Sous le soleil d’Abou Dhabi, un étrange véhicule attire les regards. Avec ses six roues motrices tout-terrain et ses deux portes avant ouvertes qui laissent entrevoir un cockpit à la pointe de la technologie, l’engin a des allures d’insecte des sables. Autour de ce dangereux scarabée doré, équipé de deux mitrailleuses légères, l’étrange ballet du commerce d’armement bat son plein.
Des représentants de Renault Trucks Defense vantent les mérites de leur coléoptère géant. Des militaires en treillis insistent sur l’intérêt de son camouflage en zone désertique. Quelques Français en costume se sont quant à eux réfugiés un peu plus loin, sous la protection climatisée du hall d’exposition, où lance-roquettes chinois, blindés biélorusses et fusils d’assaut américains se disputent la vedette.
En cette fin du mois de février 2015, Jean-Yves Le Drian a fait le déplacement. Pour le ministre de la Défense de François Hollande, l’International Defence Exhibition & Conference (Idex), le plus important salon d’armement du Moyen-Orient, est un rendez-vous à ne pas manquer.
Lorsqu’il débarque à Abou Dhabi, le patron de la sixième armée du monde (300 000 hommes environ) a une nouvelle fois mis le paquet : le pavillon tricolore est le deuxième le plus imposant chez les Européens (derrière l’Allemagne mais devant le Royaume-Uni).
Le Drian père… et fils
Des légionnaires du 2e régiment étranger de parachutistes ont été réquisitionnés pour faire la démonstration de leur équipement. Jean-Yves Le Drian a endossé ses habits de représentant de commerce. Tout sourire, il se comporte à Abou Dhabi, où il se rend déjà pour la neuvième fois en tant que ministre, comme s’il était chez lui, sur un marché de Bretagne. Poignées de mains et tapes dans le dos, l’ancien édile sait y faire. Quelques pas derrière : un jeune homme discret, qui n’a que 31 ans.
Fine moustache et barbe de quelques jours, Thomas Le Drian détonne un peu dans cet aréopage d’industriels plus âgés, de militaires à la retraite et d’acheteurs émiratis. Peu le connaissent. Officiellement, il n’exerce aucune fonction auprès de son père.
Diplômé de l’Institut supérieur de commerce de Paris en 2008, il a certes été contrôleur de gestion chez le fleuron français du transport maritime CMA-CGM pendant un an, de juin 2006 à juin 2007, mais il a ensuite poursuivi sa carrière comme consultant chez KPMG Advisory (janvier 2008-décembre 2012), avant de devenir conseiller de Jean-Pierre Jouyet, avocat et haut fonctionnaire proche de son père et intime de François Hollande, à la direction générale de la puissante Caisse des dépôts et consignations (CDC).
LE MINISTRE FRANÇAIS A-T-IL SAISI L’OCCASION D’UNE VISITE AUX ÉMIRATS POUR FAIRE PROFITER SON FILS DE SON CARNET D’ADRESSES ?
À la CDC, il s’est alors orienté vers l’immobilier, au sein de la Société nationale immobilière (SNI, devenue CDC Habitat en 2018). Quand il arpente les allées de l’Idex d’Abou Dhabi, Thomas Le Drian est directeur de cabinet du président du directoire de la SNI, André Yché.
Ce dernier a été directeur adjoint du cabinet d’Alain Richard, ancien ministre de la Défense du président Jacques Chirac, mais la présence du fils de Jean-Yves Le Drian à Abou Dhabi n’a malgré tout rien à voir avec la SNI, qui s’occupe de la politique de logement social de l’État français. « On savait que Thomas avait un poste officiel dans l’immobilier, mais aussi un rôle officieux dans les affaires, où le carnet d’adresses de son père était essentiel », se souvient un participant français de l’Idex.