Jean Crépu décortique minutieusement l’échec des opérations « Serval » et « Barkhane » mais surtout la déliquescence d’un pays ravagé, rongé depuis son indépendance par la corruption de ses classes dirigeantes.
Il ne faut pas trop se fier au titre du documentaire, Guerre au Mali, coulisses d’un engrenage, au risque d’être déçu. Pas de plongée derrière le rideau dissimulant les secrets de ce conflit au Sahel dans lequel l’armée française s’est ensablée. En revanche, le réalisateur et journaliste Jean Crépu en décortique minutieusement les ressorts, suivant une trame chronologique partant de l’entrée en scène au Mali, dans les années 2000 des premiers groupes radicaux, avatars sanguinaires des mouvements islamistes algériens, jusqu’au retrait, piteux, amorcé depuis quelques mois, des soldats français de la force « Barkhane ».
A ce sujet, les propos de l’ancien président François Hollande appelé à témoigner devant la caméra du réalisateur illustrent l’ampleur de l’échec de cette « opex », comme disent les militaires pour décrire leurs opérations extérieures. Jean Crépu est allé rechercher une bande-son d’archives datant de l’intervention française « Serval » (ensuite rebaptisée « Barkhane ») en janvier 2013.
L’armée française était alors intervenue à la demande du président malien par intérim, Dioncounda Traoré (2012-2013), pour empêcher une coalition de groupes djihadistes liés à Al-Qaida et d’indépendantistes touaregs de prendre la ville de Sévaré, dernier verrou sécuritaire avant la capitale Bamako.
Illusion d’une victoire
La force de frappe française avait stoppé l’offensive. Les assaillants qui avaient survécu s’étaient évanouis dans les sables, créant l’illusion d’une victoire franche et définitive. On entend François Hollande dire que « la France n’a pas vocation à rester au Mali mais qu’elle a un objectif, c’est qu’il n’y ait plus de terroristes qui menacent l’intégrité du pays quand elle partira ». Neuf années plus tard, les militaires de « Barkhane » font leurs paquetages ; le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans et l’Etat islamique au Grand Sahara tiennent, du nord au centre, une bonne partie du territoire malien.
Le documentaire ne rentre pas dans le détail stratégique ni tactique de la déroute militaire française au Sahel. « Barkhane » a certes rempli son tableau de chasse avec la tête de nombreux chefs djihadistes mais a été incapable de stopper le retour, puis l’inexorable avancée des groupes armés au Mali et même leur débordement sur les pays frontaliers. Il ne dresse pas non plus de réquisitoire contre cette intervention. Car, la responsabilité française, bien que réelle, est loin d’être la seule, ni même la principale.
Ainsi, moins que nous embarquer pour un voyage dans « les coulisses d’un engrenage » fatal, Jean Crépu fait l’autopsie de la faillite de l’Etat malien, rongé depuis son indépendance par la corruption de ses classes dirigeantes. Cette même faillite qui a fait le lit des groupes armés en jetant dans les bras des chefs islamistes Iyad Ag Ghali et autre Amadou Koufa des milliers de frustrés et de laissés-pour-compte combattant au nom d’une religion instrumentalisée.
Dans ce contexte d’un pays ravagé, institutionnellement, économiquement et socialement à genoux, il faut chercher loin les notes d’espoir. C’est la seule éclaircie de ce documentaire solide et réaliste, celle d’une jeunesse qui ne veut pas renoncer à vivre son rêve de démocratie, aujourd’hui dysfonctionnelle mais qu’elle entend revigorer.
Guerre au Mali, coulisses d’un engrenage, documentaire de Jean Crépu (Fr., 2021, 83 min). Disponible sur Arte jusqu’au 9 septembre.
Source: lemonde.fr