Sujet principal de tous les débats et conversations dans notre pays, la nouvelle loi électorale suscite de grands espoirs chez beaucoup d’acteurs politiques, un enthousiasme mesuré chez d’autres, un optimisme prudent chez une autre catégorie de concitoyens. Hamidou Doumbia, secrétaire politique du parti YELEMA, nous précise, dans cette interview, la position de sa formation politique sur le nouveau dispositif qui balise la route des prochains scrutins si cruciaux pour l’avenir de notre pays.
Les Echos : La nouvelle loi électorale a été promulguée par le Président de la Transition. Est-ce que Yelema se félicite de cette promulgation ?
Hamidou Doumbia : D’abord, c’est une étape importante qui va nous amener vers le retour à l’ordre constitutionnel. Lorsque le Conseil National de Transition (CNT) a apporté ses amendements, nous avons estimé que la version amendée qui a été promulguée, bien que n’étant pas parfaite, est nettement mieux que la version initiale qui était portée par le gouvernement. Donc, pour nous, aujourd’hui, entre le pire et le moins mal, nous choisissons le moins mal, bien sûr.
Les Echos : Qu’appelez-vous « le pire » ?
HD : Nous qualifions de pire le projet de loi qui avait été déposé par le gouvernement.
Les Echos : Pourquoi pensez-vous que c’était « le pire » ?
HD : Parce qu’il y avait une volonté préméditée d’exclure les partis politiques. Heureusement, il n’en sera rien. Avec la loi électorale amendée et promulguée, les partis politiques sont de retour dans le processus. La loi n’est certes pas parfaite, mais nous la jugeons inclusive. C’est pourquoi, je vous ai dit que, malgré certaines réserves que nous avons, nous pensons que cette loi nouvelle est mieux que la mouture initiale du gouvernement Choguel. YELEMA prend donc acte de la promulgation. Et nous allons suivre le reste du processus.
Les Echos : En amont, est-ce que vous saluez la démarche du CNT ?
HD : Nous saluons la démarche du CNT parce qu’elle a été constructive, démocratique et inclusive. C’est ce que nous demandions depuis le début de la Transition, c’est-à-dire, que le pouvoir soit à l’écoute des gens et soit à l’écoute des principaux acteurs de la vie politique. Le fait que le CNT ait compris que la loi électorale est avant tout la loi des partis politiques, cela doit être salué. Cela restaure la dignité des partis politiques, qui avait été bafouée par un certain clan.
Les Echos : Parlons de l’Autorité Indépendante de Gestion des Elections (AIGE). Êtes-vous satisfait de son architecture et de ses prérogatives ?
HD : Aujourd’hui, nous prenons acte. Ce qui va se passer par la suite, c’est que l’AIGE est perfectible au fils du temps, je veux dire : dans sa quête d’indépendance absolue. Par exemple, si on regarde le cas du Ghana, qui est une référence sous-régionale en la matière, ce n’est pas à la première tentative que l’Autorité des élections a gagné le pari de son indépendance là-bas. Donc, pour YELEMA, le format de l’AIGE est assez pragmatique. Malgré cela, nous disons que, pour l’ensemble du processus, il y a des éléments à améliorer dans l’avenir.
Les Echos : Par exemple ?
HD : Par exemple, il y a des éléments qui touchent à la Cour constitutionnelle, et qui ne peuvent pas être révisés sans qu’on ne touche à la Constitution. Donc, il est fort probable et même souhaitable qu’on revienne sur la loi électorale lorsque la Constitution aura été changée. L’objectif devant être alors d’ajouter des articles qui vont assurer réellement l’indépendance de l’AIGE. Mais ce qui est important, et ce que les gens oublient, c’est que ce sont surtout les Hommes qui composent les organes… ce sont ces Hommes qui doivent se mettre à la hauteur de leurs responsabilités afin de ne pas trahir la confiance du peuple. Au Mali, c’est surtout une question d’Hommes intègres qui pose souvent problème dans beaucoup d’organes. Parce que n’oubliez jamais une vérité : l’élection transparente et équitable dépend surtout de la volonté de ceux qui l’organisent.
Les Echos : Pourtant, les textes consacrent l’indépendance de l’AIGE, qui est écrit noir sur blanc ?
HD : Oui. Mais, en fait, l’indépendance n’est pas totale.
Les Echos : Il est pourtant dit que l’AIGE ne reçoit d’instruction d’aucune autre autorité…
HD : Certes. Néanmoins, quand l’AIGE a besoin du matériel de l’Administration, et qu’elle a besoin des préfets, des sous-préfets, des techniciens de l’Administration etc. ; pour l’organisation des élections, cela veut dire qu’elle n’est pas complètement indépendante. Mais c’est un processus qui peut l’amener à cette indépendante qui sera au fur et à mesure totale. C’est pourquoi, j’ai parlé de pragmatisme politique. A mon avis, la version promulguée est nettement mieux que celle proposée par le gouvernement, qui n’était que de la ruse politique pour pouvoir profiter à un clan.
Les Echos : Dans la composition du Collège de l’AIGE, il est dit qu’il y aura quinze membres, dont quatre pour les partis politiques. Avec la kyrielle de formations politiques, pensez-vous que les partis pourront s’entendre sur quatre noms à donner ?
HD : Vous savez, il faut être assez pragmatique. Et, pour moi, il faut qu’on s’entende sur des critères. Si on ne parvient pas à le faire, cela veut dire que les partis politiques n’ont pas atteint une certaine maturité politique. Yelema propose donc qu’on prenne comme critère de référence “l’élection territoriale de 2016” qui est, jusqu’à présent, la dernière élection à ne pas avoir été contestée au Mali. Et si on décidait de choisir les 4 noms parmi les partis qui se sont classés aux quatre premiers rangs de ces élections municipales afin qu’ils soient les représentants de la classe politique au sein du Collège de l’AIGE ? Je pense que ceci est un critère tangible, scientifique et également de mérite.
Les Echos : Un critère caduc aussi ?
HD : Non ! Car ce sont là les dernières élections territoriales qui concernent tout le territoire, et qui n’ont pas été contestées. Dans tous les cas, les partis politiques ont intérêt à vite s’entendre sur des critères objectifs pour trouver les quatre noms qui les représenteront au sein du Collège. Notre proposition relative aux municipalités de 2016 est une solution pour trouver ces critères-là.
Les Echos : Pensez-vous que l’AIGE aura la possibilité de se déployer efficacement sur l’ensemble du territoire, en tous cas, la partie contrôlée par l’Etat ?
HD : L’idée d’avoir recours à l’Administration est une idée brillante et pragmatique parce que, la difficulté dans le temps, c’est que si l’AIGE se déploie, ça sera très compliqué. Donc, recourir aux préfets, sous-préfets, aux compétences de l’Administration territoriale, n’est pas un problème. C’est comme si la DGE devenait l’organe technique de l’AIGE. C’est comme si l’Administration territoriale mettait à la disposition de l’AIGE sa logistique et ses hommes pour l’aider dans son travail. Et c’est comme si les prérogatives de la CENI se reportaient sur l’AIGE. Donc, au lieu de trois acteurs au niveau du processus électoral, on en vient à un seul, mais qui utilise des compétences qui étaient déjà acquises. Pour moi, c’est une avancée. Mais je le redis : c’est encore perfectible.
Les Echos : Conformément à la Constitution, la loi promulguée conserve à la Cour constitutionnelle les prérogatives de proclamation des résultats définitifs. Ne craignez-vous un retour des démons du passé récent ?
HD : Les prérogatives de la Cour ne peuvent être changées qu’après révision de la Constitution. Il est envisageable que plus tard, une nouvelle Constitution en soit à vouloir retirer ce pouvoir de « proclamation des résultats définitifs des élections » à la Cour. Mais pour le moment, il faut faire avec cet existant. Encore une fois, le plus important, c’est la capacité des Hommes à cultiver l’intégrité dans leur mission. Il est impératif que, et pour la Cour et pour les autres organes gouvernementaux, chaque acteur étatique fasse preuve de la neutralité la plus absolue.
Les Echos : Le fait que chacun soit assermenté n’est-il pas une garantie suffisante pour vous ?
HD : Nous ne portons aucun jugement avant des faits. Mais, forts des mauvais exemples dont tout le pays a été témoin dans un passé très récent, nous martelons un discours constant : il faut que l’honnêteté et le sens de la neutralité soient les principes directeurs de chaque acteur public impliqué ou associé au processus électoral. Le respect du serment et de l’éthique doit être total.
Les Echos : Justement, dans la loi initiale que le gouvernement avait portée, un passage faisait mention de la croyance religieuse dans le serment. Mais la loi amendée par le CNT a retiré ce passage. Qu’en pensez-vous ?
HD : Pour moi, personnellement, il n’était pas nécessaire de retirer cette mention. On pouvait, c’est mon opinion, laisser aux gens la liberté de jurer par leur foi.
Les Echos : Vous dites aussi qu’il fallait maintenir le parrainage. Cela n’aurait-il pas été compliqué dans la vérification ?
HD : En fait, j’ai plaidé pour le parrainage citoyen. Cela allait avoir le mérite de compenser un futur déficit de députés car on n’a pas d’Assemblée nationale pour le moment.
Les Echos : Pour vous, les élections à venir vont être les plus transparentes possibles ou les moins contestées possibles. Quel est le pronostic de YELEMA ?
HD : Le pronostic de YELEMA est que tout va surtout dépendre du comportement des autorités de la transition. Une élection crédible et incontestée va dépendre de la volonté des organisateurs d’organiser une élection libre et transparente. Au Mali, ce n’est pas les textes qui posent problème mais la volonté des Hommes de les appliquer. Car, même avec l’organe unique, les Hommes qui le composent peuvent être manipulés par le pouvoir en place. Aujourd’hui, le plus important est que ceux qui ont la charge d’organiser des élections et de conduire la transition, soient exemplaires, inclusifs et neutres. C’est le seul gage pour que les élections soient incontestables.
Les Echos : Parlons de la refonte constitutionnelle à venir. Est-ce que Yelema émet des pistes de propositions ?
HD : Pour nous, aujourd’hui, nous devons travailler à rééquilibrer les pouvoirs. Dans notre Constitution actuelle, le Président a énormément de pouvoirs : l est le Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, du Conseil de défense, il nomme à la Cour constitutionnelle, il a des membres à donner pour la composition de presque de toutes les Institutions. Donc, il est considéré comme une sorte de Kaya Makan. Aujourd’hui, il faut rééquilibrer ce pouvoir-là. Il faut faire en sorte que le Président, comme Montesquieu l’a dit, soit beaucoup contrôlé. « Par la disposition des choses, que le pouvoir puisse arrêter le pouvoir ». Il faut que le législatif puisse être en mesure de contrôler le Président, et de le démettre en cas de forfaiture.
Il est aussi très important de donner la possibilité aux citoyens de démettre le Président à travers des pétitions. C’est mieux qu’un coup d’Etat. Quand on donne la possibilité aux citoyens, à travers des milliers ou des millions de signatures, de pouvoir imposer un référendum pour démettre un Président ou un maire ou un député, on apportera une innovation qui mettra fin aux putschs.
Dans la Constitution future, il est aussi important de revoir la composition de la Cour Constitutionnelle, c’est-à-dire la manière de désignation de ses membres.
Interview réalisée par MOHAMED MEBA TEMBELY
Transcription : Aminata Téra et Mahamadoun Touré
Source: Journal Les Échos- Mali