Malgré les effets de la crise, certaines institutions de recherche comme le Malaria Research and Training Center qui s’est imposé en matière de recherche sur le paludisme, continuent de bénéficier de la confiance des partenaires et donc de financements extérieurs
« En matière de recherche scientifique, les règles établies sont claires : ou vous êtes performants, et on vous finance, ou vous n’êtes pas bons, et on ne vous donne pas un sou ». Cette confidence, s’il en une, nous a été faite, il y a deux ans, par un chercheur malien de renom en matière de médecine. Le constat est et restera toujours d’actualité. Comme pour confirmer que les médiocres n’ont pas droit de cité dans la recherche. Il est vrai que ce message a du mal à passer auprès de certains chercheurs qui, malgré leurs compétences, n’arrivent pas à avoir un financement pour poursuivre leurs recherches. Ceux-ci font remarquer que même pour des équipes compétitives, le financement des protocoles de recherche reste un casse-tête. Eux, nourrissent peu espoir de voir la tendance s’inverser, sans une réelle politique nationale d’incitation au financement de la recherche. Ils n’ont pas totalement tort car partout dans le monde, à commencer par les pays les plus riches, la recherche est essentiellement financée sur les fonds publics. Il se trouve que dans la situation de fragilité dans laquelle se trouve notre pays, l’Etat n’a pas les moyens de répondre aux attentes des chercheurs en termes d’accès au financement. De fait, nos programmes et institutions de recherche fonctionnent à deux vitesses. Il y a d’un côté, ceux qui sont considérés comme les meilleurs et qui continuent, malgré les effets de la crise de tourner à plein régime avec des financements extérieurs. Et puis les autres. Depuis quelques années, le Malaria Research and Training Center (MRTC) s’est imposé en matière de recherche sur le paludisme, une maladie qui continue de faire des ravages en Afrique. Le centre est dirigé par le prestigieux parasitologue, le professeur Ogobara Doumbo, dont le programme de recherche sur le paludisme, fait autorité à l’échelle planétaire.
UNE PROUESSE UNIQUE EN AFRIQUE. Le chercheur a fait la preuve de ses compétences par la qualité de ses publications scientifiques et autres travaux de recherche sur les candidats vaccins contre le paludisme. Les évidences scientifiques établies par le grand maître et son équipe du MRTC font que le programme jouit de l’estime et du respect des grands du monde scientifique. Même le Pr Harold Varmus, lauréat du prix Nobel de médecine en 1989, a rendu un bel hommage à l’équipe scientifique du MRTC pour son leadership dans la recherche sur le paludisme. Pour se convaincre que cette appréciation n’a rien de complaisant, il suffit de voir la cote du MRTC en Hfacter (une grille de notation des équipes de recherche) et d’apprécier le volume de ses publications dans « Pubmed » et « ResearchGate » (des bases de données de la recherche). L’équipe du MRTC fait 40 à 50 publications par an, dans des grandes revues scientifiques. Aucune autre équipe scientifique africaine ne peut se prévaloir d’une telle prouesse scientifique. La capacité du programme repose sur l’expertise scientifique, l’esprit d’équipe et le savoir faire managérial. Contrairement à d’autres structures de recherche, le MRTC ne souffre nullement de problème de financement des protocoles de recherche. Bien au contraire, les partenaires du programme se bousculent pour financer lesdits protocoles. La solidité scientifique du centre transparait dans ses « grands projets » de recherche. Ces grands projets bénéficient, chacun, d’un « grant » (subvention) d’au moins un million de dollars, soit environ 500 millions de Fcfa. Le MRTC peut compter sur plusieurs partenaires stratégiques : les Instituts américains de la santé (NIH), le FDI (un partenaire américain), la Fondation Bill Gates, des partenaires britanniques, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la Fondation Mérieux, pour ne citer que ceux-ci. Le Pr Ogobara Doumbo explique que la recherche est basée sur des évidences scientifiques. Celles-ci permettent de changer les stratégies dans la lutte contre les maladies. A ce propos, une étude du programme a prouvé une résistance du paludisme à la chloroquine. Ces évidences (des preuves incontestables) ont conduit l’OMS à revoir l’arsenal thérapeutique contre le paludisme ; en remplaçant ce médicament par la combinaison thérapeutique à base d’artémisinine (CTA), dans la prise en charge du paludisme. Un autre changement de stratégie est l’introduction de la sulfadoxine pyriméthamine (SP), à trois doses, reconnue efficace dans la prévention du paludisme chez les femmes enceintes. Quelles sont les recettes des avancées de MRTC ? En réponse à cette question, le Pr Doumbo insiste sur la nécessité d’avoir une équipe scientifiquement solide pour être compétitive. A ce propos, il faut inscrire la formation en bonne place. Notre interlocuteur souligne que dans les ressources humaines, le MRTC est à 5è génération de master et PhD. « Or, une formation en master nous coûte, en deux ans, 24 000 euros, soit plus de 15,7 millions de Fcfa. La formation d’un PhD revient au programme à 30 000 euros, soit un peu plus de 19,6 millions de Fcfa pour quatre ans ». Devoir de reconnaissance oblige, le Pr Ogobara Doumbo rend hommage aux autorités pour l’intérêt porté à la recherche. Tous les PhD que nous formons ont été recrutés dans l’enseignement supérieur explique-t-il. Le MRTC dispose de 10 sites d’essais et d’études cliniques. Leur fonctionnement coûte au minimum un million de Fcfa par jour. Ces unités de recherche créent aussi de l’emploi dans leurs zones d’intervention. Au-delà du MRTC, d’autres programmes ont développé des capacités et ne souffrent pas du problème de l’accès aux financements. Parmi eux, il y a le Centre pour le développement des vaccins (CVD-Mali). Cette unité de recherche aussi a donné la preuve de son utilité par la qualité de ses travaux, notamment les essais vaccinaux. Elle a conseillé et orienté les décideurs dans l’introduction de certains antigènes dans le Programme élargi de vaccination (PEV) de routine. Notre interlocuteur est d’avis que le CVD-Mali développe une réelle expertise. Il a même fait une publication dans la célèbre revue scientifique « New EngIand Journal », après le MRTC (qui possède à son actif trois publications dans cette revue).
PAS DE COMPLAISANCE. Le Serefo (témoignage en bamanan), est un programme en charge de la recherche sur le sida et la tuberculose. Lui aussi, jouit d’une bonne réputation auprès des partenaires financiers de la recherche. Il y a également le Centre de recherche et de lutte contre la drépanocytose (CRDL), logé à la même enseigne que CVD et Serefo. Il donne des résultats probants dans la prise en charge de cette maladie génétique. L’Institut de recherche en santé publique (INRSP) entend aussi boxer dans la catégorie de ces grands à l’échelle nationale. Il se consolide dans la perspective de la compétitivité internationale. Le directeur général de l’établissement, Pr Mamadou Souncalo Troaré relève que les partenaires ne sont pas complaisants et que le partenariat est d’abord individuel parce qu’il part de relations personnelles et de confiance entre des individus. Dans cette vision, notre pays garde une longueur d’avance sur nombre de ses voisins. Nos chercheurs continuent de marquer des points auprès des partenaires. Le Pr Traoré, souligne la nécessité de s’imposer d’abord par la qualité de ses travaux, notamment les publications pour mieux se vendre. Cela est une source de crédibilité. A en croire notre chercheur de l’INRSP, une autre condition de facilitation de financement est d’avoir des protocoles scientifiquement solides. Mais tout cela doit être sous-tendu par un intérêt scientifique partagé par les partenaires. Il note aussi que la recherche est confrontée à la rigidité des contrôleurs financiers lorsqu’il s’agit des motivations des chercheurs. Il espère qu’avec les nouveaux textes, dont l’élaboration est en cours, ces difficultés vont être rapidement aplanies. Souncalo Troaré pointe du doigt une autre difficulté qu’est l’insuffisance de certaines structures à constituer des équipes compétitives. Selon lui, la nouvelle tendance est de financer des consortiums de chercheurs. L’INRSP exécute actuellement, avec 13 autres partenaires, un protocole de 5 ans sur un financement de l’Union européenne.
B. DOUMBIA
Source : L’ Essor