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Grande interview du magistrat Dramane Diarra

Sans langue de bois Dramane Diarra fustige la gestion de la transition, le Décret fixant le délai de la transition souffre d’un manque de légitimité, un acharnement et un harcèlement incompréhensible et injustifié contre Mohamed Cherif Koné. L’improvisation, l’exclusion et l’occultation de l’essentiel, caractérisent la gestion des affaires sous la transition. Diarra lance un appel aux autorités pour un nouveau départ pour cette dernière phase de la Transition où le consensus sera la fondation, la vérité sera la boussole, le but commun sera le quotidien, la compétence et la probité seront les ingrédients, et les résultats, une obsession. Lisez plutôt

 

 L’Alternance : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Dramane DIARRA : Je suis Dramane DIARRA, Magistrat depuis 21 ans, mais je suis expert en démocratie, en élections, en Droit International Humanitaire et en Droit International des Droits de l’Homme. Je suis un fruit de la société civile : – Domaine du panafricanisme et de l’unité Africaine : j’ai présidé la jeunesse OUA, devenue jeunesse Union Africaine (1998-2001) ainsi que la Fédération Nationale des Associations Panafricanistes du Mali (FNAP-Mali) en 2000 ; – Dans le domaine de la jeunesse : j’ai contribué à l’avènement du Conseil National de la Jeunesse  du Mali (1993 à 2000) avant d’en devenir le vice-président en 2007 ; – S’agissant de mon apport dans le domaine des élections et de l’encrage démocratique au Mali : je suis membre fondateur du Réseau et ONG d’Appui au Processus Electoral au Mali – Membre fondateur du Réseau APEM (1996) avant d’en devenir le président en 2014 ; – Pour ce qui concerne le vaste domaine de la sauvegarde et de la préservation de la Démocratie et de l’Etat de droit : je suis fondateur et président de l’Alliance des Générations Démocratiques du Mali (AGDM) depuis sa création en 2012 et nous avons participé à l’animation du débat démocratique et à la préservation des droits humains. Dans le domaine du syndicalisme : j’ai exercé deux (2) mandats comme membre du bureau du Syndicat Autonome de la Magistrature (SAM) de 2013 à 2018, avant d’être membre fondateur de la Référence Syndicale des Magistrats (REFSYMA) en 2018, membre du bureau de l’Association Malienne des Procureurs et Poursuivants depuis sa création il y’a 8 ans. Sur le plan  de la solidarité et des actions purement civiques : j’ai présidé l’Amicale de la Promotion Maître Tiémoko Diatigui DIARRA de la Faculté des Sciences Juridiques de l’ENA (1996) de 2012 à 2015. Je suis un homme d’actions comme vous l’aurez constaté à travers mon riche parcours et à  tous ces niveaux, ça n’a jamais été pour faire de la figuration.

 Alt : un décret fixant le délai de la transition à 24 mois vient d’être rendu public par le gouvernement Malien, Ce décret est-il conforme à la Constitution du 25 février 1992 et à la charte de la transition ?

 D.D : Il faut d’abord rappeler que suite au coup d’Etat du 18 août 2020, une Transition a été ouverte en coexistence avec la Constitution du 25 février 1992, qui qualifie pourtant le coup d’Etat de crime imprescriptible contre le peuple Malien. Des concertations des forces vives de la Nation organisées du 10 au 12 septembre 2020 ont adopté la charte de la Transition le 12 septembre 2020 et cette charte a été promulguée le 1er octobre 2020 par le Président de la Transition (Décret n°2020 – 0072/PT-RM). Dans l’article 22 de la charte, il est clairement dit que la durée de la Transition est fixée à dix-huit (18) mois à compter de la date d’investiture du président de la Transition (25 septembre 2020). Ce délai n’ayant pas été respecté, il était nécessaire de prévoir sa prorogation. Au lieu de recourir à un consensus des forces vives de la Nation, les dirigeants de la Transition ont préféré se focaliser sur des assises nationales de la refondation qui étaient contestées par un certain nombre d’acteurs, notamment de la classe politique et de la société civile. Ces assises ont manqué de rigueur et de clarté quant à la fixation de la nouvelle durée de la Transition en indiquant « entre 6 mois et 5 ans. » A l’occasion de la révision de la charte rendue nécessaire par le second coup d’Etat du 24 mai 2021 et la prorogation de la Transition, le Conseil National de la Transition (CNT) ne fera pas mieux lors de sa séance du 21 février 2022 consacrée à la révision de la Charte de la Transition, en gardant les termes vagues de 6 mois à 5 ans, indiqués par les assises nationales. D’où l’avènement de la modification survenue à l’article 22 al 1 nouveau, de la loi n°2022 – 001 du 25 février 2022 portant révision de la Charte de la Transition, qui dit maintenant que : « La durée de la Transition est fixée conformément aux recommandations des Assises nationales de la Refondation. » C’est ainsi que plus de trois (03) mois après, intervint le décret n°2022 – 0335/PT-RM du 06 juin 2022 fixant la durée de la Transition qui dit en son article 1er que : « La durée de la Transition est fixée à 24 mois, pour compter du 26 mars 2022 conformément à l’article 22 de la Loi n°2022 – 001 du 25 février 2022 portant révision de la Charte de la Transition. » Au regard de tout ce qui est évoqué, on retient que la durée actuelle de la Transition n’a été fixée ni par le CNT, encore moins par les Assises nationales de la Refondation, mais plutôt par le Président de la Transition et le premier ministre du gouvernement de la Transition. Les appellations Président de la Transition et gouvernement de la Transition ressortent de l’article 3 de la Charte de la Transition portant sur les organes de la Transition. Ils forment avec le Conseil National de la Transition les trois organes de la Transition. Pour revenir à la conformité du décret avec la Charte de la Transition et la Constitution, je suis tenté de dire que dans le fond, le décret n’est pas conforme à la charte de la transition qui renvoie à une période indicative (6 mois à 5 ans) recommandées par les Assises nationales et qui ne prévoit aucun acte législatif ou règlementaire pour fixer une durée qui est déjà fixée par elle-même. Ainsi, il revenait plutôt à un collège (forces vives de la Nation par exemple, un consensus national tout autre) ou tout au moins le CNT pour délibérer sur la durée précise de la Transition, soit les 24 mois, étant entendu qu’on ne puisse plus recourir aux Assises nationales de la Refondation. Toujours dans le fond, une durée de la Transition ne saurait être conforme à la Constitution qui ne prévoit pas de Transition et n’admet pas les circonstances qui l’engendrent. La première durée de dix-huit (18) mois ayant été fixée par les forces vives de la nation et consacrée dans la charte de la Transition, il me semble assez léger, surtout dans la forme, d’avoir procédé par décret dans cette matière

 Alt : le décret a été signé à la fois par le président de la Transition et le premier ministre. Au regard du droit, la double signature est-elle légale ?

D.D : Je ne suis pas un publiciste, mais les décrets peuvent être signés par le chef de l’Etat seul ou le premier ministre seul, tout comme ils peuvent être cosignés par ceux-ci, souvent, en plus, par de ministres concernés, s’agissant des décrets pris en Conseils des ministres notamment. Ceci dit, en droit la double signature est bien légale et renvoie à un partage de responsabilité. Comme je l’ai dit précédemment, le président de la Transition et le premier ministre ont pris une lourde responsabilité en choisissant la voie d’un décret pour « fixer et préciser » la durée de la transition à 24 mois. Il aurait fallu recourir à plus de légitimité, comme ci-dessus rappelé.

– Alt : Vous êtes membre de l’AMPP, le président de votre association, en occurrence Cheick Mohamed Chérif KONE a des démêlées judiciaires pour sa prise de position au point d’être convoqué par le président du Conseil supérieur de la magistrature. Pouvez-vous nous parler de cette affaire ?

 D.D : En effet, Cheick Mohamed Chérif KONE est le président de l’Association Malienne des Procureurs et Poursuivants dont je suis membre. Combattant infatigable de la cause des autres, y compris des magistrats depuis toujours, il fait, aujourd’hui, face à de l’acharnement, du harcèlement, de l’injustice et de l’illégalité, le tout déguisé sous une forme de procédure disciplinaire qui n’en est pas une, tant tout est foiré d’ores et déjà, car les règles de procédures n’ont pas été respectées. Or, elles sont sacrées et d’ordre public dont la violation est inadmissible. Souvenez-vous que l’Association Malienne des Procureurs et Poursuivants, affiliée à l’Association Internationale des Procureurs et Poursuivants (AIPP) et à l’Association Internationale des Procureurs et Poursuivants Francophones (AIPPF), a toujours dénoncé les atteintes à la Démocratie, à l’Etat de droit et aux droits de l’Homme. Et singulièrement, elle a dénoncé toutes tentatives ou atteintes à l’indépendance du pouvoir judiciaire d’où qu’elles  viennent et quels qu’en soient les auteurs. C’est ainsi que courant août 2021, suite à une procédure judiciaire contre des ministres, conduite par le Tribunal de Grande Instance de la Commune III du District de Bamako dont le Procureur est le ministre de la justice actuel, la Cour suprême, au lieu de suivre simplement la procédure, l’a détournée au mépris de la Constitution et de la loi organique portant sur la Haute Cour de Justice ainsi que du Code de Procédure Pénale. Au regard de cette violation gravissime des règles de procédure, Cheick Mohamed Chérif KONE, premier Avocat général d’alors de la Cour Suprême, après des mises en garde, notamment au procureur général près ladite cour, a dénoncé publiquement les faits au moyen d’une déclaration commune de nos organisations le 26 août 2021 avant d’en faire dénonciation, par écrit, une dizaine de jours plus tard, au procureur de la République compétent qui se trouve être le procureur près le Tribunal de Grande Instance de la Commune VI du District de Bamako, lieu de commission des faits. Au-delà, il a dénoncé les mêmes faits constitutifs de fautes professionnelles au président de la Transition. Mieux, il était un devoir absolu pour Cheick Mohamed Chérif KONE de procéder à cette dénonciation, conformément à l’article 58 alinéa 1 du Code de Procédure Pénale qui dispose que : « Toute autorité constituée, tout fonctionnaire ou officier public qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquerra la connaissance d’un crime ou d’un délit, sera tenu d’en donner avis sur-le-champ au procureur de la République ou au juge de paix à compétence étendue près le tribunal dans le ressort duquel le prévenu pourrait être trouvé et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. » Quelques mois plus tard, au lieu qu’une procédure judiciaire et une procédure disciplinaire soient ouvertes contre le Président de la Cour suprême, le Procureur général près ladite cour et autres, c’est « le dénonciateur légal » Cheick Mohamed Chérif KONE qui est convoqué par l’Inspecteur en Chef des Services Judiciaires sur saisine (illégale) du ministre de la justice, pour se voir reprocher la correspondance qu’il envoya au président de la transition, la violation de la délicatesse et du devoir de réserve, etc. Entre temps, Soumeylou Boubeye MAIGA aura succombé en détention dans cette procédure illégale, madame Bouaré Fily SISSOKO continue de croupir en détention, et un magistrat de la chambre d’instruction se sera soustrait de cette mascarade de procédure. L’évolution récente a consisté en la convocation de Cheick Mohamed Chérif KONE le 30 mai 2022 à 11 heures 42 minutes pour une comparution le 1 er juin à 10 heures devant la formation disciplinaire du Conseil Supérieur de la Magistrature. Au regard de la violation, encore une fois, de la procédure devant cette autre instance, l’affaire est renvoyée au 15 juin prochain, donc dans deux jours. Cheick Mohamed Chérif KONE et le collectif de sa défense sont si confiants qu’ils ne demandent qu’à ce que la procédure aille jusqu’au bout afin que le peuple du Mali et la communauté d’ailleurs connaissent la vérité, tant le Mali a souffert du mensonge et des manœuvres de basse besogne. Mais, pour le moment, place à la forêt de violations des règles de procédures, des vices de qualité, des récusations et bien d’autres surprises qui seront évoqués en premier.

 – Alt : Que comptez-vous faire pour la défense de votre président ?

D.D : En retraçant ci-dessus l’évolution de la procédure, j’ai presqu’évoqué ce qu’on a fait déjà et ce que nous comptons faire pour la défense de notre président. En tout état de cause vous aurez la primaire des activités de la défense de Chérif, plaise à Dieu, puisque vous vous y intéressez.

– Alt : A quoi cette rocambolesque affaire Cheick Mohamed Chérif KONE peut aboutir ?

D.D : Comme vous le dites, cette rocambolesque affaire, mettra à nue, la légèreté et la banalité avec lesquelles ce grand pays le Mali est administréet géré. Elle mettra en exergue les collisions entre l’exécutif et des acteurs, pas des moindres, du pouvoir judiciaire. Elle  détaillera les comportements lugubres de certains magistrats qui étaient censés donner l’exemple aux plus jeunes de la corporation. Elle sera anthologique en ce que le droit reprendra le dessus sur les manœuvres malsaines et que la justice triomphera de l’injustice. Mais aussi, elle pourrait révéler des tares de l’échafaudage transitionnel qui ne tenait que parce que nous nous sommes tus volontiers pour qu’on en sorte sans que le Mali y laisse sa peau. Hélas, nous ne pouvons pas nous plier à cette chasse à l’homme de trop.

Alt : le sommet extraordinaire tenu le 4 juin à Accra au Ghana n’a pas abouti à un compromis entre le gouvernement et la CEDEAO, les sanctions restent toujours imposées. Quelles sont vos impressions ?

D.D : Nos impressions sont qu’apparemment nos dirigeants manquent de tacts et de dextérité dans la conduite des affaires publiques. S’agissant de la gestion d’un pays, il ne faudrait pas que le désir de satisfaire le besoin immédiat prime sur tout. Gérer, c’est la prospective, c’est savoir se projeter dans le temps. Si l’on ne prend pas garde, les conducteurs du moment du train Mali vont compromettre son avenir par l’improvisation, l’exclusion et l’occultation de l’essentiel. Il suffit d’un compromis à l’interne (le consensus) pourtant largement à portée de main pour que les sanctions soient un souvenir, quand bien même amère.

 Alt : quel message avez-vous à lancer aux autorités et au peuple Malien pendant cette phase critique de la vie de notre nation ?

 D.D : Je demanderai au peuple Malien de ne pas se tromper de priorité et de combat, malgré la manipulation, la propagande, les manœuvres dilatoires dont il est l’objet. Le mensonge a mis à terre notre pays, seule la vérité le relèvera. Ce n’est pas la démocratie notre problème, mais plutôt sa gestion chaotique. Ce ne sont pas les élections notre péché, mais plutôt nos comportements à l’occasion de ces élections. La plus-value apportée par le Mali à la civilisation mondiale depuis les grands empires du Ghana, du Mali et Songhoï, c’est, entre autres, l’unité à toute épreuve en dépit de la diversité, c’est le culte du voisinage, c’est l’écoute de l’autre, l’amour et l’acceptation de l’autre, la confiance en soi, le savoir être, la culture de la paix et le partage. C’est ainsi qu’on a épaté le monde. Où en sommes-nous avec ces valeurs aujourd’hui ? Ressaisissons-nous, sinon il sera presque tard.

Alt : quel est votre mot de la fin ?

 D.D : Mon mot de la fin s’adresse surtout aux autorités de la Transition. Je les invite à un nouveau départ pour cette dernière phase de la Transition où le consensus sera la fondation, la vérité sera la boussole, le but commun sera le quotidien, la compétence et la probité seront les ingrédients, et les résultats, une obsession. La réussite est à ce seul prix. Puisse Dieu nous inspirer.

Propos recueillis par Assitan Diakité

Source : L’Alternance

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