Notre pays, à l’image de la communauté internationale, s’apprête à célébrer, ce jeudi 21 février 2019, la Journée internationale des langues maternelles. L’édition de 2019 est placée au niveau international sous le thème central : « Les langues autochtones sont importantes pour le développement, la construction de la paix et la réconciliation ». Au niveau national, cette journée est célébrée sous le thème : « la langue maternelle, moyen d’inclusion socioéconomique pour un développement durable ». Pour connaitre les activités, les objectifs de cette journée, nous avons approché le directeur national de l’éducation non formelle et des langues nationales.
Quel est le thème national ? Quel est le rôle des langues nationales dans notre développement ? Combien de langues nationales y’a-t-il au Mali ? Pour répondre à toutes ces préoccupations, nous avons rencontré ce lundi 18 févier Gouro DIALL, le directeur national de l’éducation non formelle et des langues nationales.
Info-Matin : Notre pays s’apprête à célébrer, ce jeudi 21 février 2019, la journée internationale des langues vernaculaires. Pouvez-vous nous parler des objectifs de cette journée ?
M. Gouro Diall : Avant tout, je voudrais rectifier un peu votre appellation « la langue vernaculaire ». Ce n’est pas « la langue vernaculaire », c’est la journée internationale de la langue maternelle qui a tout son sens et toute sa valeur. En disant « la langue vernaculaire », il y a une certaine connotation qui est déjà péjorative, car c’est l’appellation du colon. Donc, il faut faire la différence. Aujourd’hui, nous, en tant que structure chargée de la promotion de nos langues nationales, allons organiser la célébration, le jeudi prochain, la Journée internationale de la langue maternelle. Elle est célébrée, le 21 février de chaque année. L’objectif est de toucher toutes les autorités, toutes les personnes compétentes, tous les acteurs intervenant dans le domaine du développement des langues nationales. Toutes ces personnes prendre conscience de l’importance de nos langues, non seulement dans le processus éducatif, mais aussi dans celui du développement. Communiquer à travers sa langue maternelle donne un avantage. C’est le moyen le plus normal, naturel et favorable que celui avec lequel on est en train de parler pour faire passer un message. C’est pourquoi les langues maternelles ne doivent pas être au second plan. L’objectif principal, c’est de toucher les autorités à tous les niveaux, les partenaires techniques et même les communautés à la base. Car celles-ci ne savent pas souvent que c’est sur la basse de leurs langues qu’elles doivent, s’émanciper, se développer.
Le problème de développement de nos langues se trouve souvent dans l’écriture.
Info-Matin : Quel est le thème choisi pour la célébration de cette journée ?
Gouro DIALL : Il y a un thème international que l’UNESCO a proposé, il y a aussi un thème national que la commission d’organisation a proposé. Je veux vous les rappeler. L’UNESCO a dit ceci : « les langues autochtones sont importantes pour le développement, la construction de la paix et la réconciliation ». Au niveau national : « la langue maternelle, moyen d’inclusion socioéconomique pour un développement durable ». Il y aura une conférence-débat autour de ces deux thèmes sur l’expérience de l’utilisation d’une école bilingue.
Info-Matin : Il y a combien de langues nationales reconnues au Mali ?
Gouro DIALL : Au Mali, la loi a identifié treize langues nationales. À savoir : le bamanankan (Bambara) ; le bonnu (bobo) ; le bozo, le dↄgↄsↄ (dogon) ; le fulfulde (peul) ; le hasanya (maure) ; mamara (Miniyanka) le manikakan (malinké) ; le soninké (sarakolé) ; le sonꬼoy (songhoï) ; le syenara (Sénoufo) le tặmặsặyt (tamasheq) ; le xaasongaxanꬼo (khassonké).
Info-Matin : Que faites-vous en matière de promotion de l’écriture de ces langues ?
Gouro DIALL : On a déjà les alphabets ici à Bamako, il y a plusieurs années. Depuis le temps de la DNAFLA, il y a un alphabet africain sur lequel tous les spécialistes sont d’accord. Principalement, c’est l’alphabet latin qui est commun aux langues européennes et africaines. Mais, il y a une légère différence entre les langues en fonction de la manière d’écrire, des sons qui existent par ci et par là. Sinon, de manière globale, la manière d’écrire existe dans les treize langues nationales. Ces langues disposent des documents dans tous les domaines. Non seulement, des manuels d’apprentissage en alphabétisation pour les adultes, mais aussi des manuels pour les jeunes écoliers, à travers la pédagogie convergente ou le curriculum. Il y a des livres de grammaire et de lexiques qui sont élaborés. Également, il y a des tentatives d’élaboration de dictionnaires, des ébauches sont là. Beaucoup de textes qui règlementent la vie de nos communautés sont traduits en langues nationales. Par exemple, des textes sur l’agriculture, l’élevage, la forêt, etc.
Info-Matin : Quelles sont les activités retenues dans le cadre de la célébration de cette journée ?
Gouro DIALL : Pour célébrer cette journée, on essayer de toucher le maximum de cibles possibles. La première activité concerne un cours introductif au niveau des premier et second cycles, à travers toute la république, le jour ‘‘J’’, sur les langues maternelles. Nous allons profiter de ces cours pour distribuer la loi sur les langues nationales dans ces écoles pour que tout le monde puisse être au même niveau d’information par rapport à ces langues nationales. Il y aura un petit « concours du meilleur polyglotte ». C’est-à-dire, identifier au niveau de l’école de la zone, l’enfant qui maitrise plus la langue maternelle au niveau de la 5e année. On va envoyer la liste par académie. Ces enfants seront primés. Dans les académies de Bamako, il y aura un concours de dictée en langue nationale bamanankan. C’est l’occasion pour nous de mesurer le degré de maitrise de cette langue par les enfants toujours au niveau de la 5e année. Ce concours aura lieu le mercredi, à la veille de la célébration de cette journée. Le jour de la célébration, le ministre et sa délégation vont visiter une école bilingue (bambara, français). Cela permettra au ministre de l’Éducation nationale de mettre la main dans la patte et de voir la réussite dans ce domaine.
Après cela, la cérémonie officielle aura lieu ici dans la salle Adama BERETE, au CNREF. Pour camper le décore, il y aura le discours de l’UNESCO, celui de l’Académie africaine des langues et le discours de lancement du ministre de l’Éducation nationale, le Pr Abinou TEME. Au cours de cette cérémonie, il y aura une remise des prix aux récipiendaires de nos différents concours suivie d’une exposition de document en langues nationales.
Info-Matin : Selon vous, la diversité de nos langues nationales est-elle un atout ou un casse-tête pour leur promotion ?
Gouro DIALL : Je suis très déçu d’entendre des Maliens dire : ‘’voilà, on a trop de langues, on ne peut pas développer tout ça, ça coûte cher’’. Pour moi, c’est très honteux. C’est comme si tu as une grande richesse et tu dis : ‘’c’est trop’’, que tu ne peux pas t’occuper de cette richesse. Cela est honteux. En tant que Malien, je ne conçois pas la chose ainsi. D’ailleurs, Amadou Ampathé BA comparait la richesse culturelle du Mali à un tapis qui a plusieurs couleurs. Donc, la richesse, c’est le multilinguisme, la multiplicité des groupes ethniques, c’est ce qui fait la richesse du Mali. Donc, ce n’est pas un problème, c’est plutôt un avantage. Il suffit de donner les mêmes moyens à chacun d’avoir les mêmes droits pour réussir sa vie. Il suffit de mettre tout le monde dans les mêmes conditions d’apprentissage pour que ça marche. Je ne trouve pas ça comme un problème. Le plus de souvent, c’est les intellectuels qui créaient les problèmes ; malheureusement. Sinon, les communautés qui vivent sur le même air culturel n’ont jamais de problème de communication. Il peut y avoir une langue dominante, mais pas de problème de communication. Un État responsable doit s’occuper de tous ses fils. Il doit être équitable pour tout le monde. On ne doit jamais mettre une langue au-dessus d’une autre.
Info-Matin : Sentez-vous qu’il y a réellement une volonté politique de nos autorités de faire en sorte que nos langues nationales se développent ?
Gouro Diall : Dans les discours, on sent un peu l’engament, mais dans la pratique, c’est autre chose. Depuis la mise en placer de la DNAFLA, le matériel didactique a été élaboré. On fait la pédagogie convergente, on a fait des livres pour l’école formelle. Maintenant, on est au curriculum, mais on n’arrive pas avoir un très bon programme sur lequel on peut se baser pour faire avancer réellement tout le système éducatif du Mali. Mais officiellement, nos autorités disent, on est partant, on veut le multilinguisme, mais dans la pratique, on a des difficultés pour mettre en place une bonne base.
Info-Matin : Le problème en la matière est que les pour les enfants de fonctionnaire, on peut commencer avec le sonrai au nord et se retrouvé à la suite d’une mutation au sud du pays où le dialecte est très différent ?
Gouro DIALL : Non, cela ne constitue pas une difficulté majeure. J’ai suivi un peu la pédagogie convergente. J’ai par exemple un ami promotionnaire qui été commandant de cercle en son temps. Dans sa famille, l’enfant parlait peul, mais à l’école, son enfant a commencé avec le sonrai à Gourma-Rhaouss. À Rhaouss, l’enfant était le premier de sa classe, après Rhaouss, son père a été muté à Nara. Il a quitté Rahouss avec le sonrai, il est venu à Nara où il y avait le bamananka. À Rhaouss, il était le premier de sa classe. Il est encore venu à Nara, il était le premier de sa classe. Donc, il a étudié normalement tous les cycles. Il a fait l’école supérieure sans problème. Ça, c’est un cas que je connais personnellement. Ce n’est pas un problème d’apprentissage au niveau des langues pour les enfants. Mais le vrai problème, ce sont les adultes. Malheureusement, les agents veulent toujours créer de faux problèmes qui ne sont pas des problèmes réels.
Info-Matin : Y’a-t-il un budget réservé pour la promotion et le développement de ces langues ?
Gouro DIALL : Non, il n’y a pas de budget spécifique. Il y a un budget spécialisé au développement de ces langues. Nous avons seulement le fonctionnement ordinaire de nos directions, il n’y a pas de secret dans ça. Sinon, il n’y a pas un budget particulier réservé aux langues. Nous sommes une direction qui est chargée de développer les langues, mais il y a également l’académie malienne des langues qui est en train aussi de faire des recherches pour le développement des langues. L’Université fait aussi des activités dans ce sens. Globalement, je ne peux pas vous dire combien, on met dans la promotion et le développement des langues nationales, mais je sais que c’est insuffisant.
Info-Matin : Monsieur le Directeur, qui sont vos partenaires ?
Gouro DIALL : Les partenaires n’interviennent pas très souvent pour soutenir financièrement, mais l’UNESCO, de temps en temps, intervenir dans le cadre de l’information et de la sensibilisation.
Info-Matin : Votre dernier mot, et si vous avez un appel…
Gouro DIALL : L’appel que je lance, c’est que chacun doit savoir, qu’au Mali, on a plusieurs langues nationales. Mettre une langue au-dessus des autres langues, cela est à exclure. Ça, c’est déjà une faillite si on n’arrive pas à assumer notre propre responsabilité pour maintenir la diversité s’accepter. Acceptez l’autre en tant qu’individu différent de soi. Ensuite, les communautés à la base doivent savoir que leur développement est lié à ces langues nationales. Ce n’est pas le français qui va faire le développement surtout avec des gens qui ne sont pas allés à l’école. Si tu veux faire la décentralisation, il faut passer par les langues nationales, si tu veux faire d’autres politiques, il faut passer par les langues nationales pour que le message passe bien. Donc, cela veut dire que pour faire le développement, il faut passer par les langues nationales. Sinon, on est voué à l’échec.
Propos recueillis par
Abdoulaye OUATTARA
Source: info-matin