Diplômés ou non, au chômage ou travailleurs, ils sont pour la plupart âgés de moins de 30 ans. Leur point commun : le Mali. Leur patrie, qu’ils veulent défendre et rendre meilleure, convaincus que le Mali ne se « fera » que par les Maliens. Une construction qui nécessite un « NTM », un Nouveau Type de Malien, le leitmotiv de ces jeunes déterminés à changer leur pays. Car l’avenir, selon eux, c’est déjà aujourd’hui. Et c’est à eux de construire le futur dont ils rêvent.
« Même si c’est en rangs dispersés, et souvent avec des motivations différentes, il existe aujourd’hui une jeunesse malienne consciente qu’elle peut être actrice du changement », soutient Momo Diarra, la trentaine, vivant à Paris depuis maintenant six ans. Après des études secondaires écourtées, il travaille un moment dans une boulangerie à Bamako avant de prendre la route. Gao, le Niger, l’Algérie, l’Espagne, puis la France. S’il n’est membre d’aucune association, il adhère aux idées de celles dont le combat est de « faire faire le Mali par les Maliens ».
Ils viennent d’horizons divers et sont de conditions différentes, mais l’objectif de ces jeunes semble être le même : bâtir un nouveau Mali, débarrassé des maux qui le gangrènent, comme l’injustice ou la corruption, et exiger l’État de droit. Mais mener un tel combat suppose de leur part un engagement inébranlable.
Déjà militante pour certains, cette nouvelle génération est en construction chez d’autres. Elle date de seulement ces dernières années, où « les jeunes ont compris qu’il faut non seulement s’informer de la chose politique mais aussi s’impliquer », note le blogueur Dou Niangadou, âgé d’une vingtaine d’années.
Autre cheval de bataille, un Mali « dans lequel les seuls critères de sélection seront ceux de la compétence, et non parce qu’on « est le fils de » ou « le neveu de » », note Malick Konaté, âgé de 27 ans, économiste de formation et membre du mouvement « Trop c’est trop ».
Eux en ont fait le nom de leur mouvement, la « Méritocratie », et leur slogan est « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut ». Créé en 2014, il entend promouvoir « l’égalité des chances », principe fondateur de toute société juste, selon Mamedy Diarra, 28 ans, diplômé en gestion d’entreprise et Président de Méritocratie.
Jeunesse connectée
Si le sentiment patriotique n’est pas nouveau, ce regain de patriotisme de cette nouvelle génération présente certaines spécificités. Elles sont liées à plusieurs facteurs dont l’accès à l’information à travers les réseaux sociaux. Ces réseaux sociaux qui leur donnent non seulement une ouverture sur le monde mais également une grande capacité à se mobiliser. Donnant ainsi à ces jeunes une plus grande possibilité pour agir : Agir avec un objectif clair: changer le système et le remplacer par un nouveau mode de pensée et de nouvelles façons de faire. Mais comment changer un système dont on est le produit ? « La difficulté est que cette jeunesse, qui veut combattre la corruption, a la corruption en elle », prévient le Dr Hamidou Magassa, socio-anthropologue et observateur averti de la société malienne. Un enjeu qui n’échappe pas à ces jeunes engagés pour la cause du Mali, même si, comme le soutient Momo Diarra, « la jeunesse est à l’image des dirigeants ».
« C’est une jeunesse maintenue exprès dans la pauvreté pour l’empêcher de s’exprimer », déclare pour sa part Ibrahim Kalil Touré, juriste âgé de 33 ans, membre du groupe Ali24. Mais le patriotisme suppose justement de transcender les difficultés et d’agir pour le changement. « Refuser de donner un billet de 1 000 francs à un policier lorsque vous êtes en infraction et accepter de payer l’amende que vous devez, c’est lutter contre la corruption », affirme M. Diarra.
Relever le défi du patriotisme, c’est aussi savoir « prendre du recul et ne pas refaire les erreurs du passé », explique Dou Niangadou, pour qui les jeunes ne doivent pas avoir seulement pour ambition de remplacer la classe politique actuelle sans prendre de temps d’ancrer les valeurs qu’ils veulent défendre.
Les valeurs patriotiques comme le respect du bien public doivent être acquises dès la famille et consolidées à l’école, ce qui n’est pas toujours le cas au Mali, selon Kibili Demba Dembélé, ingénieur en Génie Civil, bientôt 30 ans. « Ce qui motive le Nouveau Type de Malien, c’est qu’il a attendu en vain l’homme providentiel. Son espoir de voir un Mali nouveau a été déçu. Les jeunes ont intégré que changer c’est comprendre que la solution c’est nous-mêmes », ajoute M. Dembélé.
Montrer l’exemple
Un changement déjà en cours, si l’on en croit Malick Konaté, membre du mouvement « Trop c’est trop ». « Si on observe ces mouvements, on se rend bien compte qu’il y a un changement. Ces jeunes s’engagent sans contrepartie, juste pour le Mali. Lors des manifestations contre le projet de réforme constitutionnelle, les jeunes ont participé en achetant leurs tee shirts pour contribuer au mouvement et ont également financé leurs déplacements et leurs communications. Avant, ils se faisaient payer par les politiciens pour participer aux manifestations. Ce qui montre leur engagement et l’éveil des consciences au Mali », ajoute M. Konaté.
La lutte pour la patrie est un combat que l’on mène pour les autres et dont on ne récolte pas souvent soi-même les fruits. Il peut être mené dans tous les domaines, ce qui fait dire à M. Diarra « on peut servir son pays sans faire de la politique ». Il invite donc les jeunes à connaître leurs droits et devoirs, pour pouvoir mieux lutter, et à s’inspirer des exemples de personnalités comme Thomas Sankara ou Nelson Mandela. Des repères qui ont existé et qui existeront toujours, car le patriotisme survit toujours à ceux qui en mènent le combat.
« Si les gens honorent Cabral (surnom de Abdoul Karim Camara, leader du mouvement estudiantin au Mali à la fin des années 1970, mort après son arrestation sous le régime de Moussa Traoré), c’est parce qu’il a incarné cette figure sacrifiée », relève le Dr Magassa. S’il estime que tous les regroupements ont leurs limites, il pense qu’il en restera toujours pour porter les valeurs du combat. « C’est cela le patriotisme. Ceux qui portent l’idéal sont très rares, mais ce sont eux les sentinelles, ils font vivre le patriotisme ». Le sociologue ne croit pas « aux patriotes autoproclamés », car le patriotisme est un acte de foi.
Maintenir la flamme
Valeur universelle, le patriotisme a toujours existé dans toutes les sociétés. Si le combat porté par ces jeunes maliens n’a rien de nouveau pour le Dr Magassa, « cette génération a une particularité qui tient à sa capacité à se mobiliser et à se regrouper sans être inféodée »
Un atout dont sont conscients ces acteurs. Une jeunesse connectée et informée, qui n’a pas peur de s’exprimer parce qu’elle « a compris que ce n’est pas en gardant le silence que l’on peut soigner les maux de la République », relève Ibrahim Kalil Touré. Un nouvel élan est en tout cas donné à ce sentiment depuis la crise de 2012 au Mali. « De plus en plus de gens pensent qu’il ne faut plus laisser faire et demandent des comptes », ajoute M. Touré.
Outre l’avantage de pouvoir s’informer en temps réel sur tous les sujets, cette jeunesse s’est débarrassée de tout complexe parce qu’elle peut accéder à toutes les connaissances. Mais il s’agit là d’atouts qu’il faut capitaliser. Le patriotisme nécessite un esprit de sacrifice, qui demande de renoncer « à son propre confort pour celui des autres », affirme Dou Niangadou. Et l’impact du mouvement actuellement en cours ne pourra être mesuré que d’ici quelques années selon plusieurs acteurs. Ceci tient non seulement au contexte de sa naissance, mais aussi à la diversité qui le caractérise.
Le patriotisme n’est en tout cas pas prêt de mourir. « C’est une valeur mythologique, beaucoup plus forte que ceux qui se disent patriotes. Ce n’est pas qu’une histoire de drapeau. C’est une question identitaire. Les gens ont besoin de dire : j’appartiens à ça », conclut le Dr Magassa.
Source: journaldumali