Coup de bluff destiné à endormir la Cédéao ou réelle volonté de quitter le pouvoir ? En tout cas, la feuille de route rendue publique par le ministère de l’Administration territoriale fait déjà beaucoup jaser. Irréalisable ! Disent certains acteurs politiques. Trop surchargé ! Disent d’autres. Prolonge la durée de la Transition ! Fulmine-t-on encore. Toujours est-il que cette feuille de route, qui se veut un chronogramme pour le retour à l’ordre constitutionnel est loin de faire l’unanimité dans le landerneau politique national.
Quatre mois après la fin réglementaire de la Transition, la junte au pouvoir au Mali tente pourtant de légitimer la prolongation de sa présence aux affaires et en même temps, faire un clin d’œil à la Cédéao dont les chefs d’Etat doivent se réunir le 3 juillet prochain pour discuter, entre autres sujets, du cas du Mali.
Après avoir surpris tout le monde par la publication d’un décret qui fixe la durée de la prolongation de la Transition à 24 mois, à compter de mars 2022, malgré le véto d’acteurs politiques et les tergiversations de partenaires du Mali dont la Cédéao et l’Uémoa, le colonel Assimi Goïta entend convaincre de sa bonne foi à aller jusqu’au bout de ces 24 mois et de respecter cette durée, en faisant publier par le ministre de l’Administration territoriale une feuille de route aux allures de chronogramme de retour à l’ordre constitutionnel. C’est ainsi que, dans la matinée du mardi 28 juin, lors d’une rencontre avec les partis politiques au Centre de formation des Collectivités territoriales à Bamako, le ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, le colonel Abdoulaye Maïga, qui avait à ses côtés le ministre de la Refondation, Ibrahim Ikassa Maïga, et la ministre déléguée auprès du Premier ministre chargée des Réformes politiques et institutionnelles, Fatoumata Sékou Dicko, a révélé le nouveau chronogramme concocté par l’Exécutif.
Si, d’emblée, le référendum constitutionnel est présenté comme le premier scrutin à organiser et devra se tenir au mois de mars 2023, les élections présidentielles, qui doivent mettre un terme à la Transition, ne se tiendront, quant à elles, qu’en février 2024, après les élections locales prévues en juin 2023 (donc trois mois seulement après le référendum) et les élections législatives prévues pour se tenir en novembre 2023, c’est-à-dire tout juste cinq mois après les élections locales.
Pour nombre d’acteurs politiques présents à la rencontre pour écouter la communication du ministre de l’Administration territoriale, cette feuille de route est irréaliste, voire irréalisable. “Ils ont trainé les pieds depuis leur prise du pouvoir et n’ont rien fait de concret à part se laisser entrainer par le Premier ministre Choguel dans du populisme stérile. Maintenant qu’ils sont sous pression et continuent de cacher aux Maliens les méfaits de l’embargo sur l’économie nationale trop affaiblie, ils se lancent dans une fuite en avant et tentent de faire une course contre la montre. C’est bon de ressaisir, mais ce qu’on nous propose est irréalisable dans le temps imparti” lance un chef de parti qui promet de s’exprimer davantage publiquement, pour mieux expliquer son point de vue sur la question.
La plupart de ceux qui doutent de la pertinence de cette feuille de route arguent qu’au vu des expériences électorales au Mali, il est impossible d’organiser au cours de la même année (2023) et dans un intervalle de 9 mois, trois scrutins : le référendum, les élections des collectivités territoriales puis les élections législatives. “On a l’impression que la vie de tous les secteurs d’activité va s’arrêter pour ne s’occuper que d’élections”, ironise à ce sujet un acteur politique.
C’est dire que dès sa publication, cette feuille de route est sujette à beaucoup de critiques et du côté des états-majors politiques on se refuse pour le moment d’y adhérer, puisque conscients que ce n’est pas réalisable et, en plus, l’adopter en tant que tel pourrait provoquer plus tard une situation de blocage, laquelle constituerait un bon justificatif pour prolonger davantage la transition en cours.
De toute façon, avec cette feuille de route, les militaires viennent d’acter leur présence d’une durée totale de quatre ans à la tête du pays. C’est pourquoi, dès la publication de ce chronogramme, des voix se sont élevées pour dénoncer ce fait et répliquer ainsi : “Les militaires n’ont qu’à aller à l’essentiel, c’est-à-dire l’organisation des élections présidentielles et laisser un pouvoir légitime s’occuper du reste”.
Pour un point de vue plus nuancé, on ne doit tenir les élections présidentielles sans passer par la case référendum car le nouveau président doit être élu sur la base de la nouvelle constitution qui est d’ailleurs le socle de son serment. Pour ceux qui défendent cette position, les militaires doivent tout juste s’atteler à organiser et le référendum et les élections présidentielles. Ce qui raccourcirait en même temps la durée de la Transition. Raison pour laquelle, des participants à cette rencontre avec le ministre de l’Administration territoriale sont restés catégoriques : la Transition ne doit plus aller au-delà de 12 mois et c’est suffisant, selon eux, pour tenir le référendum et les élections présidentielles.
Mais n’est-ce pas aussi l’un des vœux secrets de la junte que de peser sur tout le processus électoral, de le contrôler, du référendum jusqu’aux élections présidentielles, pour s’assurer que le naturel chassé n’est pas revenu au galop ? En d’autres termes, s’assurer de la bonne tenue des scrutins qui seront les moins contestables possibles, pour faire oublier les crises post électorales d’un passé récent ? Ça, c’est aussi un vœu largement partagé au sein de la population.
Mais l’on ne réfléchit pas de la même manière lorsqu’on est citoyen simple électeur que lorsqu’on est un acteur politique donc porteur d’un intérêt particulier à la chose politique. En effet, po des acteurs politiques, en faisant précéder les élections présidentielles des élections locales et des législatives, la junte au pouvoir est en mesure d’avoir une cartographie politique du Mali plus précise, avant de passer à l’élection du président de la République. Cette cartographie, à coup sûr, ne sera pas seulement dressée pour être conservée dans les tiroirs.
Tout comme, d’un autre point de vue défendu dans les milieux politiques, si la junte contrôle le processus électoral dans son intégralité, il risque d’y avoir des frustrations car, déjà, le landerneau politique ne parle pas d’une seule voix en ce qui concerne le soutien à apporter aux militaires au pouvoir et des acteurs politiques sont catalogués comme pro ou anti, selon les points de vue qu’ils ont l’habitude d’exprimer.
Et cela peut bien jouer sur la tenue des différents scrutins, si l’on considère que des femmes ou hommes à abattre, politiquement, c’est une réalité.
La question fondamentale est donc : qu’est-ce qui se cache derrière cette feuille de route sortie subitement des officines de la Transition et pour être publiée à seulement cinq jours du sommet des chefs d’Etat de la Cédéao scruté avec beaucoup d’espoir d’une éventuelle levée des sanctions contre le Mali ? La Cédéao, certainement, ne se limitera pas pendre acte de la publication de cette feuille de route car, même si elle l’acceptait comme convenable, tentera quand-même d’obtenir des gages du respect des engagements pour ne pas se retrouver, encore, dans une situation qui imposera un nouveau bras d fer car, comme le dit l’adage : “Celui qui a été mordu par un serpent a peur d’une simple corde”.
Mais puisque les objections formulées çà et là ont été entendues par le gouvernement, tout le monde s’attendait de voir des correctifs apportés à cette feuille à l’occasion du conseil des ministres d’avant-hier, mercredi 29 juin. Mais en lieu et place, c’est le ministre de l’Administration territoriale qui est venu présenter en direct les mêmes propositions faites devant les acteurs politiques. Comme quoi, malgré les craintes, remontrances et doutes, voire du scepticisme en ce qui concerne la réalisation de ladite feuille de route, l’Exécutif de la transition reste de marbre, convaincu, comme le dit le ministre de l’Administration territoriale, que les réformes envisagées porteront les aspirations manifestées par le peuple malien et le président de la Transition, le colonel Assimi Goïta, tient à l’organisation d’élections propres et transparentes. Ce qui sera fait. En tout cas, le temps est le meilleur juge.
Amadou Bamba NIANG
Source: Aujourd’hui-Mali