Les habitants des enclaves entre l’Inde et le Bangladesh sont passés de citoyens de seconde zone au quotidien kafkaïen à nouveaux électeurs courtisés par les partis locaux.
Il y a un homme de 103 ans qui vient de voter pour la première fois de sa vie.
Asgar Ali fait partie de ces dizaines de milliers d’individus qui sont privés de nationalité depuis 70 ans parce qu’ils sont au cœur du conflit frontalier le plus étrange de la planète.
Bien entendu, on pourrait citer mille frontières dont le tracé est absurde. Mais le conflit qui oppose l’Inde et le Bangladesh est si particulier qu’il faut une carte pour le comprendre. En effet, pour d’obscures raisons historiques, dans le district de Koch Bihar près de la frontière indo-bangladeshi, il y a près de 160 enclaves – c’est-à-dire de petits aires souveraines totalement entourée par un autre pays. La carte ci-dessous (qui date de l’époque où ce qui est aujourd’hui le Bangladesh était le “Pakistan de l’Est”) donne une idée de la complexité.
Après tout, pensez-vous, il y en a beaucoup, des enclaves. Llivia, par exemple, est une ville espagnole enclavée dans le département des Pyrénées-Orientales, à 100km environ à l’ouest de Perpignan. Il y a même des enclaves dans les enclaves, dites de deuxième niveau : c’est le cas notamment du village de Baarle, partagé entre les Pays-Bas et la Belgique et au sein de laquelle les maisons ont leur nationalité propre.
Mais à Koch Bihar, la situation est presque invraisemblable, avec une enclave de troisième niveau. En somme, Dahala Khagrabari était une région indienne de 7 000 m², encerclée par une enclave bangladeshie, laquelle était encerclée par une enclave indienne, laquelle était encerclée par le Bangladesh, comme le rapporte le Washington Post.
Un imbroglio juridique aux conséquences très concrètes
Au-delà de la curiosité, qui peut faire sourire, la vie quotidienne était en revanche relativement dramatique pour les habitants de Dahala Khagrabari. Dans la pratique en effet, l’absence de droit de vote était le cadet de leurs soucis : virtuellement apatrides, ils étaient coupés des aides sociales de l’Etat indien, et des besoins essentiels, comme l’eau courante et l’électricité.
Pour traverser les frontières nationales qui circonscrivaient leur petit territoire, ils étaient censés avoir un visa ; mais pour obtenir un visa, il leur fallait rejoindre une grande ville, ce qui signifiait, évidemment, qu’ils devaient traverser les frontières. En somme, un simple trajet jusqu’à une ville voisine était un cauchemar légal.
Après des années de discussions, sur fond d’hostilité historique et culturelle, un accord avait été passé. Les petites enclaves feraient désormais partie des territoires qui les entourent, et les habitants auraient le choix entre rester et accepter la citoyenneté locale, ou partir.
Autrement dit, ce sont au moins 10 000 nouveaux électeurs qui ont été ajoutés au district de Koch Bihar. Ils ont été activement courtisés parce que les élections du début du mois promettaient d’être serrées. Or, leur issue joue généralement un grand rôle dans les élections de l’Etat du Bengale-Occidental, considéré comme décisif pour le Premier ministre indien Narendra Modi.
Une bonne nouvelle, donc : une situation absurde est en train de se régler, et démocratiquement en plus.
Source: atlantico.fr