Le fleuve Niger est menacé de disparition. Au cœur des facteurs entrainant sa dégradation se situe essentiellement l’activité humaine. En plus des dispositifs pris par l’État, la sauvegarde de ce patrimoine passe avant tout par le changement de comportement de tous. A l’heure actuelle, il est primordial de fédérer les efforts pour léguer ce fleuve en héritage aux générations futures.
« La pêche n’est plus comme avant. Les quantités de poisson pêchées auparavant par une seule personne sont comparables de nos jours à celles de tous les pêcheurs de notre berge », déplore Madou Kanté, l’un des anciens de la berge de Bozola. Le constat est amer. D’année en année, les choses vont de mal en pis. Au niveau de la berge de Bozola, on n’entend plus qu’un seul refrain : « l’année passée était meilleure que cette année ». « Aujourd’hui, avec la pêche, je ne gagne que 2000 ou 1500 francs CFA par jour, contrairement au passé, où je pouvais vendre pour 10 000 francs de poisson quotidiennement. Et nos filets sont plus souvent remplis de déchets que de poissons », nous a confié l’un des jeunes de la berge.
Avec l’augmentation du volume de la population, ainsi que l’insuffisance des dépôts d’ordures, par le biais des fosses en plein air, tous les déchets se retrouvent dans le fleuve Niger. Ces ordures, une fois immergées, vont boucher tous les trous ou les espaces adéquats pour la reproduction des poissons. Il y a de quoi s’inquiéter. Si nous ne changeons pas de méthodes, vu la manière dont les choses évoluent, le fleuve est appelé à disparaître. Alerte ! Il n’est quasiment plus possible de naviguer en pirogue de Bamako ou de la frontière de la Guinée à Gao : il n’y a plus d’eau. « Qu’est-ce que nous allons laisser comme héritage à nos petits-fils, à moins de construire des puits. Dieu nous garde! », s’inquiète le chef adjoint de la berge de Bozola. Mais comment en est-on arrivé là ?
Eaux usées polluantes Si le fleuve Niger est aujourd’hui dans cette situation que tout le monde déplore, les causes sont diverses et essentiellement liées à l’activité humaine. « Les eaux usées sont principalement d’origines domestiques, industrielles, agricoles artisanales et hospitalières. Elles sont déversées dans le fleuve au niveau des centres riverains sans traitement préalable. Celles des unités industrielles et des teintureries rejetées dans le fleuve sont chargées de polluants chimiques et de polluants organiques », explique le Dr Ibrahima Traoré, environnementaliste. A l’en croire, les eaux usées provenant de réseaux de drainage des eaux pluviales sont quant à elles contaminées par divers microorganismes pathogènes, car ces réseaux, datant pour certains de la période coloniale, sont utilisés à d’autres fins, comme l’évacuation des eaux usées domestiques et artisanales, des boues de vidange et des dépôts des déchets solides. Par ailleurs, « le fleuve reçoit également, à travers certaines activités anthropiques, des substances souvent toxiques et directement rejetées. Celles qui sont emportées dans l’atmosphère retombent au cours des précipitations. Les polluants présents dans le sol se déversent par ruissellement ou par infiltration », ajoute-t-il. A ces causes liées à la pollution du fleuve s’ajoutent, non seulement les effets du changement climatique, mais aussi d’autres facteurs, comme entre autres les activités de dragage, l’apparition de plantes aquatiques nuisibles dans le fleuve, l’extraction excessive de sable et de gravier.
Des maladies « hydriques » La dégradation du fleuve Niger entraine aussi un impact considérable sur la survie même du fleuve mais aussi sur la vie des populations riveraines. « Auparavant, au cours de la pêche, nous buvions l’eau du fleuve. Récemment, nous avons compris que ne pouvions plus boire cette eau. Nous sommes obligés d’emporter de l’eau avec nous durant la pêche, suite aux mauvaises pratiques des industriels », déclare Issa Niaré, chef adjoint de la berge de Bozola, responsable de la protection du fleuve et de l’amélioration des techniques de pêche. « La plupart de nos poissons, nous les trouvons déjà morts. Les dragues et autres sites miniers sont en trainde les tuer tous », ajoute un autre pêcheur. L’impact se ressent également sur les plans de la santé et l’environnement. D’une part, selon Dr Ibrahima Traoré qui s’appuie sur certaines études, la plupart des maladies en Afrique intertropicale ont un lien étroit avec l’insuffisance d’assainissement et la plupart des personnes affectées par les maladies ou décédées le sont suite à une maladie d’origine hydrique ou associée à un vecteur hydrique. Notre pays, le Mali, ne fait pas exception. « Les pathologies les plus fréquemment rapportées chez l’homme sont le paludisme, la typhoïde, les hépatites, les dermatoses, les maladies gastro-intestinales, etc. » indique t-il. D’autre part, « la pollution de l’eau du fleuve entraine la destruction des frayères, le colmatage du lit des cours d’eau, menace la survie des poissons, crée une perte de la biodiversité au sein de l’écosystème aquatique et la diminution des micro-organismes épurateurs, etc. », souligne l’environnementaliste.
De nombreuses initiatives Des organisations de la société civile s’activent pour mener des actions de sauvegarde du fleuve Niger. Parmi celles-ci, « l’Association Sauvons le Fleuve Niger » (ASFN) composée de juristes et d’environnementalistes, a été créée le 1er novembre 2016. Son objectif est de contribuer à l’amélioration des conditions de vie de la population riveraine, au désensablement du fleuve Niger ainsi qu’à l’assainissement et à la protection de l’environnement. Consciente de la gravité de la situation du fleuve, l’ASFN a mené et fait mener des études de faisabilité sur les impacts environnementaux, au cours desquelles elle a enregistré plus de 247 dragues sur le fleuve. Elle a adressé des lettres aux différents ministères concernés, dont le ministère des Mines et du Pétrole et celui de l’Environnement. « Nous avons été en Europe, à Bruxelles, grâce à nos partenaires financiers et techniques. Nous y avons reçu deux mois de formation accélérée sur les techniques de sauvegarde du fleuve Niger », déclare Thierno Mohamed Balde, Président de l’Association Sauvons le fleuve Niger. L’association ne se limite pas aux constats. Elle propose des pistes de solutions qui sont entre autres de faire une campagne nationale de sensibilisation et de formation de la population riveraine dans sept régions du Mali : Sikasso, Ségou, Koulikoro, le District de Bamako, Mopti, Gao et Tombouctou, d’organiser des colloques dans les coins reculés avec l’appui des radios, d’approcher et de discuter avec les orpailleurs qui sont sur les berges. « Nous, nous n’avons pas besoin de l’argent de l’État, nous avons juste besoin de son accompagnement. Nous comptons recruter 100 jeunes dans toutes les communes de Bamako et ent une semaine, nous pouvons désensabler l’ensemble du fleuve dans le district », promet Thierno Mohamed Balde.
Avec la même vision, un collectif dénommée « Save Fleuve Niger » a été créé suite au lancement en mars dernier d’un hashtag du même nom. Une pétition adressée au ministère de l’Environnement lancée par le collectif a récolté plus de 4 554 signatures. « La solution la plus pratique que nous proposons autour du bassin du fleuve Niger, c’est que nos gouvernants le régulent par secteur géographique. Ce n’est pas partout qu’on fait du désensablement. On le fait là où il y en a besoin. Par exemple, il ne faut pas désensabler là où il y a besoin de drainer », indique Dia Sacko, porte-parole du Collectif Save Fleuve Niger.
Parmi les pistes de solutions, l’État, à travers à travers l’Agence du Bassin du Fleuve Niger (ABFN), est en train de mener des actions pour la sauvegarde du fleuve Niger. Sur le plan de la communication, des films documentaires sur la problématique du fleuve liée à l’orpaillage, à l’ensablement et à la prolifération des plantes aquatiques ont été réalisés par cette structure. « De 2016 à nos jours, nous avons organisé treize ateliers de renforcement des capacités des acteurs qui ont ciblé plus de 587 acteurs locaux et 238 communes, sur la thématique générale de la sauvegarde du fleuve Niger », conclut Moussa Diamoye, Directeur général adjoint de l’ABFN.
Journal du mali