Les sanctions de la CEDEAO sont bien là, dont la seule annonce a suffi aux prix pour prendre l’ascenseur. La situation, en près d’un mois de l’effectivité de ces mesures, confine parfois au cocasse, sur fond d’épreuves réelles des populations.
Mme A. est aujourd’hui grand-mère, mais surtout belle-mère heureuse. Et elle éprouve bien du plaisir à ‘’réquisitionner’’, au moins une fois par mois ou par quinzaine, le pick-up de son fils pour parcourir la campagne alentour de Bamako afin d’acheter des sacs de charbon qu’elle revient partager rentre ses brus, les épouses de ses fils. À l’occasion, elle en distribue dans le voisinage. C’est sa façon à elle de s’occuper et de se rendre utile.
Pourtant ce vendredi, Mme A. s’en étouffe presque : que n’a été sa surprise quand, il y a une semaine, s’étant rendue comme à l’accoutumée dans un des villages environnants, ses fournisseurs habituels lui assurèrent un prix unitaire du sac de charbon qui est passé du simple au double ou presque. Motif : les sanctions de la CEDEAO.
Effets pervers
d’entraînement
De fait, le prix unitaire du sac de charbon de bois à la production est passé de 1.750 Fcfa, 2.000 Fcfa à pratiquement 4.000 Fcfa. Normalement rendu à Bamako entre 5.000 et 6.000 Fcfa selon la taille, mais surtout la saison (avec une hausse en hivernage), les revendeurs vivent un véritable cauchemar pour convaincre les clientes en colère d’accepter une hausse que rien ne justifie. La situation est d’autant plus absurde que ni le bois coupé encore moins la terre utilisée pour recouvrir les bûches et produire le charbon ne franchissent les frontières. Les seules allumettes, bien souvent produites et importées d’ailleurs frauduleusement depuis la faillite de la production locale, grattées pour allumer le bûcher ne sauraient expliquer une telle surenchère.
Toutes les denrées de base, bien souvent produites et consommées localement, ont connu une hausse des prix à la consommation. Les échalotes du plateau dogon et du Kénédougou toisent les sommets, passant de 500 Fcfa à 700 voire 1000 Fcfa le kg sur certains marchés de quartier. De même, le kilo des différentes variétés de mil et le maïs a atteint 325 Fcfa et 400 Fcfa pour la dernière céréale.
L’anecdote du charbon de bois est révélatrice des effets pervers et surtout de l’absurdité de la situation actuelle. La seule annonce des sanctions a suffi à décupler les ardeurs spéculatives du marché de la consommation, avec un effet d’entraînement sur les prix des produits locaux.
L’imposition de mesures restrictives spécifie pourtant bien l’exclusion d’une palette assez large de produits, de préférence de consommation ou sanitaire en tout cas ayant de potentiels impacts sur le quotidien des populations. Cependant, en dehors pour l’heure des officines pharmaceutiques, les sanctions sont en train de s’insinuer dans les mœurs des rapports de consommation. L’appréhension d’une éventuelle pénurie est certes un des instruments classiques de mesure des tensions inflationnistes, mais la pratique en la matière au Mali n’a guère attendu l’effectivité du bras de fer avec la CEDEAO et le reste de la communauté internationale pour s’inviter sur le marché malien de la consommation.
Les autorités en
déphasage
Et pour cause, les autorités maliennes n’ont certainement pas manqué d’un certain humour tragi-comique en décidant de produire de façon péremptoire une liste de prix de produits comme seuil plafond à l’achat à la consommation, avec à la clé un encouragement à la délation comme mesure de prophylaxie sociale hautement patriotique en ces périodes d’euphorie. Car, pour le citoyen lambda, ces prix fixés par le gouvernement du Colonel Assimi Goïta étaient totalement décalés par rapport à ceux courants déjà pratiqués depuis des lustres. Il en a résulté, avec les sanctions de la CEDEAO infligées au pays, que les prix ont pris une envolée inquiétante concernant surtout les produits de grande consommation. C’est le cas notamment pour le prix du sucre qui était cédé entre 600 et 700 Fcfa le kilo. Il en va de même pour l’huile, la qualité de riz importé indiquée dans la liste des autorités, etc.
Les prix indicatifs, présentés par le gouvernement, comme mesures pour contenir les effets induits des sanctions, puisque largement en dessous de la réalité des prix pratiqués sur le marché de la consommation, ne pouvaient nullement être suivis comme tels, pour constituer une quelconque solution sérieuse. D’après les avis d’experts en la matière, les choses ne se marchent pas ainsi en économie ; en ce sens que dès qu’une série de sanctions est en jeu, l’envolée des prix est aussi inévitable et aucune décision ni autorité ne peut l’enrayer.
En dépit des descentes, savamment mises en scène et abondamment médiatisées dans certaines boutiques de détails avec parfois pose de scellés, les autorités actuelles n’ont en réalité aucune prise sur les tensions inflationnistes du marché, nées et aggravées par les sanctions de la CEDEAO, mais inéluctables depuis l’avènement de la junte. Les incertitudes de la gouvernance ont davantage renforcé un certain relâchement de l’autorité de l’État, avec de surcroît les pressions et les prééminences inopportunes accordées par distribution des nouvelles amitiés nouées au Camp Soundjata.
Bien avant les atermoiements d’incrustation au pouvoir et les sanctions subodorées inévitables, l’opinion avait conclu que les nouvelles autorités issues du pronunciamiento du 18 août 2020 étaient celles de la flambée des prix.
En dépit de la multiplication des sorties des différents ministres du commerce et celles inopportunes et parfois maladroites du Directeur général du commerce et de la concurrence, la tendance à la hausse des prix à la consommation a toujours été une constante, comme conséquence de l’instauration de la gouvernance exceptionnelle.
Déjà, la chronique avait attiré l’attention, il y a presque une année, sur le paradoxe de la viande de bœuf. En Côte d’Ivoire, le prix de la viande du bœuf, nourri, élevé puis importé depuis le Mali, est fixé à 1.500 Fcfa le kilo avec os et à 2.000 Fcfa le kilo sans os. Mais à Bamako et dans nombre d’autres localités du Mali, la viande de ce même bœuf non importé, élevé sur place, était jusque-là acquise, du moins depuis l’avènement de la junte, en raison de 3.000 Fcfa le kilo de la viande avec os et 4.000 Fcfa sans os. Et depuis le 9 janvier, la CEDEAO a le dos assez large pour assumer la nouvelle hausse du prix de la viande, passé respectivement à 3.750 Fcfa et 4.500 Fcfa avec un accent particulier pour le filet pour lequel il faut débourser jusqu’à parfois 6.000 Fcfa sur le marché du détail des quartiers de Sénou et de Banankoroni, à l’entrée sud de la capitale.
Les opérateurs de la filière bovine mettent toujours en avant le coût de l’aliment bétail, en dépit des exonérations multiples accordées par le gouvernement, et ce depuis déjà les mesures Covid19 décidées par le défunt Président IBK courant premier semestre 2020.
Rétention spéculative et impréparation
Aussi, le défilé de professions de foi patriotique et faussement contrit des principaux opérateurs économiques, devant le ministre des Finances et son homologue du commerce, paraît-il quelque peu assez ironique et indique surtout l’impréparation des pouvoirs publics : l’analyse des tendances des prix, permet de savoir que les gros opérateurs avaient depuis longtemps anticipé la situation actuelle. D’où les pratiques de rétention auxquelles se livrent actuellement les gros importateurs, notamment des filières alimentaires et surtout des céréales, dénoncées par des revendeurs et semi-grossistes, comme le constat en a été fait par certains observateurs sur le marché de Diafarana-soukouni, en Commune IV du District.
L’ancien ministre du Commerce de ATT n’est pas sans savoir l’incongruité de la hausse quasi simultanée des prix à l’annonce des sanctions. Et pour cause, Choguel Kokalla Maïga n’ignore pas qu’il existe en permanence de trois à six mois de consommation nationale en produits de première nécessité en stocks dans les magasins, dont les modalités d’injection sur le marché régulent les tensions des prix à la consommation. Si bien que les mises en scène, au demeurant aussi spectaculaires que fort distrayantes de répressions de pauvres détaillants, participent de l’instrumentalisation. L’ancien ministre du Commerce, aujourd’hui Premier ministre, se souvient sans doute de ses propos, tenus en 2005, au plus fort de la crise céréale artificielle créée par certains opérateurs : « On ne peut pas mettre un gendarme derrière chaque boutiquier », avait-il alors assuré face à la pression exercée sur lui par divers groupes, dont la puissante UNTM. Sanctionner les gros importateurs, les vrais spéculateurs, au lieu de s’en prendre aux lampistes, suffirait déjà amplement.
Correspondance particulière
Source : Info-Matin