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Festival international de la liberté de la presse de Ouagadougou : Les médias africains voient l’avenir avec beaucoup d’inquiétudes

A travers pratiquement tout le continent, la presse et les journalistes traversent un sale temps. En matière 
de liberté de presse, l’Afrique connaît une régression d’au moins une dizaine d’années.

C’est une certitude, les crises – qu’elles soient politiques, économiques, sanitaires, humanitaires ou sécuritaires – mettent à rude épreuve les médias et les journalistes.

Les pays du Sahel qui subissent toutes ces crises à la fois illustrent assez bien cet état de fait. Les médias et les journalistes au Burkina Faso, au Mali, au Tchad et au Niger, pour ne citer que ces pays, évoluent dans un environnement sociopolitique et sécuritaire extrêmement difficile, marqué par des restrictions multiformes (assassinats, intimidations, menaces de mort, difficultés à accéder aux sources d’information, etc.).

Et cela s’en ressent au quotidien dans leur travail. C’est dans ce contexte extrêmement difficile que se sont ouverts, hier, à Ouagadougou au Burkina Faso, les travaux de la 10e édition du Festival international de la liberté d’expression et de la presse (Filep) sous le thème «Médias, conflits et cohésion sociale en Afrique».
Cette rencontre, à laquelle participent plus de 200 journalistes issus de toutes les régions du continent, se propose ainsi de traiter, à travers la tenue de plusieurs panels, du rapport entre les médias et les conflits en Afrique subsaharienne qui sont souvent des terreaux fertiles pour les violations et atteintes aux droits humains. «La haine contre les médias et les journalistes est telle que certains vont jusqu’à appeler à les guillotiner. On assiste à des appels incessants aux meurtres de journalistes et de leaders d’opinion.

L’on distribue des bons points aux journalistes dits ”patriotes” et de mauvais points aux journalistes dits ”apatrides”», alerte Inoussa Ouedraogo, le président du comité d’organisation de l’édition 2023 du Filep, qui s’inquiète par ailleurs de la régression qui caractérise la liberté de la presse dans la sous-région et plus largement au niveau du continent. A titre d’exemple, Inoussa Ouedraogo rappelle qu’au Tchad, pays d’Afrique centrale en proie à des crises politiques et sécuritaires, deux journalistes ont été assassinés en 2022 (Orédjé Narcisse en octobre et Evariste Djaï-Loramadji en février).

Il ajoute que le Cameroun, un autre pays d’Afrique centrale, a enregistré, rien que lors du premier semestre de 2023, trois assassinats de journalistes (Martinez Zogo, de son vrai nom Arsène Salomon Mbani Zogo en janvier 2023, Jean-Jacques Ola Bede en février 2023 et Anye Nde Nsoh en mai 2023). Depuis 2020, poursuit-il, quatre journalistes sont en détention dans ce même pays. A côté de ces pays en crise, le Sénégal, qui est souvent cité comme un exemple à suivre en matière de liberté, dégringole aussi de 31 places dans le classement 2023 de Reporters sans frontières (RSF). Il occupe, en 2023, le 104e rang, alors qu’en 2022, il était classé 73e.
A travers pratiquement tout le continent, la presse et les journalistes traversent effectivement un sale temps. En matière de liberté de presse, l’Afrique connaît une régression au moins d’une dizaine d’années. Les acquis engrangés dans la foulée des ouvertures démocratiques initiées par nombre de pays durant la dernière décennie commencent, selon de nombreux confrères du Sahel, à être remis en cause un à un.

«Caisse de résonance»

«En raison des pressions politiques et économiques qu’ils subissent, les médias ont beaucoup perdu de leur qualité. Beaucoup ne sont plus que des caisses de résonance du discours des pouvoirs en place. Lorsque vous avez lu un journal, vous avez pratiquement lu toute la presse tant tout le monde rapporte les mêmes éléments. A la longue, cela devient ridicule. Le débat critique n’est plus toléré. La peur est telle que les journalistes s’interdisent même aujourd’hui de faire des articles d’analyse. Du jamais-vu ! Certains nouveaux dirigeants africains ne comprennent pas qu’en bâillonnant la presse, ils ne font, en réalité, rien d’autre que de scier la branche sur laquelle ils sont assis», se désole Makane A., journaliste dans un quotidien malien. Notre interlocuteur explique encore que «la volonté de renforcement de la souveraineté des Etats ne doit pas servir de prétexte pour faire taire la presse». Les crises politiques et sécuritaires ne concernent pas que le Sahel. Elles touchent également d’autres régions d’Afrique.

La République démocratique du Congo (RDC) avec le conflit du Nord-Kivu, le Nigeria avec Boko Haram, le Mozambique avec L’État islamique, l’Éthiopie avec la rébellion du Tigré, le Soudan qui est ravagé par une guerre entre deux factions rivales de l’armée sont autant de foyers de tensions et de conflits qui affectent les médias et les journalistes. «La multiplication de crises sur le continent tend à fragiliser les fondements du vivre-ensemble, comme on le voit avec l’extrémisme violent au Burkina Faso, au Mali, au Niger, au Nigeria, au Cameroun, etc. Il nous a donc semblé opportun de mettre en perspective le rôle des médias dans la construction, le maintien, la consolidation de la cohésion sociale et de la paix. La problématique est d’autant cruciale que dans certains contextes, on observe des velléités d’instrumentalisation des populations par l’entremise de médias et de journalistes, mais aussi des comportements tendant à mettre dos à dos populations et journalistes.

Pour masquer l’échec des politiques à faire face aux crises, les médias et les journalistes sont accusés d’attiser les conflits. Ce qui est bien évidemment faux», explique Ousmane B. du comité d’organisation du Filep. Depuis le lancement du Filep en 2000, précise-t-il, de nombreuses thématiques en lien avec les médias et les journalistes ont été questionnées et ont permis de mettre en lumière des problèmes majeurs qui minent le développement des médias du continent.

Cette 10e édition étalée sur 5 jours est ainsi l’occasion, soutient-il, «de partager et de capitaliser des expériences, de prendre des résolutions et de les soutenir, de dénoncer les violations des droits des journalistes et d’interpeller les décideurs et les populations sur la nécessité de défendre la liberté d’expression et de la presse consacrées par les conventions internationales». Il avertira que l’Afrique du XXIe siècle, sans une presse libre et professionnelle, risque d’être bien sinistre.
Ouagadougou (Burkina Faso)
De notre envoyé spécial  Zine Cherfaoui

elwatan-dz

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