Le trait est cruel dans la bouche d’un de ses anciens compagnons de route : « Alpha Condé se rêvait en Mandela d’Afrique de l’Ouest, ne risque-t-il pas plutôt de finir en Mugabe ? » Le président de la Guinée n’est ni l’un ni l’autre, mais cette comparaison avec deux icônes africaines – côté pile, l’image du héros immaculé de la lutte contre l’apartheid sud-africain et, côté face, la métamorphose de l’intraitable combattant anticolonial et libérateur de l’ancienne Rhodésie du Sud en dictateur ubuesque dépassé par l’âge – traduit la déception qui a gagné certains de ses plus fidèles partisans. Alpha Condé, l’ancien opposant, auréolé par une vie de lutte pour la démocratie durant la dictature de Sékou Touré (1958-1984) puis sous le régime autocratique de Lansana Conté (1984-2008), qui lui valut une condamnation à mort par contumace puis quelques années plus tard un séjour en prison, ne tente-t-il pas, âgé aujourd’hui de 82 ans, le mandat présidentiel de trop ?

S’il est élu à l’issue de ce scrutin dont le premier tour doit se tenir dimanche 18 octobre, ce sera son troisième mandat. Pas grand-chose comparé à Robert Mugabe et ses trente-sept années à la tête du Zimbabwe. Ce n’est qu’en 2010 qu’Alpha Condé devint président de la Guinée. Un mandat remporté à l’issue de la première élection pluraliste et libre depuis l’indépendance, en 1958, de cette ancienne colonie française. Ce fut un moment historique. Un scrutin pluraliste et libre, sans être irréprochable en raison des quatre mois tumultueux qui séparèrent les deux tours et offrirent à Alpha Condé une victoire quasi miraculeuse. En juillet 2010, il ne recueillit que 17 % des voix contre 43 % à son principal adversaire, Cellou Dalein Diallo. Au deuxième tour, Alpha Condé raflait 53 % des votes. En 2015, scrutin suivant, beaucoup s’interrogèrent aussi sur la régularité du « coup K.-O. » du président sortant, son slogan préélectoral annonçant une victoire dès le premier tour face, encore, à Cellou Dalein Diallo, qui reste aujourd’hui son principal concurrent.

Cette année, sa candidature est entachée par une réforme constitutionnelle menée à la hussarde, qui effaça d’un trait la limitation des deux mandats présidentiels autorisés jusqu’alors. Cette initiative a provoqué des remous y compris dans sa propre majorité. Elle entraîna notamment la démission tonitruante de son ministre de l’enseignement supérieur, Abdoulaye Yéro Baldé. Dans une lettre adressée en février à son « père » en politique, il regrettait que « les valeurs de démocratie, de liberté, de justice et de solidarité » qui avaient animé des décennies de lutte commune au sein du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), le parti présidentiel, soient reléguées au second plan. « La vision était que vous soyez le premier président à assurer non seulement une transition démocratique et pacifique du pouvoir en Guinée, mais aussi de garantir un climat de paix et de stabilité politique dans notre pays », écrivait-il. « Les institutions et le tissu social qui constituent le socle d’une nation forte sont fragilisés chaque jour davantage », regrettait le ministre démissionnaire.

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