Il est devenu monnaie courante chez nous, malgré qu’il ne soit pas encore dans tous les dictionnaires. Il s’agit du mot féminicide. A l’exception du Petit Robert, dans lequel il est définit : “Meurtre d’une ou plusieurs femmes ou filles en raison de leur condition féminine”. Pour en savoir plus sur ce fléau, nous avons recueilli les avis du psychologue, Brahim Ballo et celui du magistrat, Henri Dacko.
En effet, les violences conjugales, notamment le fait de donner la mort par assassinat à sa conjointe ont atteint des proportions inquiétantes sous nos tropiques. En illustre le cas du maçon qui a ôté la vie à sa femme enceinte des jumeaux au mois de juillet dernier à Kalaban Coura. Une situation qui a amené, des femmes de ce quartier à sortir de leur gong pour marcher, exprimer toute leur indignation face à la cruauté de cet acte. S’y ajoute le cas qui s’est produit à Lafiabougou au mois de Mai dernier, où un homme aurait assassiné sa femme avant de la brûler, pour ensuite chercher à noyer le poisson dans l’eau avec la complicité de certaines autorités. Malgré toutes les preuves pour situer sa responsabilité et le mettre à la disposition de la justice, on l’a laissé prendre la poudre d’escampette. Il a fallu de nombreuses dénonciations par voie de presse et des protestations des camarades d’arme de la défunte (qui était agent de garde) pour que les autorités puissent sanctionner les fautifs et s’employer à sortir le fugitif de sa cachette.
En clair les cas d’homicide volontaire contre sa conjointe se sont multipliés ces derniers temps.
Quel arsenal juridique au Mali traite ce phénomène ?
Selon le juriste Henry Dacko, notre code pénal prévoit l’assassinat, le meurtre, la parricide et l’infanticide, mais pas le féminicide et les VBG. A ses dires, le féminicide s’analyse en meurtre prévu par les dispositions de l’article 199 in fine du code pénal et il est qualifié de crime. Pour lui, il revient aux organisations féminines ou féministes de mener ce combat, afin que le féminicide puisse être traité et sanctionné expressément avec un régime spécifique de sanctions dans le code pénal.
« Les femmes n’arrivent pas à donner de la voix pour dénoncer ces crimes .¨Par contre, la philosophie la répandue est relative au fait que les femmes doivent être soumises au foyer conjugal, accepter tout venant de leurs maris pour que les enfants réussissent » déplore-t-il. Or, selon lui, le choix de rester dans un foyer où on se sent malheureux et en danger ne pourra que mettre les enfants dans une situation de traumatisme avec le risque d’être délinquants, surtout lorsqu’ils penseront que leur père est un bon exemple.
Pour lui, le féminicide est toujours considéré comme un meurtre. D’ailleurs, que le code pénal du Mali gère les cas des VBG sur la qualification de meurtre ; coups et et blessures volontaires ; les violences et voies de fait ; les viols, les abandons d’époux et de famille. « Les juges font de la gymnastique juridique pour réprimer les VBG , car le code pénal et le code de procédure pénale ne prévoient pas spécifiquement la répression des cas de féminicide et VBG. Mais les textes internationaux prévoient la répression des cas de VBG » a dit le connaisseur du droit positif malien, avant de préconiser que la solution serait que les législateurs légifèrent la loi dans ce sens pour réprimer sévèrement les cas de féminicide.
Quand les réalités sociales priment et oppriment les droits des femmes !
« Il y a plusieurs raisons pour qu’un homme commette le féminicide et les VBG surtout à l’endroit des femmes et des filles. Notre société même est faite de la manière que la femme a moins de pouvoir que l’homme, donc la femme est appelée à être soumise sur le plan éducationnel et sur le plan structurel dans la société. Nous nous sommes prédisposés à faire céder la domination de l’homme sur la femme » estime le psychologue Brahim Ballo.
A l’en croire, nous avons des facteurs liés à l’éducation de la personne, par exemple, quelqu’un qui est né dans une famille de violence et qui est habitué de voir son père battre sa mère verra que le meilleur moyen de corriger une femme est de la battre.
Outre cela, le Psychologue affirme qu’il y’a des facteurs spécifiques comme l’alcool, la drogue et le manque de respect qu’on a vis-à-vis de la femme. « Tout cela sont les inégalités du genre qui font qu’on peut assister à des drames pareils » a fait savoir le psychologue.
Un autre aspect qui est réel, souligne-t-il, est que les VBG ne sont pas sévèrement punies au Mali. A ce niveau, tant qu’il y a le social qui ne dit rien ; en cas de punition, on ne laisse pas la justice travailler, ce genre de comportement habituel continuera.
« Il y a aussi des cas psychiques mais pas tous ; car d’autres sont sous l’emprise des substances ; d’autres sont violents ; et d’autres le font car chaque fois qu’ils frappent leurs femmes on ne les punit pas, cela les encouragent car ils savent qu’après les coups de poing il n’y aura personne qui pourra les punir et cela aggrave les VBG » a soutenu M. Ballo.
A lui de préciser que parmi toutes les femmes qui ont été tuées, poignardées, étranglées et engorgées, 90 % ont déjà étés prévenues par leurs conjoints de leur mort à travers des menaces, telles: « si tu ne me laisses pas, un jour je vais te tuer ». Qu’elles ont toutes eu des menaces de mort et c’est lorsque ces menaces ne sont pas prises au sérieux qu’on assiste vraiment à des cas de féminicide, sinon pire. Il a toutefois situé les responsabilités des proches qui conseillent ces femmes de retourner auprès de leur mari après chaque malentendu. Que c’est lorsqu’elles seront devant les faits accomplis, c’est en ce moment que ces derniers sauront que les menaces des maris n’étaient pas des simples réprimandes.
« Devant l’accroissement du phénomène, il faut que la loi soit rigide fiable intolérable ; si à chaque assassinat de femme l’auteur lui-même était tué, les juges emprisonnaient ceux qui venaient pour des interventions, je suis sûr que ça n’allait pas atteindre le niveau que nous connaissons aujourd’hui » a-t-il déclaré. Et de renchérir qu’il faut sensibiliser la population à être intolérante face à tous les cas de violences de ce genre, elle ne doit pas être complice de ces crimes qui sont commis contre des sœurs, filles et mères d’autres personnes. Qu’il suffit de se mettre à leur place seulement pour comprendre le niveau d’affliction que cela produise. Fanta Cheick Sanogo (Stagiaire UCAO)
La féministe Khady Daphné Delpisso sur le Féminicide :
« Que la loi soit sans pitié à ceux qui ôtent une vie, surtout celle de sa conjointe »
Le Féminicide et les Violences Conjugales sont devenus récurrents dans la Cité des Trois Caïmans (Bamako). Rien qu’en cette année 2022, de nombreux cas ont été enregistrés. A chaque fois, après quelques réactions de protestations à chaud, par la suite personne ne veille sur la suite de ces affaires. S’exprimant sur le sujet, la Présidente de l’Association Espoirs d’Enfance, Khady Daphné Delpisso est sans langue de bois. Selon elle, la loi doit être sans pitié pour les auteurs de ces faits, surtout pour les récidivistes et les crimes prémédités.
L’Association Espoirs d’Enfance a été créée en 2015, à partir d’une idée simple que tout ce que nous vivons est lié et relié au plus profond de notre enfance. Elle a eu à mener beaucoup d’activités, notamment dans le domaine de la défense des droits des Femmes et des Enfants. Sa présidente, Khady Daphné Delpisso, reste une mère de famille très active au profit des droits des femmes. Se prononçant sur le Féminicide et les Violences Conjugales qui ont gagné du terrain chez nous, elle reconnait que cela ne cesse de s’accentuer malgré tous les efforts fournis par les diverses ONG, Associations et au niveau de la société. Pour elle, rien ne change, parce que jusque-là, la société elle-même n’a pas compris que nous devons protéger la Femme dès son jeune âge.
“Certes nous avons le devoir de veiller sur tous les enfants, oui mais une attention particulière doit être accordée à la fille parce qu’elle est la matrice même. Nous parlons tous les jours des droits de la Femme, mais en réalité cela devrait commencer par la société elle-même puisque les Femmes sont condamnées à un rang secondaire et muselées au nom du mariage. Or, certains mariages ne disent pas leurs noms ’’estime Mme Delpisso.
De son avis, pour bannir cette violence extrême, les violences physiques, matérielles, psychologiques etc. nous devons éduquer réellement notre société, éduquer les femmes pour qu’elles prennent conscience qu’une seule violence en est une de trop. Mme Daphné poursuit que les femmes doivent comprendre qu’il faut éviter le pire et qu’on est jamais condamné parce que dans la vie on a toujours un choix quel qu’en soit le prix. “Que la loi soit sans pitié pour ceux qui ôtent une vie et surtout pour les récidivistes et les crimes prémédités” a-t-elle préconisé.
La Présidente de l’Association Espoirs d’Enfance a insisté que les auteurs des Violences Conjugales doivent être punis avec la dernière rigueur et sans tolérance jusqu’à la peine de mort dans la mesure où certains crimes sont crapuleux, prémédités et sans état d’âme. “ Le mariage n’est pas une obligation quand ça ne va pas. Nous sommes encore dans l’esclavagisme moderne à voir les mariages de nos jours. Je répète que nous avons toujours le choix et que se protéger est mieux que de mourir sous les coups et la souffrance parce que la violence n’est pas que physique, elle est aussi morale et matérielle. Que les femmes apprennent coûte que coûte à éviter l’oisiveté ” a-t-elle lancé comme message fort à l’endroit des femmes.
A noter que Mme Khady Daphné Delpisso en plus de ses activités professionnelles (coaching des femmes et promotion de sa marque de vêtement), est très active dans l’assistanat à l’endroit des femmes démunies et des enfants en situation difficile.
Par Mariam Sissoko
Source: Le Sursaut