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Guinée : l’angoisse du médecin devant son premier patient Ebola

« Je m’appelle Diakite Diba et je suis médecin généraliste à l’hôpital Rokiatou Sidibé, une clinique privée de Siguiri, au nord de la Guinée. Je vais vous raconter mon histoire.

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Le 14 juillet 2014, vers 17 heures, un jeune homme de 25 ans s’est présenté à l’hôpital. Il était atteint de fièvre, de vomissements, de selles glaireuses. Des symptômes qu’il supportait depuis une dizaine de jours sans s’être déplacé dans une structure de santé. Quand il est arrivé, fébrile, avec un collègue, nous l’avons pris en charge. Cela n’a pas suffi. Il est décédé moins de 48 heures après.

Nous avons rapidement suspecté Ebola. Les autorités avaient signalé un cas quelques jours plus tôt, dans les forêts au sud du pays. Alors nous avons contacté le père du jeune homme pour lui annoncer le décès de son fils et savoir si ce dernier s’était rendu dans cette région récemment. Il nous a dit que non. Il nous a menti. Nous avons su par le frère du jeune homme que celui-ci s’était rendu aux funérailles de sa mère à Kissidougou, ville au cœur de la zone épidémique.

Inquiets, nous avons appelé le Centre de coordination de la lutte contre Ebola à Conakry. Nous leur avons envoyé un échantillon du sang de la victime. Quand, au téléphone, nous avons prononcé le nom du jeune homme, l’opérateur a réagi immédiatement. Il nous a dit que la mère était répertoriée comme victime d’Ebola et que son fils était sur la liste de « contacts », comme on nomme les personnes qui ont eu un rapport récent avec une victime du virus. L’opérateur semblait interloqué. Il n’arrivait pas à comprendre comment le jeune homme avait échappé à la surveillance pour se rendre à Siguiri. Pour nous, c’était clair, nous étions en présence du premier cas d’Ebola dans la ville. Le patient zéro.

Cela s’est confirmé deux jours plus tard. Le 16 juillet, nous avons reçu le résultat de l’analyse de sang. Il était positif. Ce qui veut dire que nous faisions à notre tour partie des « contacts ». La routine et la peur se sont installées. Matin et soir, nous prenions notre température pour vérifier si nous étions atteints. Le 23 juillet, mon collègue a développé de la fièvre. Le lendemain c’était mon tour. J’avais 37,8°.

En plus de mon collègue médecin et moi-même, deux infirmières étaient fiévreuses. Le lendemain, nous nous sommes rendus à la Direction préfectorale de la santé (DPS) qui voulait nous transférer à Conakry, pour examen. Ils ont d’abord envoyé nos échantillons de sang qui sont revenus positifs le 26 juillet pour moi et mon collègue, mais négatifs pour les deux infirmières.

A l’hôpital sont alors arrivés les « contacts » du jeune homme. Le chauffeur qui avait transporté son corps, un ami et un membre de la famille proches de la victime. Tous les trois étaient positifs. Nous étions désormais cinq malades d’Ebola à Siguiri, ce qui a alerté Conakry sur le risque imminent d’épidémie. Une équipe a été envoyée de la capitale pour nous traiter. Nous avons été déplacés dans un Centre de traitement d’Ebola (CTE). Le chauffeur et le membre de la famille du jeune homme y sont décédés quelque temps après notre arrivée.

Je me rappelle. Les médecins et les infirmières portaient des équipements de protection individuelle : tenue jaune, gants verts, masque, cagoule et tablier blancs. Nous étions chacun dans des chambres séparées. J’étais pris constamment de vomissements, de douleurs articulaires, de fièvres très fortes, montant jusqu’à 41°. En tant que médecin, je pouvais m’auto-administrer. Je contrôlais ma température toutes les 30 minutes et avalais différents comprimés. Mais rien ne me soulageait. Pas même les antibiotiques. Ils n’avaient aucun effet. J’étais très fatigué. Je pensais que j’allais mourir. En tant que médecin, j’avais la conscience tranquille. Je connaissais les risques. En tant qu’homme, j’avais peur mais je ne perdais pas espoir.

Après dix jours, le 5 août, la diarrhée a diminué, contrairement à la fièvre et aux douleurs articulaires qui me faisaient suer. Le 6, mes selles ont retrouvé une apparence normale. Puis la fièvre est enfin descendue, jusqu’à 38. Je prenais beaucoup de Paracétamol, d’antibiotiques, et d’antipaludiques pour limiter les symptômes, les douleurs. Vers le 11 août, mon collègue était guéri. Nous n’étions plus que deux en isolement. L’ami du jeune homme et moi. L’espoir revenait doucement mais la fièvre, les douleurs et la fatigue extrême étaient toujours présentes.

Mes amis m’appelaient pour me donner du courage. Ils me disaient de croire en Dieu, que ça m’aiderait à tenir. Ni eux ni ma famille ne pouvaient me rendre visite. J’étais l’un des premiers cas d’Ebola dans le pays et les autorités cherchaient par tous les moyens à contenir la propagation du virus. Ma famille est originaire de la forêt, pas loin de Conakry. C’est là où je suis né, où j’ai passé ma jeunesse, avant departir à la capitale pour étudier la médecine. Après mon diplôme, en 2007, j’ai travaillé à l’hôpital de Conakry jusqu’en 2012, et je suis venu à Siguiri, dans cette clinique privée. La paie y était meilleure que dans le public.

Ma fièvre a disparu le 11 août. Ne subsistaient que de fortes douleurs dans toutes les articulations. Il faut savoir que, bien qu’en isolement, nous n’étions pas internés dans nos chambres. Nous pouvions sortirprendre l’air sous la véranda, mais une clôture nous empêchait d’aller plus loin. Enfin, ça n’a pas arrêté l’autre patient, l’ami de la victime, qui un jour a profité de l’inattention des gardiens pour s’enfuir. C’était la panique parmi l’équipe soignante du centre. Mais ils lui ont rapidement mis la main dessus dans un sanctuaire évident… son village. Il s’était réfugié auprès de sa famille, dont tous les membres ont dû êtreplacés sous surveillance car devenus des « contacts » à leur tour. Heureusement pour lui, le 16 août, il sortait définitivement, guéri. Deux jours plus tard, c’était à mon tour de sortir.

J’avais survécu.

Mon patron est venu me chercher. Il m’a raccompagné chez moi. C’était la nuit. Une de ces nuits lourdes qui étouffent le ciel durant la saison des pluies. Je me sentais délivré malgré les douleurs articulaires qui ont persisté une semaine encore. Je suis resté chez moi jusqu’au 9 septembre. Le 11, je suis retourné dans mon village familial pour retrouver mes proches. Passer du temps avec ceux que j’avais cru ne plus jamais revoir.

J’ai repris le travail en février 2015. Entre-temps, d’autres cas d’Ebola avaient éclaté à Siguiri, sans lien avec les nôtres. 38 pour être précis. Aujourd’hui, seuls 9 sont encore en vie.

C’est en novembre 2015 que j’ai eu l’idée de créer mon association pour les victimes d’Ebola. J’ai contacté les guéris. Nombre d’entre eux sont restés injoignables. Ils étaient repartis d’où ils étaient venus, dans leurs villages.

Cette maladie a fait des ravages dans la société guinéenne. On en voit encore les stigmates dans de nombreuses familles. Avec cette association, mon but est de remonter le moral de toutes les victimes. Les séquelles psychologiques dans les familles touchées par Ebola sont nombreuses et profondes. Nous essayons de leur trouver des activités qui soient sources de revenus. Ce sont pour beaucoup des familles pauvres, analphabètes. Souvent nous leur trouvons une place dans le commerce ou la teinture.

La maladie a aussi créé de nombreux orphelins qu’il faut prendre en charge. Car pour eux, il n’y a pas de soutien spécifique de l’Etat. Il y a aussi des femmes victimes dont le mari est décédé du virus. C’est lui qui rapportait un salaire à la maison. Elles n’arrivent plus à payer les frais et la nourriture de la famille. Elles ont besoin d’aide pour survivre. En comparaison, je suis chanceux. J’ai toujours mon métier. Je gagne un salaire. Je suis une exception chez les survivants.

Ce que je veux dire aux victimes, c’est de garder le moral très haut. Ce n’est pas la fin du monde. La situation n’est pas désespérée. Gardez la joie de vivre ! Je dis ça même si je sais que beaucoup souffrent de la stigmatisation. Celle de leur patron, de leurs voisins, de leur entourage. Ceux-là qui discriminent, qui manquent de respect aux victimes ou qui ne croient pas à l’existence d’Ebola, je leur souhaite de ne jamais attraper la maladie. Ils ne se rendent pas compte de la souffrance qu’elle provoque dans la chair et dans les cœurs. »

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Cet article est un épisode de la série d’été du Monde Afrique, « Un combat pour la vie », qui va nous mener du Sénégal aux rives du lac Tchad, 4 000 km que notre reporter Matteo Maillard a parcourus entre avril et juin 2016.

Source: lemonde

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