Il est apparu face à la foule dans son traditionnel boubou blanc immaculé, entouré de ses sbires et de sa cour. Dans chaque main, un coran et un chapelet, attributs indispensables à son personnage de président un brin mégalo de la désormais officielle République islamique de Gambie. Ce 16 novembre, Yahya Jammeh lançait sa campagne pour sa réélection à Essau, au nord-est de Banjul. La cinquième depuis son coup d’État contre Dawda Jawara, en 1994, qui lui permettra de rempiler pour un nouveau mandat de cinq ans, après déjà plus de deux décennies passées au pouvoir.
Peu d’incertitudes
« Permettra », car l’élection présidentielle à un tour du 1er décembre ne promet aucun suspense : Jammeh, 51 ans, est assuré d’être réélu tant il contrôle son pays d’une main de fer, ayant anéanti toute opposition. Ce qui ne l’empêche pas d’adopter des postures de démocrate soucieux du respect des urnes. « Tout le monde peut voter pour le candidat de son choix. Personne ne doit être forcé à voter pour moi. Faisons campagne pacifiquement, votons pacifiquement, puis célébrons notre victoire ! » a proclamé dans son discours le chef de l’État et candidat de l’Alliance pour la réorientation et la construction patriotique (APRC), le parti au pouvoir.
Gambie : « Personne ne doit être forcé à voter pour moi », assure Yahya Jammeh
Face au maître de Banjul, deux autres candidats. Le premier, Mama Kandeh, représentera le Congrès démocratique de Gambie (GDC), un parti récemment créé. Ex-député de l’APRC, il est soupçonné d’être un homme lige du régime. Le second, Adama Barrow, est lui le principal challenger de Jammeh.
Cet homme d’affaires discret de 51 ans, qui a fait carrière dans l’immobilier, a été désigné comme candidat unique de l’opposition fin octobre. Il était jusqu’alors trésorier du Parti démocrate unifié (UDP), la principale formation de l’opposition gambienne, dont il a préféré démissionner afin de mieux représenter l’ensemble des partis qui soutiennent sa candidature.
En pleine campagne dans l’est du pays, ce dernier ne cache pas son enthousiasme malgré ses chances inexistantes d’accéder à la magistrature suprême. « Je n’ai pas peur de Jammeh ! Nous allons gagner cette élection, car j’ai le soutien du peuple et de tous les partis d’opposition », nous a-t‑il affirmé, bravache, au téléphone (notre demande de visa étant restée sans suite).
Un nouveau leader pour l’opposition
Pour la première fois depuis l’arrivée de Jammeh au pouvoir, le candidat de l’opposition ne sera donc pas Ousainou Darboe. Âgé de 68 ans, le chef historique de l’UDP et charismatique opposant gambien ne pouvait pas se présenter (la Constitution, qui fixe à 65 ans l’âge limite pour être candidat, l’en a empêché). Avocat engagé dans la défense des droits de l’homme, il n’a pu davantage soutenir son « successeur » Adama Barrow durant la campagne : en juillet, il a été condamné à trois ans de prison ferme pour avoir participé à une manifestation interdite au cours de laquelle, avec plusieurs cadres de son parti, il avait exigé que la lumière soit faite sur le décès en détention de Solo Sandeng.
Ce haut responsable de l’UDP avait lui-même été interpellé quelques jours plus tôt dans la capitale lors d’un rassemblement public contre le régime, avant de disparaître… L’ONU et Amnesty International réclament depuis l’ouverture d’une enquête sur sa mort. Réponse (cinglante) de Jammeh, interrogé sur le sujet en mai par JA : « Ban Ki-moon et Amnesty International peuvent aller en enfer ! Qui sont-ils pour exiger cela ? Des gens qui meurent en détention ou durant des interrogatoires, c’est très commun. Là, une seule personne est morte et ils veulent une enquête ? Personne ne me dira quoi faire dans mon pays. »
À LIRE AUSSI :
Gambie – Yahya Jammeh : « Ban Ki-moon et Amnesty peuvent aller en enfer ! »
Pour beaucoup, l’absence d’Ousainou Darboe est un sérieux handicap pour la mobilisation de l’opposition. Figure respectée en Gambie, il aurait pu avoir un rôle de parrain précieux pour Adama Barrow, peu expérimenté et méconnu en dehors des cercles dirigeants de l’UDP. D’autres y voient au contraire un avantage. Son leadership était jalousé ou remis en question par certains et constituait un facteur de division entre opposants. Darboe parti, l’opposition est désormais, pour la première fois depuis de longues années, en rangs serrés derrière son candidat unique.
Contestations
Fera-t‑elle mieux qu’en 2011 ? Impossible de le savoir, dans un pays où les élections ne sont ni libres, ni crédibles, ni transparentes. La réélection de Jammeh étant acquise, l’un des rares enjeux de cette présidentielle – et des législatives à venir, début avril 2017 – sera la réaction de l’imprévisible autocrate gambien face au score réel de ses adversaires. Une victoire nette pourrait le conforter dans ses convictions dictatoriales. Si l’écart est plus serré, deux options se dessinent : soit l’opposition en profite pour tenter d’enclencher un véritable dialogue avec le pouvoir, soit la machine répressive passe à la vitesse supérieure pour annihiler toute velléité de changement.
À en croire différents observateurs sur place et à l’étranger, l’insatisfaction populaire serait grandissante contre Jammeh. Cela faisait des années que des manifestations comme celles d’avril et mai n’avaient pas eu lieu à Banjul. En août, le siège de l’APRC à Serrekunda a été incendié. Tandis que certains bravent ouvertement le régime, d’autres affichent simplement leur soutien à l’opposition.
« Les campagnes électorales sont les seuls moments où la population peut s’exprimer un peu librement, explique Fatou Jagne Senghor, directrice régionale de l’ONG Article 19. Les gens sont plus optimistes et sortent de chez eux pour soutenir l’opposition. »
Outre la menace de la rue, difficilement prévisible mais qui a étonné plus d’un président sur le continent, des tiraillements internes continuent d’agiter l’appareil sécuritaire, où les gradés ne sont pas tous satisfaits de la politique menée par Jammeh. La tentative de coup d’État du 30 décembre 2014, bien qu’ayant tourné au fiasco, est là pour le rappeler.
Opposants, militants des droits de l’homme et journalistes sont régulièrement arrêtés, torturés, voire tués dans le plus grand secret.
Malgré ces différents signaux d’essoufflement de son régime, Yahya Jammeh, qui peut encore légalement rester président quatorze ans sans même toucher à la Constitution, semble encore solidement accroché au pouvoir. Continuant de se présenter comme un gage de sécurité et de stabilité pour son pays, le « big man » peut compter sur une reprise timide de l’industrie touristique après deux années difficiles liées à l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest.
Monarque absolu, craint de ses 2 millions de compatriotes, il entretient toujours un climat de peur et de suspicion généralisées grâce aux méthodes brutales de l’Agence nationale de renseignement (NIA), sorte de police politique dont les agents en civil sont partout, traquant toute personne suspectée d’être une menace pour le régime. Opposants, militants des droits de l’homme et journalistes sont régulièrement arrêtés, torturés, voire tués dans le plus grand secret.
« Jammeh a tendance à relâcher un peu son emprise durant les périodes électorales. Mais nous craignons que la répression se durcisse dans quelques semaines, après l’élection présidentielle, une fois que les projecteurs ne seront plus braqués sur la Gambie », explique Marta Colomer Aguilera, analyste à Amnesty International. Tous ceux qui auront manifesté trop vigoureusement leur opposition au régime pourraient alors le payer très cher.
Source : jeuneafrique