L’explosion, que les autorités russes attribuent à un camion piégé, n’a pas été revendiquée. Deux voies de circulation se sont effondrées dans la mer.
Le pont de Crimée, une infrastructure-clé et symbolique, reliant, au niveau du détroit de Kertch, la Russie à l’est de la péninsule annexée en 2014 au détriment de l’Ukraine, a été partiellement détruit, samedi 8 octobre, par une énorme explosion attribuée par Moscou à un camion piégé. La déflagration a fait tomber dans la mer deux voies de circulation automobile, alors qu’un incendie s’est propagé dans sept citernes d’un train sur la partie ferroviaire, au-dessus.
Des plongeurs russes devaient être envoyés dimanche 9 octobre pour examiner à partir de la mer les dégâts du pont. « Nous avons ordonné un examen par nos plongeurs. Ils vont commencer à travailler à six heures du matin », a annoncé samedi soir le vice-premier ministre russe, Marat Khousnoulline, qui pense obtenir les « premiers résultats » de cet examen sous-marin dans la journée.
Selon les autorités de Crimée, le trafic des voitures et bus a repris samedi, sur les voies encore intactes. Des ferrys ont aussi été mis en place entre la Russie continentale et la péninsule pour faire circuler les poids lourds. L’agence de presse russe TASS a indiqué dans la nuit de samedi à dimanche que la circulation ferroviaire avait totalement repris pour les passagers et les marchandises, mais avec des retards.
Le dirigeant de la péninsule, Sergueï Aksionov, s’est efforcé de rassurer en affirmant que la Crimée disposait de réserves de carburant pour un mois et de nourriture pour deux mois. Selon un responsable de l’occupation russe dans la région ukrainienne de Kherson, voisine de la Crimée, Kirill Stremooussov, les réparations pourraient prendre « deux mois ».
Un camouflet pour Moscou
Des images de vidéosurveillance diffusées sur les réseaux sociaux ont montré une puissante explosion au moment où plusieurs véhicules circulaient sur le pont, dont un camion que les autorités russes soupçonnent d’être à l’origine de la déflagration. Sur d’autres clichés, on peut voir un convoi de wagons-citernes en flammes sur la partie ferroviaire du pont, et deux travées d’une des deux voies routières effondrées.
Selon les enquêteurs, l’attaque survenue au petit matin a fait trois morts : le conducteur du camion et deux personnes, un homme et une femme, qui circulaient en voiture à proximité de la déflagration et dont les corps ont été sortis des eaux.
Les enquêteurs ont affirmé avoir établi l’identité du propriétaire du camion piégé, un habitant de la région de Krasnodar, dans le sud de la Russie, et que des investigations étaient en cours.
Le pont de Crimée, une infrastructure en béton construite à grands frais sur ordre de Vladimir Poutine pour relier la péninsule annexée au territoire russe, permet notamment d’acheminer des équipements militaires aux troupes qui combattent en Ukraine. Si Kiev est à l’origine de l’explosion et de l’incendie, le fait qu’une voie de circulation aussi cruciale et aussi loin du front puisse être endommagée par les forces ukrainiennes serait un camouflet pour Moscou.
Pas de revendication ukrainienne
Après avoir semblé, par un tweet ironique samedi matin, reconnaître à demi-mot une attaque ukrainienne, le conseiller de la présidence ukrainienne Mykhaïlo Podoliak a renvoyé plus tard vers une « piste russe », avançant que l’explosion était le résultat d’une lutte interne entre le FSB [les services spéciaux] et les militaires russes.
Dans son adresse du soir, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, s’est contenté de dire, en évoquant la péninsule annexée : « Malheureusement, c’était nuageux en Crimée », sans parler de l’explosion.
La porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, a considéré cependant que les réactions à Kiev montraient la « nature terroriste » des autorités ukrainiennes. L’armée russe, en difficulté sur le front de Kherson dans le sud de l’Ukraine, a assuré que l’approvisionnement de ses troupes n’était pas menacé.
L’Ukraine a frappé plusieurs ponts dans la région de Kherson ces derniers mois afin de perturber l’approvisionnement russe, ainsi que des bases militaires en Crimée, des attaques pour lesquelles elle n’a reconnu de responsabilité que plusieurs mois plus tard. Si Moscou s’est pour le moment gardé d’accuser directement l’Ukraine, le chef du parlement régional installé par la Russie, Vladimir Konstantinov, a dénoncé un coup « des vandales ukrainiens ».
Nouveau commandement russe
La Russie a toujours affirmé que le pont ne risquait rien en dépit des combats en Ukraine, mais elle a menacé par le passé Kiev de représailles si les forces ukrainiennes devaient attaquer cette infrastructure ou d’autres en Crimée. Le député russe Oleg Morozov, cité par l’agence Ria Novosti, a réclamé samedi une réplique « adéquate ». « Sinon, ce type d’attentat terroriste va se multiplier », a-t-il dit.
Confronté à une armée ukrainienne galvanisée et forte des approvisionnements en armes occidentales, Vladimir Poutine a décrété fin septembre la mobilisation de centaines de milliers de réservistes et l’annexion de quatre régions ukrainiennes, bien que Moscou ne les contrôle que partiellement. Signe du mécontentement en haut lieu sur la conduite des opérations, Moscou a annoncé samedi avoir nommé un nouvel homme à la tête de son « opération militaire spéciale » en Ukraine, le général Sergueï Sourovikine, 55 ans.
De nouveaux bombardements ont touché dimanche matin la ville de Zaporijia, dans le sud de l’Ukraine, causant la mort d’au moins dix-sept personnes, trois jours après des frappes aussi meurtrières. La centrale nucléaire, située à une cinquantaine de kilomètres, a de nouveau perdu sa source d’alimentation électrique externe en raison de bombardements et s’appuie sur des générateurs d’urgence, a alerté, samedi, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) dont une mission est sur place.
Source: Le Monde