Le Président de l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite (OCLEI), Moumouni GUINDO, a remis, hier, au président de la Transition les rapports annuels 2019, 2020 et le rapport de l’étude relative à la déontologie des agents publics au Mali. Il en ressort une baisse sensible graduelle des déclarations de biens ; des cas ostentatoires de variation de patrimoines ; des montants des pensions et indemnités de départ à la retraite stratosphériques octroyés en toute irrégularité. Ces informations ont été partagées au cours d’un déjeuner avec des responsables d’organes de presse.
Une baisse des déclarations
de biens
L’OCLEI a dénombré 253 déclarations de biens déposées à la Cour suprême en 2020, soit une baisse de 59,8% par rapport à 2018 et de 25% par rapport à 2019. Les dépôts étaient de 629 en 2018 et de 338 en 2019. Il apparaît ainsi une baisse continue du dépôt des déclarations de biens d’année en année. Cette situation s’explique, entre autres, par un déficit de l’information et de la sensibilisation sur le caractère annuel de la déclaration de biens. En effet, de nombreuses personnalités assujetties ne procèdent pas à la mise à jour de leur déclaration initiale en pensant s’être définitivement acquittées de leur obligation une fois la première déclaration faite. Ce déficit d’information et de sensibilisation est notamment dû aux restrictions faites à l’OCLEI pour communiquer largement.
De façon spécifique, en 2020, les dépôts de déclaration de biens ont connu une baisse progressive de janvier à septembre. Ils étaient de 26 au mois de janvier contre 2 en septembre. Cette situation est probablement liée aux crises sociales, politiques, sécuritaires et sanitaires que le pays connaît. Une reprise des dépôts de déclarations de biens a été observée suite à l’implication des autorités gouvernementales à partir du mois d’octobre. Ainsi, il y a eu 16 déclarations de biens en octobre, 21 en novembre et 133 en décembre après une relance des plus hautes autorités. Le graphique ci-dessous présente la situation du dépôt des déclarations de biens de janvier à décembre 2020.
Des cas de variation de
patrimoines
Au titre de l’année 2020, sur un total de 253 déclarations déposées à la Cour suprême, l’OCLEI a traité 229 déclarations effectuées par 220 personnalités. L’analyse de ces 229 déclarations a fait ressortir 204 cas de variation positive par rapport à l’année 2019. En valeur nominale, l’augmentation va de 5 278 FCFA à 2 402 563 630 FCFA. En taux, elle varie de 5% à 126%.
Dans le cadre de l’exploitation des déclarations communiquées par la Cour suprême, l’OCLEI a analysé les variables statistiques significatives afin d’apprécier la variation des déclarations de biens d’année en année. Cette analyse vise à systématiser le choix des dossiers à mettre en investigation de façon à ne rien laisser au hasard ou à l’arbitraire, tout en s’assurant d’un traitement équitable des assujettis dans le choix et l’appréciation des dossiers.
En effet, «lorsqu’il apparaît des incohérences manifestes et injustifiées entre l’évolution du patrimoine de l’assujetti, ses revenus et ses activités déclarés, l’Office central de Lutte contre l’Enrichissement illicite peut décider d’enquêter sur les éventuelles inexactitudes ou omissions contenues dans la déclaration des biens de l’assujetti. A cette fin, il peut se faire communiquer tous les documents ou pièces justificatives de nature à le renseigner sur les éléments de déclaration de l’intéressé et procéder à l’audition des personnes dont il estime le témoignage nécessaire, sans que ces dernières ne puissent lui opposer un éventuel secret professionnel ».
L’analyse de la population des personnalités assujetties à la déclaration de biens au moyen de caractéristiques statistiques a permis d’appréhender les variations de patrimoine susceptibles de conduire à des cas d’enrichissement illicite. Pour approfondir les présomptions issues des variations relevées par les méthodes statistiques, l’OCLEI a fait effectuer une étude. À partir des conclusions de cette étude, le Conseil a adopté une méthode d’identification des déclarations de biens à investiguer. Cette méthode vise à apporter aux investigations une démarche méthodique, objective et systématique dans la détermination des déclarations de biens devant faire l’objet d’investigations approfondies. Dans ce cadre, le Conseil de l’OCLEI a adopté le 29 septembre 2020 un seuil à partir duquel toute variation de patrimoine doit enclencher l’ouverture d’une enquête pour présomption d’enrichissement illicite.
Sur un total de 1 633 déclarations de biens déposées à la Cour suprême de 2016 à 2020, l’OCLEI a traité 1 048 déclarations, transmises par 815 assujettis. Au terme des travaux, il ressort que de 2016 à 2020, 48 personnalités ont connu une variation de patrimoine atteignant le seuil défini par le Conseil de l’OCLEI. Celui-ci a décidé d’ouvrir des enquêtes concernant ces 48 personnalités. En raison de la présomption d’innocence, les personnes sont désignées par une série alphanumérique dans le présent rapport. Les variations de patrimoine sont déterminées par comparaison de deux déclarations d’une même personne. Les ratios des variations constatées vont de 57,41 à -15,42.
Une variation positive indique une augmentation de patrimoine. Ainsi, un ratio de 57,41 signifie que, d’une déclaration à une autre, le patrimoine d’une personne a augmenté de 57,41 fois le montant de son revenu annuel. Il y a 31 personnes en variation positive. Le montant cumulé des augmentations de leur patrimoine est de 5 480 530 312 FCFA.
Une indemnité de retraite
de 6 230 906 F CFA
En 2019, l’OCLEI s’est autosaisi du cas des pensions et indemnités de départ à la retraite de deux dirigeants de l’INPS.
L’OCLEI s’est autosaisi du cas des pensions et indemnités de départ à la retraite du directeur général adjoint et de l’agent comptable de l’Institut national de Prévoyance sociale (INPS) pour examiner leur conformité aux dispositions en vigueur. Cette analyse permet de formuler des recommandations en application de l’article 4 de l’Ordonnance n°2015-032/P-RM du 23 septembre 2015 portant création de l’Office central de Lutte contre l’enrichissement illicite.
Dans le cadre de la mission globale de lutte contre l’enrichissement illicite, l’Ordonnance n°2015-032/P-RM du 23 septembre 2015 charge l’OCLEI, entre autres, « de susciter et de promouvoir au sein des institutions et des organismes publics et parapublics des mécanismes destinés à prévenir, détecter et faire réprimer l’enrichissement illicite ; d’évaluer périodiquement l’impact des stratégies et les performances atteintes ; de recommander toutes réformes, législative, réglementaire ou administrative, tendant à promouvoir la bonne gouvernance, y compris dans les transactions commerciales internationales ». A cet effet, l’OCLEI peut se saisir de tout sujet d’intérêt public en lien avec l’amélioration de la gouvernance publique. Ainsi, suite à la récurrence d’informations, notamment par voie de presse, sur le montant des pensions et des indemnités de départ à la retraite du directeur général adjoint et de l’agent comptable de l’INPS, le Conseil de l’OCLEI, après en avoir délibéré, a émis un avis favorable à l’analyse de cette situation à la lumière de la législation en vigueur. Les textes de loi, les documents techniques sur lesdites indemnités et diverses informations ont été analysés.
Aux termes de l’article L.73 de la Loi n°92-020 du 23 septembre 1992 portant Code du travail, « La convention collective doit être écrite en langue française à peine de nullité. Elle est établie sur papier libre et signée par chacune des parties contractantes. Elle est soumise au visa du ministre chargé du travail qui exigera le retrait des dispositions contraires à la législation et à la réglementation en vigueur ». L’article L.74 précise que « La convention collective est, après visa, déposée contre récépissé au greffe du tribunal du travail territorialement compétent. Elle est applicable à partir du jour qui suit son dépôt, sauf stipulation contraire (…) ».
Par Délibération n°13-024 du 27 décembre 2013, le Conseil d’administration de l’INPS a adopté un accord d’établissement incluant notamment une grille des salaires. Par Délibération n°14-013/CA-INPS du 29 septembre 2014, le Conseil d’administration de l’INPS a fixé les rémunérations du personnel de direction de l’INPS en application de l’accord d’établissement. Conformément à l’article L.74 ci-dessus, le directeur national du Travail a apposé sa signature sur l’accord d’établissement le 21 octobre 2014. Ledit accord a été déposé au greffe du Tribunal du travail le 31 octobre 2014. Il est donc devenu applicable pour compter du 1er novembre 2014. Il a apparaît ainsi que la délibération du 29 septembre 2014 fixant la rémunération des dirigeants est intervenue avant l’entrée en vigueur de l’accord d’établissement.
Sur la base de la délibération du 29 septembre 2014, l’INPS a déterminé les indemnités de départ à la retraite et les pensions du directeur général adjoint et de l’agent comptable en appliquant les taux fixés par l’accord d’établissement. Procédant ainsi, l’INPS a octroyé au directeur général adjoint la somme de 353 725 247 F CFA à titre d’indemnité de départ à la retraite et la somme de 6 230 906 F CFA à titre de pension par mois. De même, il a octroyé à l’agent comptable la somme de 1 607 810 145 FCFA comme indemnité de départ à la retraite et 8 693 661 FCFA à titre de pension par mois. Des paiements ont eu lieu le 21 avril 2017.
Ainsi, en appliquant la délibération du 29 septembre 2014 pour liquider les droits de départ à la retraite du directeur général adjoint et de l’agent comptable, l’INPS a mis en oeuvre l’accord d’établissement avant son entrée en vigueur. Un acte juridique inexistant ne peut pas produire d’effets créateurs de droits ou d’obligations. Cette situation entache tous les actes subséquents.
En outre, la Direction de l’audit interne a déterminé que les éléments et les modes du calcul utilisés pour liquider les droits des 2 responsables sont erronés. Selon les calculs effectués par cette direction en appliquant l’accord d’établissement susvisé, le directeur général adjoint et l’Agent comptable ont perçu beaucoup plus que ce qui leur est dû.
Dans un rapport du 19 avril 2016, elle a recommandé de faire rembourser à l’INPS par le directeur général adjoint la somme de 375 368 671 FCFA et par l’agent comptable la somme de 1 639 465 154 FCFA. Du reste, elle a relevé que la délibération du 29 septembre 2014 a été irrégulièrement prise, car elle a été adoptée par une consultation des membres du conseil d’administration à domicile. Ce mode de décision n’est pas prévu par les textes en vigueur.
Par ailleurs, il est apparu que la rémunération des 3 premiers responsables (directeur général, directeur général adjoint et agent comptable) présente des déséquilibres par rapport à la rémunération des autres membres du personnel de l’INPS et des salariés dont les cotisations alimentent les ressources financières gérées par l’INPS. A titre d’illustration, le salaire du directeur général de l’INPS s’élève à 54 914 682 FCFA par mois. Le cumul annuel des rémunérations des 3 principaux dirigeants s’élève à 1 900 068 365 F CFA, soit 7% de la masse salariale totale de l’ensemble des 1 197 employés de l’INPS. Cette situation contribue à augmenter exagérément la masse salariale totale qui atteint 21% des revenus récurrents alors que le ratio de référence de la Conférence interafricaine de la Prévoyance sociale (CIPRES) est de 15%.
Source : Rapports OCLEI Avec Info-Matin