C’est le nom que personne n’évoque : une Française est toujours aux mains des groupes jihadistes dans le nord du Mali. Son sort n’est quasiment jamais mentionné alors que la France s’active pour renforcer la présence militaire régionale au Sahel.
Avez-vous entendu parler de la menace jihadiste au Sahel ? Mais savez-vous qui est Sophie Pétronin ? Alors qu’un sommet était organisé ce mercredi pour accélérer la mise en place du G5 Sahel, cette force régionale censée à terme permettre à la France de se désengager d’une vaste zone où les jihadistes maintiennent leur pouvoir de nuisance, le nom de Sophie Pétronin aura été une fois de plus ignoré.
Cette Française de 72 ans est pourtant l’une des six victimes occidentales encore aux mains des groupes jihadistes. Installée depuis de longues années au Mali où elle gérait un centre de soins pour les enfants, Sophie Pétronin a été enlevée en plein jour à Gao dans le nord du Mali, la veille de Noël 2016. Il y a donc presqu’un an, un temps très long pour ses proches qui ont aujourd’hui le sentiment d’être complètement abandonnés par les autorités françaises.
A plusieurs reprises, Sébastien, le fils de Sophie, installé dans le sud de l’Ardèche, s’est rendu au Mali. De sa propre initiative, «incapable de rester les bras croisés sans rien faire, alors que vu l’âge de ma mère, je n’ai pas la liberté d’attendre», rappelle-t-il, joint ce mercredi au téléphone parLibération. Des contacts ont bien sûr été établis, notamment au Quai d’Orsay, où Jean-Yves Le Drian l’a reçu en tête-à-tête il y a un mois. Le fils de l’otage a aussi pu bénéficier de la logistique de Barkhane, le dispositif militaire français dans le Sahel, dont la principale base se trouve justement à Gao. Sébastien y était encore fin novembre afin de poursuivre une enquête qui semble s’enliser, malgré l’ouverture d’une information judiciaire à Paris, comme c’est le cas automatiquement à chaque fois qu’un ressortissant français est pris en otage.
«Ce sont des terroristes, des voyous, des assassins»
«A Gao, les militaires français nous ont protégés, avec interdiction même de quitter la base. Mais j’ai eu aussi le sentiment désagréable d’être pris pour un fanfaron, qui n’était pas forcément le bienvenu», confie Sébastien, désormais convaincu à travers ses contacts sur place que «la France ne tente rien». «Il n’y a pas d’intermédiaire officieux, pas de négociations secrètes», affirme-t-il. «En tant que fils d’otage, moi je trouve évidemment scandaleux de laisser une ressortissante française dans les griffes des jihadistes sans rien faire. Mais si c’est le choix de l’Etat français de ne pas discuter avec eux et de mener cette guerre sans se soucier d’elle, alors il faut que Macron le dise ouvertement», souligne-t-il encore. A Paris, ses interlocuteurs lui opposeraient souvent, selon lui, «le secret-défense»,pour justifier leur silence.
En réalité, le nom de Sophie Pétronin a bien été évoqué par le président français depuis son élection. Une seule fois, sans qu’il en ait choisi le timing. C’était au moment d’un autre sommet du G5 Sahel : à Bamako, capitale du Mali, début juillet, lors du lancement de ce dispositif militaire ambitieux. Très opportunément, les ravisseurs avaient alors transmis une vidéo exhibant les six otages occidentaux encore détenus au Sahel. Parmi eux, Sophie Pétronin, vêtue d’un chèche kaki, apparaît brièvement et interpelle Emmanuel Macron sur ces négociations au point mort. Visiblement la concomitance de la réunion de Bamako et de la diffusion de cette vidéo avait quelque peu agacé le président français, invité à réagir devant la presse présente sur place.
Tout en soulignant l’importance de cette «première trace de vie», concernant Sophie Pétronin, Macron avait fustigé sans détour les ravisseurs : «Ils ne sont rien. Ce sont des terroristes, des voyous, des assassins», avait-il alors martelé, promettant de «les éradiquer». Avant de refuser lui aussi de s’exprimer sur d’éventuelles négociations : «La meilleure façon de protéger notre otage comme nos intérêts, c’est de ne donner aucun détail en la matière», avait conclu le président français. Pas de quoi rassurer la famille, qui n’avait même pas été informée de l’existence de cette vidéo avant qu’elle ne soit rendue publique. «En fait, Macron a insulté les ravisseurs. Est-ce qu’il aurait tenu les mêmes propos si c’était sa mère qui était retenue prisonnière ?» s’interroge Sébastien.
«Le centre du pays contaminé» par l’emprise jihadiste
Dans ce Sahel complexe, où il compte bien se rendre à nouveau prochainement, la situation ne pousse, hélas, guère à l’optimisme. A commencer par le Mali, l’épicentre des menaces, là où tout a basculé en 2012, lorsque les forces jihadistes avaient pris le contrôle de la partie septentrionale de cet immense pays, deux fois plus vaste que la France.
«Près de quatre ans après l’intervention française, qui était nécessaire, il faut bien admettre que non seulement rien n’est réglé, mais le mal a fait tache d’huile. Non seulement, de vastes régions du Nord restent sous l’emprise de groupes jihadistes, mais désormais le centre du pays a été contaminé», soupire depuis Bamako, un insider, bon connaisseur de la vie politique locale. «Aujourd’hui, l’administration est totalement absente dans d’innombrables localités, où la population fait appel aux jihadistes pour régler les contentieux sur les dettes ou le vol de bétail», poursuit-il, déplorant «l’échec complet du président Ibrahim Boubacar Keïta, totalement décalé par rapport aux réalités du pays».
Les chiffres sont d’ailleurs éloquents : en 2017, 672 victimes, civils et militaires confondus. Contre 111 en 2013 et 287 l’année suivante, au début de la crise. Le 16 novembre, le juge Soungalo Koné a été enlevé à Niono par des jihadistes qui l’ont également montré sur une vidéo diffusée deux semaines plus tard. Or Niono n’est qu’à 300 kilomètres au nord de la capitale malienne.
Finalement, ce n’est peut-être pas seulement Sophie Pétronin, qui reste invisible aux yeux de l’opinion publique française. C’est aussi l’ampleur réelle de cette menace jihadiste qui exigera bien plus qu’une réponse uniquement militaire pour être «éradiquée».
Maria Malagardis
Le Figaro
Source: Le Républicain