Très attendue, on peut dire que la Déclaration de politique générale (DPG) de Moussa Mara a laissé beaucoup d’observateurs sur leur faim. À l’analyse du document, on se rend compte que le «politique» l’a emporté sur le «technocrate». C’est donc un Premier ministre politique qui s’est présenté aux élus de la nation avec une panoplie de promesses. «La Déclaration de Politique générale du Premier ministre est un roman…C’est un rêve, une fiction…On donne l’impression qu’au Mali rien n’a été fait depuis 40 à 50 ans…» ! Tel serait l’avis d’Amadou Cissé, député URD (opposition parlementaire) de Ténenkou.
Il n’est pas sans doute le seul à nourrir une telle impression, même dans la majorité où on se demande ce qui a poussé Mara à faire une DPG précipitée. Une profession de bonne intention ! Un parfait livre de contes ! C’est l’impression qu’une lecture approfondie de cette DGP nous a donné. Du volumineux document, il ne ressort aucune stratégie claire, aucune vision nette de changement. Cela en rajoute à la confusion par rapport à la réelle volonté du président IBK d’aller au changement promis aux Maliens qui l’ont plébiscité. On a du mal à y trouver une vision nette de la mission qui est assignée au P.M. C’est donc une fade «DPG-MAGOGIE» (allusion à la démagogie politicienne) qui a été servie. Gageons que dans la pratique, Mara saura se montrer plus réaliste, et plus concret.
Première erreur à relever, c’est l’usage trop prononcé du «Je». Le Premier ministre a trop personnalisé sa déclaration violant du coup le code d’éthique qu’il a lui-même imposé à ses ministres, notamment en termes de solidarité et de loyauté. Nous aurions préféré le «Nous majestueux». Comme le dit un jeune leader politique de la diaspora, cela aurait sans doute permis à Mara de dépasser sa hantise de «Self Mademan» politique et de s’affirmer au nom d’un attelage gouvernemental contesté dans sa composition. Le second constat inquiétant, c’est que Mara s’est visiblement beaucoup plus préoccupé à se conformer à un «Label» politique qu’à convaincre les Maliens de sa volonté de trouver des solutions concrètes à leurs préoccupations : Le Mali, un pays émergent ! C’est du déjà entendu ! Nous savons qu’il existe des stratégies «Gabon, pays émergent», «Côte d’Ivoire, pays émergent», «Sénégal, pays émergent»… Et, aujourd’hui, Mara nous ressort son «Mali, pays émergent»! Sauf que dans les autres cas, cette émergence est définie en stratégie sur un horizon clairement défini afin d’être progressivement évaluée. La Côte d’Ivoire veut par exemple être un Etat émergent à l’horizon 2020. Mais, c’est à croire que cette notion «l’émergence» est un label pour mobiliser les ressources extérieures au service du développement de nos Etats. Faut-il un accroissement de notre endettement pour favoriser notre émergence ? Ce qui ne serait pas d’ailleurs surprenant car, comme le dit la très engagée Tetou Gologo, «le problème est que nous sommes gouvernés par des gens qui veulent plaire à la Communauté Internationale». Le concept de «Pays Emergent» est donc une utopie dans la mesure où «l’Afrique doit trouver, créer son propre modèle pour avancer».
De «vrais capitaines d’industries» pour une économie émergence
Dans le cas de notre pays, nous pensions que depuis l’avènement de la démocratie, tous les projets de société ne visaient qu’à permettre au Mali d’émerger au sein des nations modernes et développées. Y compris le Programme pour le développement économique et social (Pdes) du déchu président Amadou Toumani Touré. Cette noble ambition nécessite la mobilisation de tous les secteurs d’activités, notamment le système éducatif. Mais, dans la DPG de Mara, les stratégies prônées pour sauver l’école malienne ne nous semblent pas pertinentes. Nous sommes d’accord avec le chef du gouvernement qu’il n’y a «rien à inventer» dans ce domaine. Il faut juste que le gouvernement s’assume devant ses partenaires comme les syndicats qui confondent vite syndicalisme et chantage politique. Que compte faire Mara pour que l’Ecole malienne ne soit plus par exemple l’otage d’aucun acteur ? La DPG n’y apporte pas une réponse claire !
«Chaque acteur du système éducatif a un rôle tout particulier à jouer pour contribuer efficacement à l’émergence de ce pays», souligne un professeur d’université. Pour lui, chaque acteur doit participer à une bonne éducation dès la base et à l’octroi des diplômes de qualité et de haut niveau. Pour cela, il faut promouvoir l’excellence pour offrir à nos Etats des formations de qualité. Cela nécessite de changer le paradigme pour le choix des filières de formation de nos enfants. «Le rêve de demain, ce n’est pas d’être un fonctionnaire, mais plutôt d’investir le secteur privé pour donner au pays les capitaines d’industries qui lui font cruellement défaut», défendait récemment M. Pacôme Moubelet Boubeya, le coordinateur national du «Plan stratégique Gabon émergent», qui présentait à des experts l’architecture stratégique de cette volonté politique. Selon une définition technocratique, l’émergence signifie «la mise à niveau et la mise des pendules du pays à l’heure des standards des pays émergents».
Pour Moubarack Lô, président de l’Institut de l’Emergence (auteur du livre : Le Sénégal émergent, Agenda pour le futur, concepteur de l’Indice Synthétique d’Emergence Economique, ISEME), «un pays doté d’un projet d’émergence cohérent se remarquerait ainsi dans la densité et dans la cadence des réformes qui y sont menées». Cette volonté doit être aussi perceptible dans le comportement consciencieux de ses citoyens et élus, dans la qualité des échanges politiques au Parlement et dans les médias, dans l’ordre, la discipline et la propreté qui y règnent, dans le souci de chacun d’apporter sa pierre à l’édifice commun et à être ponctuel, utile et productif, dans les nominations et promotions faites au mérite, dans la priorité accordée par les dirigeants aux intérêts supérieurs de la Nation au détriment de l’amitié, de la parenté et de l’argent.
La configuration actuelle du «gouvernement-Mara» est loin de répondre aux derniers critères, entre autres, exigés par le spécialiste. «L’expérience des pays qui ont récemment émergé constitue à cet égard une référence utile. Leur succès s’est construit à partir d’une stratégie clairement conçue, compréhensible par les populations et appliquée avec méthode, sous la houlette d’un leadership visionnaire, patriote, déterminé et méthodique, plus tourné vers le développement que vers la politique politicienne», défend M. Lô.
Fusion RPM-Yèlèma pour mettre Mara sur orbite ?
La prose (DPG) de M. Mara brille par son manque de cohérence, de lignes directrices (coût, période) indispensable à l’évaluation, aux nécessaires réajustements. Elle ressemble plus à un discours politique qu’à une véritable stratégie de développement intégral. Enfin, dernier constat, c’est que la stratégie «d’émergence» repose sur un horizon (échéance) relativement long (2025 pour le Gabon, 2020 pour la Côte d’Ivoire et 2015 pour le Sénégal). Et, derrière, se cache une volonté aussi de séduire l’électorat pour conquérir ou conserver le pouvoir. Ainsi, le plan «Sénégal émergent» est le projet de société sur lequel Macky Sall souhaite être jugé sur son premier mandat et réélu pour un second. Le hic, c’est que Macky peut prétendre à un second mandat. Ce qui n’est pas évident pour le prince du mandé. En effet, le plébiscite d’IBK est de plus en plus interprété par le Malien lambda comme un «yabé» (un auto-goal ou but contre con camp). Si Ladji Bourama ne se ressaisit pas à temps, les Maliens risqueraient, par manque de clairvoyance, de s’auto marquer un autre but politique. Ce serait une stupide auto-flagellation !
Objectivement, quelles sont les chances d’Ibrahim Boubacar Kéita de briguer un second mandat en 2018 ? Elles sont minces. Ce qui fait que visiblement, le Mali émergent ressemble beaucoup plus à la vision de Moussa Mara que de celle d’IBK ! Et cela apporte de l’eau au moulin de ceux qui ont vu en la nomination du jeune et fougueux leader politique (devenu subitement un grand sunnite) à la Primature comme le signe d’une prochaine fusion entre son Yèlèma et le Rassemblement pour le Mali (RPM). Mara serait-il finalement le dauphin de celui dont il a été le grand rival politique en Commune IV du district de Bamako ?
Ce qui est sûr, c’est que beaucoup d’observateurs pensent que la Déclaration de politique générale du jeune chef du gouvernement n’est que la «fusion» des promesses de campagne de Ladji Bourama et le projet de société défendu par Moussa Mara au premier tour de l’élection présidentielle. Ceci expliquerait cela ? Toujours est-il que peu d’observateurs ont été convaincus par le grand oral du 29 avril 2014. Une déception moins atténuée par les débats qui ont suivi !
GENERAS
source:Le reporter