Tout est parti comme sur des roulettes. Vendredi, le sommet extraordinaire des chefs d’Etat de la CEDEAO ordonne la mise en œuvre d’une transition civile d’une année. Le même jour, le CNSP, à la hâte, convoque une large concertation avec les organisations de la société civile, les forces vives de la nation et les partis politiques de la majorité, de l’opposition, du centre et des non-alignés. Ce, en occultant à la surprise générale, le regroupement sensé être son premier partenaire, le M5-RFP. Toujours dans la même journée de vendredi, l’imam Dicko, l’autorité morale du M5RFP, à la faveur d’une cérémonie de recueillement et de prière à la mémoire des victimes des évènements de juillet 2020, lance des avertissements à l’encontre du CNSP. Le M5RFP, renchérit à travers un communiqué de presse pour exprimer sa stupéfaction devant le fait qu’il n’a pas été nommément cité parmi les invités à cette rencontre importante pour le devenir de la transition, voire de la gestion du pays. Dans la même lancée, il se dit, dans son communiqué N°008 du 28 août 2020 : « être et demeure un acteur majeur du changement voulu et doit être associé au premier plan à la conception de l’architecture de la Transition avec l’ensemble des forces vives de la Nation ».
En plus du M5RFP, d’autres organisations non des moindres ont aussi exprimé leur désapprobation par rapport à leur omission dans la lettre d’invitation du CNSP. Il s’agit des organisations faîtières de la diaspora, de la presse, de la jeunesse, entre autres.
Le lendemain samedi, au moment où tous les projecteurs étaient braqués sur le CICB, pendant que les premiers invités avaient déjà pris place dans la grande salle, un autre communiqué du CNSP tombe. Cette fois-ci pour annoncer le report de la rencontre à une date non encore précisée.
Le M5RFP a pesé lourd dans la balance
Dès l’annonce du report de la rencontre, les commentaires ont fusé de partout. Sur les réseaux sociaux, d’aucuns parlent d’une ‘’première erreur de jeunesse’’ de la junte, d’autres évoquent un sens élevé de responsabilité de sa part, afin de ne pas susciter des frustrations dès l’abord du processus de transition. Mais la majorité des réactions, plaident pour une dualité (CNSP-M5RFP) qu’aucune des deux parties ne doit briser, au risque de nuire à l’objectif du renversement du régime d’IBK, à savoir, le changement.
De ceux qui parlent d’erreur du CNSP, les arguments avancés corroborent sur une attitude de fermeté que la junte doit faire sienne dans ses prises de position afin de réussir sa mission. « Nous faisons confiance à ces militaires, ils doivent se méfier des politiques et ne doivent jamais rebrousser chemin face à une quelconque menace politique sur le plan interne ou international, au risque de finir comme la junte de Kati de 2012 » affirme un internaute.
Quant à ceux qui estiment à juste titre que cette décision du CNSP est salutaire, ils soutiennent que cela permettra d’élargir la liste d’invitation afin d’associer les autres couches de la Nation, à ces échanges pour l’organisation de la Transition. Dans le même camp, on avance que la junte (CNSP) doit écouter toutes les forces vives du Mali mais sans se laisser manipuler par aucune d’elle pour ne pas faire les mêmes erreurs que le CNRDRE du Général Amadou Aya Sanogo. Lequel, par euphorie du succès du coup d’Etat et de la méconnaissance des réalités du pays s’est laissé manipuler par les protagonistes du MP22 pour isoler et ouvrir des chasses à l’homme à l’encontre de certaines couches importantes de la vie de la nation.
En l’espèce, ce qui reste évident, relève du fait que la décision de report du CNSP se justifie par un seul motif valable : la réaction brusque de désapprobation du M5RFP.
Le M5RFP tape du poing sur la table et le CNSP se plie !
« On ne donnera plus à personne un chèque en blanc. Non ! Personne ne fera plus ce qu’il veut dans ce pays, cela est terminé » a lancé dans un ton ferme l’Imam Mahmoud Dicko, lors de la cérémonie d’hommage aux victimes des évènements de juillet. Ce message était adressé aux officiers du CNSP, qu’il ne manquera pas de qualifier comme « leurs héros » qui ont achevé la révolution. « Mais je leur demande de tenir parole. Ils ne doivent pas tomber dans les mêmes erreurs que les autres. Je leur demande de rencontrer et de discuter avec le M5RFP » a clamé l’imam Dicko, cela pour que le processus de la transition puisse être conduit dans la dignité et l’honneur pour le pays.
Sans doute, on peut dire que ce message de l’Imam Dicko a sonné comme un avertissement sans frais auprès du CNSP. Il a aussi été le déclic pour amener la junte à ouvrir ses portes aux responsables du M5RFP. Ainsi, samedi en début de soirée, le staff dirigeant du CNSP a reçu en audience au niveau de la direction de l’école du Prytanée militaire de Kati, les responsables du comité stratégique du M5RFP, avec en leur tête, le Dr Choguel Kokala Maïga.
A la sortie de cette rencontre nocturne, qui a duré plus de quatre heures d’horloge, le président du comité stratégique du M5RFP a indiqué que les deux parties ont discuté et approuvé la mise en place d’un cadre de dialogue pour dégager les bases d’une transition réussie. Abondant dans le même sens, le coordinateur de la CMAS, Issa Kaou Djim, a affirmé que désormais, le duo CNSP-M5RFP va cheminer ensemble afin d’associer toutes les autres forces vives de la nation. « Nous leur avons remis le document de propositions du M5RFP. Nous allons encore nous revoir lorsqu’ils finiront d’étudier cela » a laissé entendre M. Djim.
Le moins qu’on puisse dire, au regard du fait que le M5RFP est considéré comme acteur politique majeur de ce changement, le CNSP n’a plus le choix pour composer avec lui. Dans ce contexte, il faut s’attendre à la création très prochainement d’une instance suprême de la gestion de la transition politique, constituée exclusivement du CNSP et du M5RFP. Et ce, exactement comme au lendemain du coup d’Etat de mars 1991 ou le CNR et le mouvement démocratique ont siégé au sein du CTSP.
En somme, l’enseignement principal qu’on peut tirer de ce feuilleton consiste au fait que le M5RFP a tenu en respect la soldatesque du CNSP pour composer avec lui. La junte n’a plus le choix pour obéir à cette démarche, car elle est désormais plongée entre le marteau de la CEDEAO et l’enclume d’un probable soulèvement populaire sur le plan interne.
Par Maïmouna Sidibé
Source: Le Sursaut-Mali