Magistrat de classe exceptionnelle à la retraite, Fatoumata Dembélé Diarra dite Ténin est incontestablement une icône. Première femme africaine à être vice présidente à la Cour Pénale Internationale, elle demeure une source d’inspiration pour la nouvelle génération.
Née le 15 février 1949 à Koulikoro, Fatoumata Dembélé affectueusement appelée « Ténin », elle est la fille de Feu El Hadj Mamadou Dembélé dit Karamoko Mady et de feue Minata Fofana dite Tayini. Elle est le 5ème enfant d’une grande fratrie dont les aînés Ousmane, Boubacar, Tidiane et Babintou sont hélas tous décédés aujourd’hui. La ville de Koulikoro à laquelle est très attachée représente beaucoup pour celle qui a évolué à l’ombre de grands hommes nobles et dignes et de femmes de vertu. « Koulikoro est ma ville nourricière.
Koulikoro est mon berceau de sécurité. Je suis descendante de Dioba Diarra, fondateur de la ville dé Koulikoro par ma grand-mère maternelle Fatoumata Singaré. Elle est la fille de Mobaly Diarra petite fille de Dioba. Mon grand- père Idrissa Fofana est le petit-fils du chef guerrier Moussa Fofana dont la brigade était installée à Gouni. Il assurait la sécurité des deux berges du Djoliba. Sa mère Maye Singaré est de la grande famille Singaré de Koulikoro- ba. Ses 2 sœurs Tenin Fatoumata Fofana qui est mon homonyme et Tenegagnan Fofana étaient mariées aux Kane de Kochila. Mon père est de Kamani par son père Boubacar Dembélé et de Koulikoro par sa mère Salimata Fofana de la grande famille Fofana. Ce rappel pour vous dire que j’ai évolué à l’ombre de grands hommes nobles et dignes et de femmes de vertu qui ont guidé mes pas, m’ont couvée et m’ont fortement protégée contre les vicissitudes de la vie. Tout cela a eu un impact décisif sur mon parcours dans la vie », nous confie-t-elle.
La jeune Ténin effectue ses premiers pas à l’école française dans sa Koulikoro natale où elle obtient avec brio son Certificat d’études primaires (CEP). Et pourtant rien ne pouvait prédire la scolarisation de celle qui est aujourd’hui une fierté malienne, voire africaine à l’échelle planétaire. Fervente croyante, Mme Diarra Fatoumata Dembélé raconte que c’est un ami de son père appelé Sékou Oumar Ly un administrateur civil qui a convaincu son papa El Hadj Mamadou Dembélé dit Karamoko Mady de la scolariser. « En effet le tam-tam d’information et de sensibilisation pour l’inscription scolaire des adolescents et adolescentes de 7 ans passait devant sa boutique pendant qu’il avait la visite d’un ami. Il s’agit de l’administrateur civil Sékou Oumar Ly en vacances à Koulikoro. Ce dernier interrogea M. Dembélé sur mon âge et fut très enthousiaste d’entendre que j’avais 7 ans. Il réussit à convaincre son ami de me scolariser. Par la grâce de Dieu, je me suis retrouvée sur le banc de l’école primaire des filles en octobre 1956», témoigne Ténin Dembélé. Il faut souligner l’érudit Karamoko Mady est connu comme un homme de Dieu qui a scolarisé ses 3 garçons mais il n’était pas dans la logique d’arracher ses filles à leur rôle naturelle d’assistante ménagère et de ‘’baby-sitter’’ pour les mettre à l’école. « C’est le destin qui lui a imposé de m’inscrire à l’école coloniale de Koulikoro en septembre 1956 », souligne-t-elle.
Après le CEP, elle pose ses valises à l’école fondamentale Notre Dame du Niger pour poursuivre ses études. En juin 1969, la jeune brillante obtient son obtient baccalauréat Philo-Langues au très prestigieux Lycée de Filles de Bamako, le berceau de toutes les jeunes filles révolutionnaires. Par la suite, elle effectue ses études supérieures en droit à l’Université de Dakar, à l’Ecole nationale d’Administration de Bamako (ENA) avant de continuer à l’Ecole Nationale de la Magistrature de Paris.
Un parcours sans faute
Apres ses études brillantes à Dakar et en France, l’enfant de Koulikoro signe au bercail en août 1977. Elle intègre le corps de la magistrature. Et le premier poste qu’elle occupe est celui de Juge d’Instruction au 3ème cabinet d’instruction de Bamako. Ce fut le début d’une riche carrière au sein de la Magistrature, interrompue parfois par des fonctions administratives. Elle sert au tribunal de première instance de Koulikoro avant de revenir au 1er cabinet d’instruction de Bamako. Mme Diarra Fatoumata Dembélé monte de grade pour devenir vice-présidente du Tribunal du Travail à Bamako.
Elle quitte la magistrature assise pour évoluer au compte du ministère public. Ténin Dembélé est nommé substitut du Procureur près le Tribunal de première instance de Bamako. Une nouvelle parenthèse s’ouvre dans sa carrière professionnelle. Elle est nommée conseillère technique auprès du Comité de Transition pour le Salut du Peuple (CTSP) au Bureau du Président Lieutenant Colonel Amadou Toumani Touré alias ATT après le coup d’Etat de 1991. Actrice du mouvement démocratique, elle a pris une part active à la conférence nationale souveraine du Mali en 1991 et a participé à la rédaction des textes fondamentaux sur lesquels se repose la démocratie malienne.
Après des bons et loyaux services au CTSP, on retrouve ses traces au Bureau Malien des Droits d’Auteur où elle devient la directrice. Mme Diarra est par la suite, chargée de Mission au Commissariat de la Promotion de la Femme, l’ancêtre de l’actuel ministère de la promotion de la femme, de l’enfant et de la famille. Une juste récompense pour une amazone qui est très connue comme un soldat engagé au sein du bataillon des défenseurs des droits de la femme et de l’enfant. Elle est d’ailleurs l’une des premières femmes à mettre en place une clinique para juridique pour prendre en charge toutes les questions relatives aux droits de la femme et de l’enfant au Mali. Elle est la présidente fondatrice de l’Observatoire des droits de l’enfant et de la femme (ODEF), une structure qui a offert à de nombreuses femmes de l’aide gratuite pour défendre leurs droits. Actuellement, l’Observatoire a une cellule à Koulikoro.
Après le Commissariat à la promotion de la femme, elle revient à sa corporation d’origine pour poursuivre sa carrière de magistrate en devenant conseiller à la Cour d’appel de Bamako. Elle préside la Chambre Correctionnelle de la Cour d’appel. Puis, elle devient directrice générale de l’Administration Nationale de la Justice.
Magistrate chevronnée et rompue à la tâche, à cheval sur les principes de transparence, Mme Diarra Fatoumata Dembélé dite Ténin ouvre une autre parenthèse dans sa carrière professionnelle. Elle est sollicitée à l’extérieur pour vendre l’expérience et l’expertise malienne à ces frères magistrats à l’occident. En 2001, elle devient Juge ad litem au Tribunal International Pénal pour l’ex -Yougoslavie juin 2001. Deux ans plus tard elle devient Juge à la Cour pénale internationale janvier 2003. Cinq ans ont suffit que la brave dame de Koulikoro devienne la 1ère Vice-présidente de la CPI. C’est historique. Pour la première fois, une malienne occupe un tel poste stratégique à la CPI. De mars 2009 à mars 2011, Mme Diarra s’emploie à avancer la cause de la justice internationale sur le continent africain. Elle est reçue par plusieurs chefs d’Etat africains. Elle arrive à les convaincre d’adhérer à la cause de la CPI. Spécialiste de grands dossiers, elle est une talentueuse négociatrice qui se sait faire preuve de patience.
« Mon expérience de Juge international à commencé en réalité au Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) au niveau duquel j’ai été élue par l’Assemblée générale des Nations Unies comme Juge ad litem en juin 2001 pour un mandat de 4 ans. Je n’ai pas terminé ce mandat. Après la fin du premier procès (jugement de deux Croates présumés auteurs de crimes contre l’humanité) je fus élue Juge à la Cour Pénale internationale pour un mandat de 9 ans en janvier 2003. Ma collègue Maureen Clark, une Irlandaise qui était au même procès que moi au TPIY, en raison de notre expérience avons été les premières élues à l’occasion des élections des 18 premiers Juges au niveau de l’Assemblée des États Parties. Nous avons prêté serment le 11 mars 2003 et La Cour est entrée en fonction le 1er juillet 2003. Mon mandat devait finir en principe en mars 2012. Mais il a été rallongé pour me permettre de terminer le jugement dans lequel j’étais engagée. Pendant ma présence à la CPI, j’ai successivement occupé les postes de Juge de la Chambre préliminaire, Présidente de la Chambre préliminaire, Juge de la Chambre de première instance et 1ère Vice-présidente de la CPI à compter du 11 mars 2009 et cela cumulativement avec mes fonctions de juge engagée dans un jugement de cas », témoigne-t-elle.
Une femme forte de caractère face aux souffrances insupportables des victimes
C’est au Tribunal international pénal pour l’ex-Yougoslavie et à la CPI que la native de Koulikoro a découvert une autre dimension des atrocités humaines. Elle a été dans la profondeur de l’odeur. Forte de caractère, Mme Diarra Fatoumata Dembélé a de la baraka mais aussi d’énormes ressorts moraux et psychologiques pour tenir aujourd’hui en rendant encore utile à son pays, à l’Afrique et au monde. « Je peux vous avouer qu’il s’agit d’un travail très difficile. Les crimes sont atroces et massifs. La souffrance des victimes est insupportable. Mais grâce à la bénédiction de mes parents, j’ai pu exercer dignement toutes les fonctions qui m’ont été confiées », explique la magistrate.
Des années au service de la justice internationale, elle garde de bons comme de mauvais souvenirs. Comme de bon souvenir, elle raconte : « Nous étions 6 femmes et 12 hommes et nos rapports se caractérisaient par la cordialité, la solidarité et la convivialité. Nous constituions un groupe d’intellectuels compétents et engagés pour la cause de la justice et de la lutte contre l’impunité. Nous étions aussi dans des conditions de travail très confortables, situation qui maintenait éveillé notre enthousiasme au travail. Mon élection par mes pairs au poste de 1ère Vice-présidente a été un grand honneur et beaucoup de considérations pour mon pays. J’ai savouré cette victoire qui s’est ajoutée à mon élection comme juge avec ma collègue Maureen dès le premier tour avant tous les autres juges ».
Quand Mme Diarra Fatoumata Dembélé aborde ses mauvais souvenirs à la Haye, elle rougit contre les chefs d’Etat africains. « La campagne de dénigrement de la CPI m’a profondément affectée. Les Chefs d’Etats africains se sont dépêchés de ratifier Le Statut de la CPI avec l’intention d’y envoyer leurs rebelles et leurs opposants. Dès qu’ils ont constaté l’indépendance de la Cour par rapport aux critères de sélection des cas et la possibilité pour elle de poursuivre même les chefs d’Etat en exercice, ils ont utilisé les moyens de leurs États pour engager une campagne négative contre la CPI en la traitant d’une Juridiction des Occidentaux contre les africains. Ils ne font aucun cas des victimes pour lesquelles la justice internationale fonctionne. Le grand paradoxe est le fait que presque toutes les plaintes arrivées à la CPI émanent des Etats africains eux-mêmes », lance-t-elle. En tirant un enseignement de son séjour à la CPI, elle dira : « La seule ambition d’un responsable, à quelque niveau où il se trouve, doit être l’efficacité dans l’accomplissement des tâches de sa fonction. En se qui me concerne je suis satisfaite de mes prestations et rends hommage à certains remarquables collègues qui ont été des sources d’inspiration et des compagnons loyaux ».
Il faut donner à la justice les moyens de son indépendance….
Après son mandat à la CPI, il revient au pays pour siéger à la Cour Constitutionnelle en qualité de conseiller de novembre 2011 à novembre 2013. La magistrate à la retraite est aujourd’hui la Présidente du Conseil de l’université des sciences juridiques et politiques de Bamako et continue de parcourir le monde pour mettre à la disposition de la nouvelle génération son expérience et son expertise à travers des séminaires et autres rencontres de partage de connaissances.
En jetant un regard sur la situation de la justice malienne, Mme Diarra requiert qu’il faut donner à la justice les moyens de son indépendance, de son efficacité et de sa performance. « Un juge indigent ou affairiste évoluant dans un environnement insalubre et mal équipé ne peut rendre une justice saine. Mettons la justice malienne dans des conditions décentes avant d’exiger d’elle un rendement sans faute. Par exemple, la Gouvernance du Mali n’a pas encore pu répondre à la question que tout le monde se pose à savoir au nom de quels principes les députés doivent être mieux traités que les juges. Pour être Juge il faut un minimum de 6 années d’études après le Baccalauréat. Le pouvoir des juges doit être protégé par des moyens les mettant à l’abri de certaines pratiques. Lorsque j’étais à la tête de la Direction nationale de l’Administration de la Justice je dépendais de la DAF du Ministère de la justice et ne pouvais même pas me procurer un dictionnaire ou un balai sans son aval. Ma direction était la plus indigente des Directions nationales suivie en cela par les deux autres directions du Ministère de la justice. Nous étions les parents pauvres à côté des directions des autres départements ministériels. Croyez- moi, je quémandais beaucoup autour de moi et j’en ai honte aujourd’hui », ajoute-t-elle.
Pour l’ancienne conseillère à la Cour Constitutionnelle, la situation actuelle du Mali se caractérise « par une répartition clanique et subjective des postes de responsabilités ». « Prions pour qu’arrive le jour où les postes de responsabilités seront confiés aux plus compétents parmi nous, sans considérations de notre appartenance politique et de nos liens familiaux », souhaite-t-elle.
Des reconnaissances à hauteur de son engagement
Magistrate rigoureuse et adepte du travail bien fait, Mme Diarra est une figure emblématique de la société civile. Ancienne vice présidente de la Fédération internationale des Femmes des carrières juridiques (FIFCJ) et de la Fédération des juristes africaines, elle fut présidente de l’Association des juristes maliennes pendant 6 ans. Présidente du Réseau d’Appui au Processus Électoral (Réseau APEM), elle fut Secrétaire général du Groupe de Recherche pour la Démocratie et le Développement Social en Afrique (Gerddes). Elle a mené de nombreuses études sur la situation des femmes et des enfants au Mali et en Afrique. Ténin Dembélé est incontestablement une icône.
Chevalier de l’Ordre National du Mali (2002), officier de l’Ordre National du Mali (2017), elle a aussi Chevalier de la Légion d’Honneur de la République Française depuis 2008. En reconnaissance de mon engagement pour la promotion de l’égalité de genre et la promotion des droits des femmes et des enfants, Mme Diarra a eu à Dakar en mars 2005 un diplôme d’honneur de pour son engagement de Pionnière Africaine. En plus du Diplôme d’honneur de Pionnière de l’Association des Juristes Maliennes (AJM), elle a eu un Certificat de Reconnaissance du Représentant du Haut-Commissaire aux Droits de l’Homme à la Minusma à Bamako (mai 2015), et un Certificat de Mérite pour le Combat pour la Paix et la Sécurité délivré à 1000 Femmes (Berne, Suisse nov. 2008).
Mère de six enfants (4 garçons et 2 filles), et grand- mère de 13 petits-enfants, elle consacre ses temps livres à la lecture (livre de droit international pénal et journaux) et à la rédaction des exposés des conférences qu’elle anime à travers le monde. Elle rend régulièrement visite aux doyens de ses différentes familles à Koulikoro et Bamako.
Mali24