Dans la nuit du 22 au 23 novembre 2018, une opération conjointe de l’armée malienne avec la force Barkhane aurait été une réussite totale sur la Katiba du Macina. Depuis lors, les messages de félicitations se sont multipliés faisant croire que seule la mort de Kouffa comptait. Pour que cette euphorie ne soit pas éphémère, il faudrait redoubler d’efforts pour se montrer le plus proche possible des populations.
La nouvelle de la mort probable du leader de la Katiba, Amadou Kouffa, dans la nuit du 22 au 23 novembre 2018 dans une opération conjointe de Barkhane et des Forces Armées Maliennes, tombe comme une hystérie au sein de la population malienne, voire de la communauté internationale. Elle s’est emparée du monde comme fait une idéologie dominante. Que de messages de félicitation ! La paix dans le centre est si chérie qu’on se demande si ce n’était que Kouffa le principal catalyseur des conflits dans le centre. Dans cette euphorie, les vraies questions sont mises en suspens. Les armées fêtent leur victoire sur celui qu’ils considèrent le principal vautour du Centre.
Dans cet enthousiasme, on s’affaire à expliquer les méthodes adoptées pour la réussite de cette « grande opération » comme le confirment ces propos du général Cissé rapporté par Jeune Afrique : « Depuis des mois, les services de renseignements militaires du Mali ont collecté une masse d’informations précises qu’ils ont partagées avec les partenaires, dont la France ». C’est à travers des allers-retours dans le camp considéré comme leur base par l’armée malienne que les informations ont été remontées et que Barkhane a pu agir de la sorte.
Dans un article de RFI, il est indiqué : « Pour Bamako, c’est sans surprise que le raid a été « un grand succès ». La divulgation des méthodes d’attaques peut détériorer davantage le climat des négociations entre l’armée les groupes terroristes.
Alors, puisque celui qui constituait le véritable problème de la crise n’est plus, la paix doit régner désormais dans le centre du Mali. Loin des euphories, des enthousiasmes, disons que la mort de Kouffa n’est pas synonyme de la paix. Elle ne servira à rien tant que les autorités ne changeront pas leur politique de gestion de la crise malienne. La présence aiguë de cet extrémiste peul dans le centre ne date que de 2012 et il n’est point besoin de nous dire ce qui est à la base de cela. Le rapport de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) et de l’Association Malienne des droits de l’homme sur la situation sécuritaire au centre du pays, publié le 21 novembre 2018, nous décrit de façon véhémente la cause : « En 2012, le centre du pays, qui marquait la séparation entre le « nord », placé sous le joug des djihadistes, et le « sud », administré par l’État, n’a pas été exposé au même degré aux violences, mais ses populations en ont subi les conséquences de manière très concrète : désertion des représentants de l’État, multiplication des actes de banditisme, détérioration de la situation économique, pénétration des militants djihadistes…
L’on a alors assisté, dans un quasi-huis clos, à la banalisation de la violence et à l’émergence de nouveaux acteurs locaux, armés pour la plupart, parmi lesquels la katiba Macina, qui a mené sa première opération en janvier 2015. »
Ce fut le début de la victoire pour la Katiba. Elle s’est taillé un territoire de par la fuite de l’État. Amadou Kouffa a profité de cette situation de désertion des autorités administratives dans le centre pour faire sa loi. Certes, il est à la base du déclenchement d’une crise intercommunautaire, notamment entre les Peuls et les Dogons ; une situation ayant engendré une forme de génocide au Mali. Mais faut-il également noter que tout ce problème reste lié au fait que les autorités maliennes, par peur ou par indifférence, ont donné l’impression d’abandonner cette population du Centre.
Dans une contribution de Sori Ba, maître coranique à Tiouki-Farimaké, publié sur Maliweb il y a une année, nous pouvons lire : « Les populations ont accepté de payer la Zakat à Amadou Kouffa avec fierté plutôt que de payer à l’administration malienne les impôts. Elles acceptent librement les règlements des différends entre populations selon les règles de l’islam au lieu d’aller aux juridictions maliennes qui ne sont plus présentes dans ces lieux. Il y a une chose que les populations ont accueillie avec joie, c’est le fait de permettre aux propriétaires de troupeaux de vaches de faire pâturer dans les zones de « Bourgons » sans rien payer comme taxe de pâturage ».
Après la probable mort de ce chef radicaliste, s’il y a une chose qui doit inquiéter les autorités maliennes et internationales dans cette zone du centre, c’est bien l’implantation des autorités administratives. Déjà, la population, due à l’absence prolongée de l’État, a été habituée à certaines pratiques qu’elle considère comme plus justes et plus égalitaires. Pour rien au monde, elle n’acceptera de se voir privée de ces principes de vie. Or, ce qui caractérise les administrations maliennes, c’est bien la corruption à outrance.
Rappelons-nous ce qui a rendu difficile la gestion de la rébellion du « Nord du Mali » depuis les années d’indépendance jusqu’à nos jours. N’est-ce pas le fait que certains aient été considérés par l’administration coloniale comme étant la « race aryenne » et ceux-ci n’ont plus été disponibles de se voir priver de ces avantages. Faisons parler à ce titre Choguel Kokalla Maiga à travers son livre, Les Rebellions au Nord du Mali : Des origines à nos jours : « […] La première rébellion […] n’était qu’une manifestation de mauvaise humeur de l’aristocratie des Ifoghas contre le nouvel État malien. Ils ne revendiquent pas l’indépendance, mais la préservation du statut particulier que leur avait reconnue la France lors de la colonisation avec la signature de la convention de Bourem de 1907. »
La mort de Kouffa est certes un grand pas, mais il convient que le gouvernement trouve un moyen idéal de se montrer plus proche de la population en la rassurant de son accompagnement. Sans cela, le reste des combattants de la Katiba peut avoir rapidement la force pour continuer l’œuvre du leader.
Fousseni TOGOLA
Source: Le Pays