On ne vit qu’une fois. Enchaîné volontaire à son bureau de l’Elysée depuis 2012, allergique pathologique aux vacances, François Hollande a terminé son année erratique par quatre petits jours de congés. Aussi inédits qu’un troisième mois consécutif de baisse du chômage ou que l’utilisation de la grâce présidentielle (pour Jacqueline Sauvage), venus jalonner la dernière semaine de 2016 et paver le chemin de ses ultimes vœux du nouvel an, samedi. «Le côté dernière surprise-partie, ce n’est pas son genre. Les testaments politiques et les discours d’adieu, très peu pour lui», prévient un ministre avant la traditionnelle allocution télévisée qui devrait pourtant fournir son petit lot d’indices sur la tonalité que le chef de l’Etat entend donner à ses 100 derniers jours. En 1994, un François Mitterrand rongé par la maladie avait promis de ne pas quitter les Français. «Je crois aux forces de l’esprit», avait-il déclaré, mêlant mystique et politique. «Faites vivre intensément vos convictions. Vous êtes le peuple souverain», avait conseillé Jacques Chirac sans plus de détails lors de la Saint-Sylvestre de 2006.
Parti en vacances avec les fiches de ses conseillers, Hollande a rédigé, seul, son texte d’une dizaine de minutes. Le chef de l’Etat veut revenir sur les «épreuves» – attentats terroristes, guerre en Syrie, montée des populismes – et tracera les «enjeux» pour le pays en 2017. Insister sur les valeurs sociales et républicaines, défendre le service public et la Sécurité sociale, autant de remparts qu’il entend dresser contre la droite et l’extrême droite avant la présidentielle.
Bien avant qu’il renonce à briguer sa succession, François Hollande était déjà obsédé par la trace qu’il laissera dans l’histoire. Sa cote de popularité a entamé une lente remontée des abymes sondagiers depuis le 1er décembre et ils sont nombreux dans l’entourage présidentiel à espérer que les prochains mois seront l’occasion de laisser parler son cœur plus que sa fonction. De multiplier les gestes et les discours symboliques, loin de son rôle de clerc de notaire du bilan, pour enfin parler de «sa» France.
«Conscience de gauche»
La droite mais aussi une partie de la gauche étant tentées de le zapper depuis qu’il a annoncé son retrait, Hollande rappelle à tout bout de champ qu’il sera bien «président jusqu’au bout». «Il veut agir jusqu’au dernier jour, jusqu’à la dernière minute», souligne son entourage. Soit. Mais la toute petite session parlementaire de l’hiver ne permet aucune innovation législative. L’enjeu est ailleurs. «Une façon d’être président, c’est défendre les principes, défendre les Français», insiste Hollande. «Il est dans une situation paradoxale : libéré d’un poids personnel mais animé d’une grande gravité politique face à la montée des populismes et au risque terroriste», décrypte un conseiller.
Grand brûlé du 21 avril 2002 qui a fini par renoncer à une nouvelle candidature de peur de diviser encore plus son camp, Hollande refuse de voir son quinquennat couronné par un duel opposant François Fillon, qui incarne le «camp du recul», à Marine Le Pen, candidate du «repli»,selon lui. Il veut donc peser sur la présidentielle. De son bastion élyséen ou lors de ses futurs déplacements sur le terrain – un par semaine, avec priorité donnée à la dizaine de départements qu’il n’a jamais visités depuis 2012 -, il consacrera ses derniers mois à illustrer les «dangers»que portent les projets du FN ou de la droite pour les Français.
Retraité de l’Elysée à 62 ans, Hollande s’apprête encore à innover par rapport à ses prédécesseurs. Il ne retournera ni à l’Assemblée nationale ni à la Cour des comptes, et ne siégera pas au Conseil constitutionnel. On ignore où il habitera après le 17 mai. Tout juste sait-on qu’il a l’intention d’emmener Philae avec lui, le Labrador noir que lui avait offert le Canada… Sans aucun indice de la part de l’intéressé, ses proches lui imaginent un destin de «conscience de gauche», dégagé de toute obligation politicienne. Personne ne le voit se lancer dans des conférences grassement rémunérées, comme Tony Blair ou Nicolas Sarkozy au terme de leur mandat. «Il sera ailleurs», dit joliment l’un de ses soutiens.
Vu la densité de son agenda de janvier, Hollande aura peu le loisir de ressasser les conséquences de son renoncement. Un de ses conseillers prédit un petit pincement au cœur mi-février, date à laquelle partent les formulaires pour les parrainages présidentiels : «Entendre Fabius [le président du Conseil constitutionnel, ndlr] égrener les soutiens des autres [candidats, lors de la publication des noms des élus qui les ont parrainés] tous les mardis et vendredis à 18 heures sans en être, ça va lui faire bizarre.» Depuis quelques jours, l’Elysée essaie d’ailleurs de tuer dans l’œuf tout fantasme de candidature surprise en cas de circonstances exceptionnelles. Ce qui n’empêche pas certains de rêver, à plus long terme. «Je ne crois pas au retour mais au recours, avance ainsi un proche. Il sera en réserve de la République. Et si le pays est bloqué par Fillon ou Le Pen, si le PS est pulvérisé ? Hein ? Qui sait ?»
Lors de la dernière réunion de cabinet à l’Elysée, le chef de l’Etat en personne a donné le mode d’emploi des quatre mois qui restent : tout le monde doit faire le job dans la plénitude des pouvoirs qui lui sont conférés. D’où la grâce accordée à Jacqueline Sauvage – «une application humaine d’un droit régalien», a souligné l’Elysée – et un mois de janvier dominé par les sujets internationaux : du sommet Afrique-France au Mali, où il avait vécu «le plus beau jour de [s]a vie politique» en 2013, à la conférence sur le conflit israélo-palestinien de Paris, en passant par les sommets européens, de Lisbonne à Bruxelles.
Pour le premier cercle, les fêtes ont été l’occasion de panser la blessure du renoncement, parfois au sens propre. Quelques minutes avant l’annonce de son abdication républicaine, le 1er décembre, François Hollande avait fait prévenir ses proches. Le contenu de l’allocution n’est jamais précisé mais tous comprennent alors que c’est terminé. De retour devant une assemblée générale de militants PS, après le coup de fil fatidique de l’Elysée, la sénatrice Frédérique Espagnac affiche son«sourire le plus difficile du quinquennat». Le député Sébastien Denaja, lui, en perd la voix pour quarante-huit heures. Porte-parole et aphone. La somatisation est à l’œuvre. «Les regrets sont éternels comme on dit,lâche aujourd’hui un conseiller élyséen. Le plus rageant c’est qu’il aurait pu prendre le 31 décembre une décision différente de celle du 1er, ça s’est joué à pas grand-chose.» L’inversion de la courbe du chômage arrive«trop tard, hélas», soupire Stéphane Le Foll.
Depuis un mois, «c’est dur même si François ne laisse jamais rien paraître», relate un proche. La plupart des hollandais historiques ont le sentiment d’avoir retrouvé «leur François». «Il est libéré du poids présidentiel, il dit les choses comme avant et revient sur des registres personnels, se réjouit une proche. C’est le Hollande que l’on connaît. Garder le secret sur sa décision cet automne, c’était lourd. Il est comme soulagé.» Ni remords ni regrets, vraiment ? «Imagine que je perde la primaire, comment j’aurais pu diriger la France après ?» glisse le Président avant Noël à un visiteur du soir qui lui demande comment il va après son choix inédit.
Aucun ralliement
Concerné par la présidentielle, François Hollande prend en revanche toute la distance imaginable avec la primaire de gauche. Symboliquement, il ne sera même pas sur le sol français lors du premier tour, le 22 janvier, embarqué dans une longue tournée en Amérique latine. Le chef de l’Etat a passé une consigne à l’Elysée : aucun ralliement à un candidat avant la fin du processus. Un «confort de la neutralité»qu’apprécie Bernard Rullier, conseiller parlementaire de Hollande. Le Président lui-même ne prendra pas parti avant l’issue du vote. «Il ne veut désavantager personne», s’amuse son «dircom», Gaspard Gantzer.
En réalité, témoigne un autre conseiller élyséen, le chef de l’Etat «est dans une situation assez confortable où il compte les points. Il constate que, pour l’instant, les autres ne font pas mieux que lui, notamment Manuel Valls». Mi-décembre, l’ancien Premier ministre voulait encore croire à un soutien, si ce n’est affiché, du moins tacite, du Président.«Personne ne peut penser qu’il est neutre», assurait le néo-candidat avant d’enchaîner par une double négation reflétant en partie ses doutes : «Ne pensez pas qu’il n’ait pas envie que je l’emporte.» Depuis, l’Elysée se borne à préciser que Hollande souhaite une «primaire apaisée».Président de tous les Français, enfin en aplomb des luttes intestines de son camp. «Hollande devrait terminer ses vœux, samedi, en disant “Je crois aux forces de la primaire, je ne vous quitterai pas”, histoire de rendre tout le monde totalement dingue», se marre un de ses amis, en écho à la formule de Mitterrand dont Hollande revisite en permanence l’héritage. Pour se mesurer ou se rassurer. Cet été, au sortir d’un dîner avec le Premier ministre, Bernard Cazeneuve, et Serge Moati, François Hollande se tourne vers le second, réalisateur attitré du premier président socialiste de la Ve République. «Qu’est-ce que j’ai de moins que lui ?» l’interroge le chef de l’Etat. Interloqué, le journaliste compose sa réponse en deux secondes : «Les forces de l’esprit, Monsieur le président.»