Des jeunes filles, comme Habiba, la vingtaine, mère d’une fille de trois ans et enceinte, Bamako en regorge. Ces filles naïves ou abusées, à peine sortie de l’enfance, sont, encore en ce 21e siècle, victimes du phénomène de grossesses précoces et non désirées. Elles tombent enceintes et, très souvent, les parents perçoivent leur geste comme une réaction, un défi à leur opposition et leur opposition à une amour d’adolescence.
Le phénomène atteint aussi la communauté des jeunes (moins de 20 ans) saisonnières venues dans la grande ville pour chercher de quoi constituer leur trousseau de mariage. Son ampleur est grande dans les quartiers populaires où des familles peinent à assurer l’éducation des enfants, faute de moyen. C’est le cas de Habiba, (un nom d’emprunt) qui réside à Bolibana, en Commune III du District de Bamako.
L’adolescente, dont la première fille a trois ans, est enceinte de sa deuxième grossesse, non désirée, si l’on décrypte ses aveux. « J’ai eu ma première fille en 2017. Elle se nomme Anta. Nous habitons dans la famille paternelle », dit-elle, avec un petit sourire. « En son temps, continue-t-elle, j’étais très convoitées par les garçons de mon âge et certains aînés me faisaient les yeux doux ».
« J’avais l’embarras du choix. J’ai été très sensible aux flatteries et compliments de jeunes dragueurs de mon âge », raconte Habiba. Selon elle, elle a eu, au moins, cinq aventures. « Alors que je me glorifiais de cette célébrité parmi mes amies, j’ai été la cible d’hommes plus mûrs qui venaient d’autres quartiers de la ville », poursuit la jeune fille, cette fois, la gorge serrée et la tête basse. Surtout avec beaucoup de regret dans la voix.
Après quelques secondes de silence, elle se ressaisit et continue à narrer son histoire. Elle revit les bons moments, les sorties. « On venait me chercher avec des voitures de classe. Tous ces hommes avaient de l’argent et étaient très à me mettre à l’aise financièrement. Je m’habillais très sexy. C’était la belle vie. J’ai mis les pieds dans presque tous les night clubs prestigieux de Bamako. Mes amies m’enviaient. Et je n’avais plus de temps pour elles, puisque j’avais monté en classe », se remémore Habiba.
« J’avais oublié. On me donnait tellement de l’argent. J’en donnais à ma mère. Elle m’encourageait et admirait mes habillements. Il faut reconnaître que mon père apportait rarement de l’argent dans la famille », poursuit notre interlocutrice.
C’est dans ce tourbillon que Habiba est tombée enceinte. Et alors, bonjour tristesse. « Je suis descendue de mon piédestal quand je suis tombée enceinte», dit-elle. « Franchement, je ne savais pas à qui appartenait l’enfant que je portais. Tous ces hommes m’ont tourné dos. C’est pourquoi, ma fille porte mon nom de famille », précise-t-elle.
Triste sort ! Une année après la naissance de ce bébé, Habiba retrouve sa forme d’avant. « Fière de mon teint noir, soutient-elle, j’ai recommencé à avoir une vie sentimentale, sans pourtant pouvoir aimer, réellement, un homme. D’où mes multiples amants ». «Je n’ai jamais souhaité la contraception », dit Habiba. « Je suis encore tombée enceinte au mois de décembre dernier. Cette fois-ci, je suis sûre de reconnaître l’auteur de ma grossesse mais ce dernier a pris ses pieds au cou, puisque c’est un homme marié », ajoute-t-elle, tout en révélant qu’elle a été était contrainte de faire adosser la responsabilité de cette grossesse à un jeune, d’un quartier voisin, qui est fou d’elle.
« Je l’envoyais balader régulièrement. Je me suis rapprochée de lui, deux mois après ma grossesse. Il se débrouille et moi aussi je me suis fait employer dans un salon de coiffure », explique-elle timidement.
Quand nous la quittions, cette nuit-là, elle était très de déprimée, assise à l’entrée de la maison paternelle. A notre départ, elle a regagne un groupe de femmes mariées auxquelles elle tenait compagnie.
Fatim (nom d’emprunt) habite dans une des casernes à N’Tomikorobougou, en Commune III du District de Bamako. La concession est située plus au fond de la caserne, à l’endroit communément appelé ‘’Bougoussoni’’. Ce sont des constructions en banco, à côté des bâtiments réalisés par l’Etat. Nous nous faufilons dans les ruelles, semblables à des passages en pays dogon, pour y accéder. Fatim a 16 ans. Elle est mère d’une fille d’un an. Elle est issue d’une famille polygame. Les deux épouses de son père, un porteur d’uniforme, n’habitant pas ensemble, Fatim est chez sa mère au camp. Elle n’exprime aucun regret d’avoir eu un enfant à son âge. Mieux, elle évoque que c’était un défi de porter l’enfant de Soul, son petit ami. Ce dernier est recalé du lycée en classe de 11e année.
« Soul est un amour. Je séchais les cours pour le rejoindre dans son ‘grin’. Notre amour est sincère et réciproque. Il me suivait partout. C’était un plaisir pour moi », nous dit-elle, en commençant son récit, sur le ton de l’émotion. Pour Fatim, c’est sa maman qui voulait s’opposer à l’union des deux tourtereaux. « Ma maman a tout fait pour mettre fin à notre relation, allant jusqu’à interdire notre maison à mon petit ami », précise Fatim, en révélant que sa mère, «elle-même, a fait la belle vie avant de se marier à notre papa ». « Elle a eu deux enfants, de pères différents, avant d’être la femme de notre père », révèle l’adolescente. Nous sommes resté sans voix, devant un tel discours traduisant la force de l’amour de Fatim pour son Soul.
« C’est pourquoi, j’ai décidé de donner naissance à un enfant de mon petit ami. Nous étions tous les deux d’accord sur cette décision malgré le fait que nous étions tous élèves », rapporte-t-elle. L’enfant, une fille, a été baptisée du nom d’une grande sœur de Soul, Nana. Le bébé, « Nanabiste » comme l’appelle affectueusement sa mère, « ne manque de rien jusqu’à maintenant ». « Son homonyme et les autres parents de Soul ont toujours assuré nos besoins (ma fille et moi). La grande Nana donne le prix du lait chaque mois depuis la naissance de son homonyme », reconnaît Fatim qui ajoute : « Aujourd’hui, ma mère s’intéresse à ma fille et ne s’oppose plus entre Soul et moi ».
Fatim et Soul jurent de devenir mari et femme, mais en attendant, ils sont tous exclus de l’école. A en croire Fatim, Soul a postulé au concours d’entrée à la police nationale dont les dépôts de dossiers sont en cours.
A la fin de notre entretien, Fatim nous apprend qu’elle a aussi emboité le pas à sa grande sœur qui est, aussi, une fille-mère. En réalité, sa famille arrive à joindre les deux bouts, très difficilement.
REGRET – Asnatou est une élève en classe de Terminale. Elle doit passer le baccalauréat cette année. Elle a eu un enfant lorsqu’elle était en classe de 10e année du lycée Askia Mohamed. Elle habite aux logements sociaux à Samé, au flanc de la colline, sur la route de Lassa. Son témoignage trahit le regret amer d’avoir eu un enfant si jeune dans sa vie.
« Je suis tombée amoureuse d’un camarade classe au lycée. Avant la fin de l’année scolaire en cours, j’ai eu une grossesse de lui », explique Asnatou, les yeux mouillés de larme et la gorge sèche. Elle avoue que cette grossesse lui a coûté l’amour paternelle. « Depuis qu’il a su j’étais enceinte, mon père m’a reniée. Je ne savais où aller. C’était le calvaire », narre-t-elle.
Tout d’un coup, notre interlocutrice se retient. Sa mine s’illumine. La famille de Ousmane, mon petit ami, ne m’a pas laissée vivre dans la rue. Elle est venue à mon secours. « La mère de Ousmane gérait une gargote. Elle vendait des brochettes, du poisson braisé, du poulet rôti, des sandwiches devant la direction nationale d’une structure à Bamako. Je partais l’aider à la descente des cours. On rentrait à la maison après. Elle m’a soutenue comme sa propre fille. J’ai accouché étant chez les parents du père de mon enfant », raconte-t-elle.
« Malheureusement, dit-elle, peu de temps après la naissance de mon bébé, la mère de Ousmane est décédée ». « Entre-temps, continue-t-elle, mon père est revenu à de meilleurs sentiments. Il est allé me chercher pour rejoindre la famille ». « Je suis avec mon enfant de deux ans dans notre famille, mais Ousmane devient de plus en plus en distant avec moi », déplore Asnatou.
AIDE-MENAGERES – Des domestiques deviennent filles mères à Bamako. Dans ces cas, si certaines rares grossesses sont reconnues par leurs auteurs, certaines de ces filles ne parviennent pas à montrer un homme comme le peere de leur enfant. C’est le cas de Rokiatou qui était aide-ménagère dans une famille à Hamdallaye, en Commune IV du District de Bamako. Elle a dépensé toutes ses économies dans l’accouchement.
« Rokiatou était mon aide-ménagère. Elle était enceinte et n’a pas pu reconnaitre le père de son enfant », nous narre Nana Kéita, une sexagénaire. A l’en croire, elle s’est vue contrainte de mettre la main à la poche en plus de tout l’argent de la petite Rokiatou pour faire une césarienne. « Elle était de petite corpulence et n’avait pas de force. Les médecins ont alors exigé la césarienne lors de son accouchement. Nous avons beaucoup dépensé. Le nouveau-né, une fille, a pris le nom de ma petite sœur », explique la vieille Nana Kéita.
OD/MD
(AMAP)