

C’est aussi avec ces aides que je paye le carburant. Ensuite, au niveau de nos unités, je suis parvenu à mettre sur pied un certain nombre d’engins. Ce que le gouvernement passé n’a pas pu faire en vingt ans. Actuellement, les unités commencent à devenir opérationnelles uniquement grâce aux bonnes volontés. Donc, si j’avais uniquement souci de me remplir les poches, j’en ferai un autre usage. Ils se sont trompés de cible. Le capitaine n’a rien, absolument rien. C’est pourquoi, parmi les décisions de la Cédéao, je ne me suis pas inquiété du gel des comptes. Pour mon cas, ils allaient uniquement geler un numéro, pas un compte.

 

Vous vous cramponnez uniquement derrière votre déclaration prise la nuit du coup d’Etat ?
Je suis là. Les objectifs ne changeront pas. Seulement, j’ai eu du retard dans le processus. C’est dû à de petits évènements, par-ci et par-là.

 

Votre appel au peuple malien ?
J’ai deux appels à lancer au peuple malien. Le premier, c’est d’inviter encore le peuple malien à rester vigilant.

Car, tout n’est pas terminé. Quand je dis que tout n’est pas terminé, c’est qu’il y a encore des individus mal intentionnés qui peuvent cacher quelque chose. Le minimum c’est d’informer les services de sécurité d’à côté. C’est le premier cas. Le second cas, c’est surtout les voyageurs. Qu’ils ne se sentent pas frustrés lorsqu’il y a des fouilles. Il faudrait que la population elle-même contribue. Si l’on avait commencé par cela, vous pensez que des caches d’armes se trouveraient à Bamako ? Mon deuxième appel va à l’endroit de nos frères du Nord. Personne n’est oublié, personne ne sera oublié. On dit en bambara : «Mieux vaut ne pas danser que de mal danser». Je vous remercie !
 

 

Propos recueillis par Nouhoum DICKO, Gérard DAKOUO et  Rokia DIABATE

Source: Le Prétoire

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