« Coup dans le dos », « rupture de confiance »… Depuis l’annonce de Joe Biden le 15 septembre dernier, la France ne décolère pas contre les États-Unis à cause de l’affaire des sous-marins australiens. Cette crise pourrait-elle remettre en cause le partenariat franco-américain au Sahel ? Le général français Dominique Trinquand connait bien les Américains, il a été le chef de la mission militaire française auprès de l’ONU à New York. Il a aussi travaillé avec l’US Navy sur la base américaine de Norfolk. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Est-ce que la crise des sous-marins peut affaiblir le partenariat franco-américain au Sahel ?
Dominique Trinquand : Je ne pense pas qu’il puisse affaiblir ce partenariat, pour la raison simple que les Français sont en première ligne, les Américains sont en soutien. Les Américains trouvent assez confortable d’être en soutien de cette opération et ils en ont besoin.
Oui, mais toute de même, le week-end dernier, les autorités françaises ont dit que la confiance était rompue avec Washington.
Oui, mais la confiance est rompue, comme elle a été rompue, je le rappelle, en 2003, lorsque les Américains ont décidé d’attaquer en Irak. Et cela ne nous a pas empêchés de travailler avec les Américains par la suite et de voir quels sont nos intérêts stratégiques. Pour la France, l’intérêt stratégique du Sahel est évident et nous avons besoin des Américains pour continuer cette opération dans de bonnes conditions.
« Un tel comportement est inacceptable entre alliés », disent les Français. Voulez-vous dire que tout cela n’est qu’une posture de la part de Paris et que cela va continuer comme avant ?
Non, ce n’est pas qu’une posture, c’est le retour à la réalité. On ouvre les yeux, on arrête d’être naïfs, comme nous l’avions été en 2003, devant les mensonges proférés sur la situation en Irak par les Américains. Que les Américains négocient avec les Australiens, nous, on le comprend. Mais ils ne peuvent pas négocier pendant six mois, sans nous en avertir autrement que par un appel, quelques heures avant, parce que la presse a été déjà saisie du sujet. Donc évidemment, les Américains roulent pour eux, mais s’ils veulent avoir un front uni dans la compétition contre la Chine, ils doivent ménager leurs alliés et pas seulement les Australiens et les Britanniques qui ne font qu’obéir à leurs ordres.
Et justement, ce sentiment de trahison qu’éprouvent les Français, est-ce qu’il ne peut pas avoir des implications au Sahel ?
Il peut avoir des implications dans d’autres domaines. Mais je crois qu’au Sahel, nous sommes demandeurs de l’aide américaine. Donc je crois que le combat au Sahel est stratégique pour la France et très utile pour les Américains.
Qu’est-ce que Washington apporte à Paris sur le terrain ?
Il apporte de l’aide avec des drones, avec du renseignement et de la logistique.
Vendredi dernier, le département d’État américain a salué par communiqué la frappe française contre le chef jihadiste Abou Walid al-Sahraoui. « Nous félicitons Paris pour son engagement continu contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest », a précisé Washington. Est-ce que les États-Unis ont pu intervenir directement dans l’opération pour éliminer Abou Walid al-Sahraoui ?
Le renseignement américain, c’est très important. Les moyens français ne sont pas suffisants pour avoir une permanence du renseignement.
Quand vous parlez de moyens permanents des Américains, ce sont ces drones reaper qui sont capables de survoler un site pendant quarante-huit heures sans discontinuer ? C’est cela ?
C’est cela. Je rappelle que les Français ont les mêmes moyens au Sahel. Simplement, en nombre, on additionne les moyens américains et les moyens français pour arriver à une permanence.
Jeudi dernier, après l’annonce de la mort d’Abou Walid al-Sahraoui, l’état-major français a évoqué une manœuvre de renseignement de longue haleine, mais sans parler explicitement de l’aide américaine. Était-ce à cause de la crise des sous-marins ?
Non, pas du tout. Les Français hésitent, lorsqu’ils donnent une information comme ça, à donner toutes les sources. Il est sous-entendu que les Américains y contribuent. Maintenant, les Américains n’éprouvent pas le besoin qu’on les mette en avant sur ces opérations.
Au fond, pour vous, vu des Américains, la France fait une petite colère, mais cela n’ira pas très loin, car les Français ont trop besoin de l’aide américaine au Sahel ?
Non, je pense que c’est plus vaste que cela. Nous avons beaucoup parlé du Sahel, mais je crois que dans la coordination des actions face à la Chine, les États-Unis ont besoin de la France aussi. Elle est reconnue dans tous les pays d’Asie comme une puissance indépendante. Et qu’elle se lie aux Américains serait un ajout considérable pour faire un front commun, contre une Chine qui n’est pas un ennemi, mais qui est un compétiteur majeur.
Est-ce que, pour se raccommoder avec Paris, Washington peut faire un geste dans les jours qui viennent, notamment par rapport au G5 Sahel ?
Il y a un premier pas qui est fait par les Américains, c’est que le président Biden a annoncé qu’il souhaitait parler directement au président Macron.
Et vous, qui avez travaillé avec l’US Navy sur la base américaine de Norfolk, est-ce que vous pensez que les Américains pourraient faire un geste ?
Oui, je pense d’abord que l’armée américaine va demander à l’administration Biden de faire un effort, car l’armée américaine travaille extrêmement bien avec l’armée française dans tous les domaines. Vous parlez de la Navy, je rappelle que notre porte-avion était dans la mer de Chine. Ce n’est pas par hasard. Donc je pense qu’il va y avoir un effort qui va être fait. Les Américains savent très bien le poids que la France -qui n’est pas une puissance majeure, mais qui est une puissance d’importance- peut apporter un peu partout dans le monde.
Donc, en fait, c’est donnant-donnant, c’est cela ?
Oui, nous avons les Américains qui sont en première ligne sur la Chine et pour eux c’est absolument essentiel. Pour nous, le Sahel est absolument essentiel. Nous avons besoin des Américains pour nous appuyer au Sahel. Sur la Chine, les Américains ont besoin de la France pour arriver à coordonner cette coalition en Asie.
Source : RFI